Relations toxiques dans le couple: comment gérer les petites et grandes violences au sein du couple

Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

La violence conjugale peut-elle être réciproque? La violence physique est-elle plus grave et faut-il mettre fin à une relation toxique dans tous les cas? La thérapeute Vanessa Muyldermans plaide pour un regard différent sur l’amour malsain. « Il n’y a rien de pire que les couples qui affirment ne jamais se disputer », explique-t-elle.

En Belgique, une femme sur cinq et un homme sur sept subissent des violences de la part de leur partenaire. Il s’agit parfois de violences physiques ou sexuelles, mais beaucoup plus souvent de violences psychologiques ou émotionnelles, explique Vanessa Muyldermans (42 ans), thérapeute-relationnelle basée à Malines. Critiques incessantes, agressions verbales, liberté volée: les nombreux scénarios de son nouvel ouvrage, Ziek van Liefde, sont des histoires vraies. « Nous partageons de nombreux préjugés sur les relations toxiques, à commencer par l’idée que la violence entre partenaires est toujours très intense et dramatique. En réalité, il existe toutes sortes de relations toxiques, à différents degrés. Plus on s’intéresse à ce type de relation, plus il devient évident que de nombreux couples y sont confrontés. »

Folie impulsive

Vous écrivez que la violence conjugale remonte à la nuit des temps. Pourquoi y accordons-nous tant d’attention aujourd’hui ?

« On a tendance à associer violence conjugale et hommes. Pourtant, les femmes sont tout aussi susceptibles de commettre des violences physiques, émotionnelles ou autres. Mais il y a deux générations, les hommes étaient censés contrôler leurs femmes. Si un homme criait sur sa femme parce qu’elle n’avait pas servi le diner à l’heure, vérifiait ses dépenses, jetait une assiette par terre ou lui donnait une fessée, personne ne s’en étonnait. La violence conjugale était en fait considérée comme normale. En outre, nous accordons davantage d’attention à la qualité de nos relations, et attendons d’elles qu’elles nous rendent heureux. Autrefois, si nos besoins n’étaient pas satisfaits ou si notre partenaire ne nous convenait pas, le divorce n’était pas envisageable. Aujourd’hui, nous pouvons remettre nos relations en question. »

Vous préférez ne pas utiliser les termes « violence conjugale ». Pourquoi ?

« Des termes comme ‘violence conjugale’ ou ‘maltraitance’ font immédiatement penser à des formes graves de violence physique, et non à un partenaire qui manipule, rabaisse ou insulte l’autre. Mais on peut aussi maltraiter quelqu’un et le rendre malheureux sans le maltraiter physiquement. Les personnes qui souhaitent parvenir à une relation plus saine doivent s’en rendre compte. Je rencontre beaucoup de couples qui me disent qu’il leur arrive de dire des choses qui blessent ou même de se bousculer, mais qui insistent immédiatement sur le fait qu’ils ne se sont jamais frappés l’un l’autre. Cette attitude ne les encourage pas à se remettre en question. »

relations toxiques

La violence non physique est-elle trop souvent ignorée ?

« En tout cas, elle est plus compliquée à constater. Si votre partenaire profère constamment des insultes et des accusations à votre égard, vous menace ou vous humilie devant d’autres personnes, il ne cause pas de dommages physiques, mais émotionnels. Ceux-ci sont invisibles, et il est plus difficile d’y réagir. Si votre partenaire vous donne une fessée dans un café ou si vous arborez un œil au beurre noir, vos connaissances le remarqueront plus vite que s’il vous coupe souvent la parole ou se moque de vos performances sexuelles. Même au sein du couple, cet œil au beurre noir est souvent le signe évident qu’une limite a été franchie. La violence non physique, quant à elle, est moins évidente et passe donc plus longtemps inaperçue. Parfois, avec le temps, elle se transforme en violence physique. Si l’agresseur ne reçoit pas de signal lui indiquant que son comportement verbal est inacceptable, il pourrait aller plus loin à chaque fois. Une insulte devient alors un cadre photo jeté par terre ou une porte claquée, puis un coup direct. »

Je ne cautionne absolument pas la maltraitance, mais elle ne doit pas être résumée à un seul facteur.

Vous évitez également les mots comme « agresseur » et « victime ». Ces termes ne servent-ils pas à situer les responsabilités et les conséquences ?

« Parfois, la violence est en effet unilatérale : il y a clairement un agresseur et une victime. Ces situations ne doivent en aucun cas être minimisées. La sécurité et la gestion des traumatismes de la victime priment alors, et l’agresseur peut également suivre une thérapie. Mais dans neuf cas sur dix, la situation est plus complexe et la violence est réciproque. J’entends beaucoup de témoignages où les deux partenaires se manquent de respect et où il s’agit davantage d’action-réaction et de dynamique du couple : l’un fait ou dit quelque chose, l’autre y réagit, et un ping-pong s’installe, avec une escalade de la situation. C’est à ce moment-là que la thérapie de couple est appropriée. Si les deux partenaires veulent s’interroger sur eux-mêmes, sur leur comportement et sur son impact, ils pourront aussi découvrir quels sont les éléments déclencheurs des disputes, et apprivoiser le schéma dans lequel ils tombent à chaque fois. »

Les personnes violentes envers leur partenaire ne sont-elles pas simplement mauvaises ?

« C’est l’explication la plus facile, surtout dans les cas de violence physique. Mais très souvent, les gens n’agissent pas délibérément et, le plus souvent, ils gèrent mal les situations et leurs émotions. Lorsqu’ils ont l’impression de ne pas recevoir assez d’attention, par exemple, qu’ils ne se sentent pas compris ou qu’ils craignent que le lien avec leur partenaire ne s’affaiblisse. De nombreux facteurs entrent en jeu. Comment ces personnes ont-elles appris à réagir à ces situations ? Quid de leur éducation ? Quels comportements étaient considérés comme normaux à la maison ? Et quels mécanismes de défense ont-ils développés au fil de leur vie amoureuse ? Une mauvaise communication et la consommation d’alcool et de drogues peuvent également jouer un rôle, tout comme les changements radicaux et le stress chronique. Je ne cautionne absolument pas la maltraitance, mais elle ne doit pas être résumée à un seul facteur. Certaines personnes réagissent impulsivement, et sont ensuite choquées par ce qu’elles disent et font sous le coup de l’émotion. Personne n’est à l’abri de la violence: toute relation saine peut devenir toxique à un moment ou à un autre, et n’importe qui peut subitement devenir violent. »

Il y aura toujours des hauts et des bas dans une relation, mais quand faut-il s’inquiéter ?

« Cela dépend de vos propres désirs et besoins, et vous devez les définir vous-même : qu’attendez-vous d’un partenaire et d’une relation pour être heureux, quelles sont vos priorités absolues ou secondaires à cet égard ? Pourriez-vous satisfaire certains de vos besoins d’une autre manière ou avec d’autres personnes ? Votre partenaire ne doit pas nécessairement répondre à tous vos besoins. Mais il existe certains piliers d’une relation : la sécurité physique et émotionnelle, la confiance, l’intimité, le respect mutuel, l’affection et un bon équilibre entre complicité et autonomie. Si un ou plusieurs de ces piliers ne sont pas respectés sur une longue période, si vous devez faire trop de compromis et si votre partenaire dépasse constamment vos limites, vous devriez vous parler et voir si vous pouvez faire évoluer la situation ensemble. »

Oreille attentive

Les personnes extérieures remarquent parfois les problèmes relationnels avant les personnes concernées. Comment se fait-il que nous ne réalisions pas, ou que nous ne réalisions que tardivement, que notre relation est toxique ?

« La violence s’immisce généralement dans une relation insidieusement et progressivement : elle commence parfois par une remarque malveillante. Au début surtout, on se concentre sur les aspects positifs et on se dit que l’on a du mal comprendre ou que notre partenaire est stressé. C’est peut-être le cas, mais généralement, c’est plutôt ce que nous voulons croire. Comment cette personne si gentille pourrait-elle être si méchante ? De plus, les émotions positives et négatives s’entrelacent parfois. Ce partenaire désagréable a aussi d’autres qualités agréables, il exprime un certain regret, et l’incident a été suivi par un joli moment… Dans une relation, on peut être en colère ou triste et aimer en même temps. »

De nombreuses personnes préfèrent également garder pour elles leurs problèmes relationnels. Pourquoi n’en parlent-elles pas à leur entourage ou seulement après un certain temps ?

« La honte y est souvent pour beaucoup. Peu de gens aiment admettre que tout n’est pas tout rose, ou qu’ils s’inquiètent pour leur relation. De plus, la réaction du monde extérieur peut parfois être violente, surtout si vous avez eu des problèmes similaires avec un partenaire précédent ou si la situation dure depuis un certain temps. La compréhension s’effrite alors rapidement et votre entourage vous rejette parfois la faute. Certains s’attendent également à ce que vous mettiez fin à la relation et vous jugeront si vous ne le faites pas assez vite. Cela part généralement d’une bonne intention, mais souvent les gens ne savent pas encore ce qu’ils veulent faire et veulent surtout une oreille attentive : quelqu’un avec qui ils peuvent échanger des idées, mais qui ne les juge pas et les laisse décider par eux-mêmes de ce qu’ils vont faire. Aujourd’hui, j’entends souvent : si je leur dis ce qui se passe à la maison et que je ne pars pas, mes amis me laisseront tomber. »

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Sommes-nous trop fatalistes quant à nos relations ?

« Il est crucial de quitter une relation toxique ou violente. Mais nos idéaux romantiques nous font  parfois oublier qu’aucune relation ou partenaire n’est parfait. Les couples qui sont ensemble depuis longtemps ont probablement tous dû traverser des crises graves. Il n’y a rien de pire qu’un couple qui affirme ne jamais se disputer. Dans la plupart des cas, ces deux personnes ne font qu’éviter les conflits, laissent les disputes en suspens et nourrissent donc leur propre malheur. Une bonne dispute vaut mieux qu’un long silence. Bien sûr, il y a la manière, mais un couple qui se dispute se bat pour sa relation. »

Les partenaires qui ne s’irritent ni ne se déçoivent jamais l’un l’autre, des relations sans tension, sans frustration ni compromis: cela n’existe pas.

Les partenaires doivent-ils apprendre à se pardonner ?

« Ce n’est pas à conseiller dans tous les cas, surtout si l’un des partenaires a commis des choses horribles ou s’il y a eu de la violence physique. Mais lorsque les erreurs sont réciproques, comme c’est généralement le cas, il n’est pas si insensé de pardonner à son partenaire. Si une personne reçoit des reproches incessants et finit par y répondre, les deux partenaires ont leur part de responsabilité. Bien sûr, je n’approuve pas cette attitude – il y a de meilleures façons de se comporter l’un envers l’autre – mais cela ne fait pas de vous un mauvais couple qui devrait nécessairement se séparer. Si l’un des deux ne veut pas ou ne peut pas modifier son comportement, il y a peu de chances que la situation s’améliore. Mais si vous reconnaissez tous les deux que vous n’allez pas bien et que vous voulez faire mieux à l’avenir, c’est un excellent départ. D’ailleurs, il arrive souvent qu’un tel couple en ressorte très fort, parce qu’il aura réussi à surmonter les épreuves ensemble. »

Engager la conversation

Les nombreux témoignages repris dans votre livre révèlent que beaucoup de couples communiquent incroyablement mal. Les partenaires expriment peu ce qui les blesse ou ce qui leur manque dans la relation.

« Ce n’est pas évident non plus. Comprendre ses propres sentiments par l’introspection, trouver les mots justes pour les exprimer : c’est souvent déjà une tâche complexe. Cela demande également de partager ces émotions négatives ou moins agréables avec quelqu’un que nous aimons, un partenaire dont nous cherchons l’appréciation et l’amour, mais qui risque de réagir avec colère ou tristesse. C’est une position très vulnérable. On craint souvent qu’une telle conversation ne marque la fin de la relation, que d’autres problèmes ne surgissent ou que notre partenaire ne veuille en finir. Mais les conversations difficiles font partie de la vie à deux. Des partenaires qui ne s’irritent ni ne se déçoivent jamais l’un l’autre, des relations sans tension, sans frustration ni compromis : cela n’existe pas. Et si vous ne dites pas à l’autre quels sont vos besoins, il ne peut pas non plus essayer d’y répondre. »

Que faire si votre partenaire évite toute conversation et ne veut même pas entendre ce qui vous préoccupe ?

« Il est parfois utile de souligner à quel point l’autre personne compte pour vous, et qu’il est donc également important pour vous que votre partenaire sache ce que vous ressentez. Précisez que vous ne cherchez pas à vous disputer, mais à établir un lien. Vous pouvez aussi essayer d’entamer la conversation en demandant à votre partenaire ce qu’il a ressenti face à une situation donnée. Peut-être a-t-il simplement besoin de plus de temps pour réfléchir. Mais il est évident que vous ne pouvez pas sauver votre relation et rompre un schéma de maltraitance réciproque seul. Si vous vous heurtez constamment à un mur, que votre partenaire repousse vos besoins ou ne veut pas se remettre en question, vous devrez faire un choix. Acceptez-vous que certains besoins restent insatisfaits ? Sera-t-il possible de vous contenter de la situation actuelle ? Ou est-ce impossible et vaut-il mieux mettre un terme à cette relation ? Tout est envisageable, il n’existe pas de norme fixant la limite de ce qui est acceptable, ni de définition de ce qu’est une relation satisfaisante. Mais il est important que vous fassiez vos choix après réflexion, et que vous en acceptiez les conséquences. »

Quels conseils donneriez-vous aux nouveaux couples qui souhaitent cultiver une relation saine ?

« Je ne peux pas vous dire où fixer vos limites – chaque personne et chaque couple établit ses propres règles. Mais je recommande d’intervenir lorsque vous avez l’impression que l’autre personne les dépasse. Si vous vous sentez mal à l’aise face à un acte de votre partenaire, n’attendez pas, parlez-en et voyez comment l’autre personne réagit. Cela réduira déjà les risques que la situation s’aggrave et que vous tombiez dans la spirale de la maltraitance. Mais aucune solution ne peut garantir une relation sans crise. Évidemment, ça ne fait pas plaisir à entendre. Surtout lorsque vous avez déjà traversé une relation tumultueuse dans le passé, et que vous voulez absolument vous protéger pour ne pas revivre une telle expérience. Mais l’amour n’est possible que si l’on ose être vulnérable. S’engager dans une nouvelle relation, c’est comme se tenir devant le peloton d’exécution en espérant ne pas se faire abattre. »

Ziek van liefde, Borgerhoff & Lamberigts. vanessamuyldermans.be

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