pourquoi vous faites du shopping quand vous êtes stressée
C'est quoi le doom spending, et surtout, comment y remédier? Montage Vif Weekend

Si le stress vous fait shopper, c’est la faute au doom spending (et voici comment y remédier)

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Qui n’a jamais rempli (et validé) un panier en ligne ou fait « vite un petit tour des boutiques » pour se changer les idées quand celles-ci se font trop pesantes? Le phénomène, connu sous le nom de « doom spending », ou dépense apocalyptique en attendant d’une appellation officielle en français, est aussi répandu que ruineux. Mais comment l’expliquer, et surtout, comment l’éviter?

Si les trajectoires sont uniques à chacun, ce ressenti est toutefois universel: la vie moderne, son rythme effréné, ses objectifs qui se démultiplient et puis surtout, son coût toujours plus élevé, n’est pas simple. Certainement pas pour le mental. Alors à défaut de tout plaquer pour aller vivre en autarcie sur une île désertée, on fait comme on peut pour survivre à une pression parfois écrasante. Un petit verre de vin bien frais au retour du boulot, une friandise aussi calorique que sucrée engloutie devant la machine entre deux réunions… Ou bien une séance de doom spending, parce que quand tout va mal, il n’y a parfois rien de mieux que de se gâter un peu. Après tout, vous l’avez bien mérité, non?

Si sa traduction française, soit « dépense apocalyptique », évoque plutôt le budget d’armement de certains gouvernements, en réalité, la seule chose qui est annihilée par ce phénomène, ce sont vos finances. Voyez plutôt: le climat est déréglé, la géopolitique internationale, aussi, à chaque fois que vous vous connectez sur les réseaux sociaux, c’est pour y constater une détérioration toujours plus rapide des relations humaines, et comme si ça ne suffisait pas, vous avez beau vous tuer au travail, la vie coûte toujours plus cher, et bien que vous tentiez de manger le plus sainement possible, chaque semaine ou presque, une nouvelle étude contredit les précédents et affirme que tel ou tel aliment qu’on pensait bon pour la santé est en réalité cancérigène.

Ajoutez les aléas subis par toute personne ayant passé le cap de la trentaine, soit un sommeil pas toujours réparateur, une digestion capricieuse, une vision qui périclite sans la moindre explication et la propension à se faire (très) mal en ayant simplement l’audace de s’étirer ou de vouloir attraper un objet sur une étagère et voilà: si ce n’est pas une situation apocalyptique, alors quoi?

Et surtout, puisque siroter un petit blanc en pleine journée de boulot est assez mal vu dans la plupart des lieux de travail et que s’empiffrer de gougouilles (pardon, de produits ultra transformés) est cancérigène, tout comme la clope, que reste-t-il pour tenter de surmonter l’angoisse ambiante si pas une petite session de doom spending?

Action-réaction ou le piège de la satisfaction immédiate

Si le phénomène « tout va mal donc je vais faire un peu de shopping pour me changer les idées » ne date pas d’hier, l’avènement du commerce en ligne, et la détérioration perçue ou réelle des conditions de vie modernes, ont certainement contribué à l’amplifier. Signe de se prévalence: la recherche du terme « doom spending » dans Google donne, en 0.24 seulement, pas moins de 15.200.000 références, allant de l’explication de ce néologisme à ses causes sans oublier ses effets.

Mais pourquoi notre shopping augmente-t-il justement à une période où une des causes du malaise de la plupart des gens est la fonte du pouvoir d’achat et l’impression angoissante que le coût de la vie suit une courbe d’augmentation sans fin? D’après la psychologue et professeure de marketing américaine Kristina Durante, interviewée par nos confrères de The Cut, c’est parce que peu importe l’état de leurs finances, dépenser de l’argent « aide les gens à se sentir plus en contrôle, au moins temporairement. Avoir un cerveau humain dans le monde d’aujourd’hui signifie que l’on est chroniquement stressé. La plupart des problèmes que nous rencontrons au quotidien sont des choses sur lesquelles nous ne pouvons pas faire grand-chose. En revanche, l’achat d’objets est une action que l’on peut accomplir pour résoudre immédiatement un problème perçu ».

Réalistiquement, vous ne pouvez résoudre ni la guerre en Ukraine, ni le conflit entre Israël et la Palestine, pas plus que vous ne pouvez faire en sorte que le prix de l’immobilier diminue ou même virer cet odieux collègue qui n’en fiche pas une, mais au moins, vous pouvez faire le choix conscient de faire un peu de shopping. Et prendre la décision de dépenser de l’argent pour acheter quelque chose dont vous avez envie, même si vous risquez de le regretter par après.

J’ai donc je stresse moins… ou plus encore?

Car il y a du serpent qui se mord la queue dans le phénomène de doom spending, lequel, on l’aura compris, n’est pas tant une solution qu’une partie du problème. En effet, en dépensant de l’argent de manière parfois compulsive, pour acquérir des choses dont on n’a pas forcément besoin, on ajoute une couche de stress financier. Donc on se sent encore plus mal qu’avant. Et donc… On refait un peu d’achats apocalyptiques?

Pas forcément. Selon les experts financiers de la maison de courtage Charles Schwab, il existe trois étapes à suivre pour éviter de succomber au cycle stress-dépense-stress. La première? Compliquer les achats. « Les dépenses irréfléchies se produisent souvent lorsque les consommateurs ne se demandent pas s’ils ont besoin (ou même s’ils veulent) d’un article ou quel impact l’achat pourrait avoir sur leur situation financière » expliquent-ils. D’autant qu’ainsi que l’épingle Giovanna Gonzalez dans Culture & Clash, son étude des habitudes de consommation de la Gen Z, « les détaillants ont fait un excellent travail en modernisant les méthodes de paiement pour que les acheteurs potentiels soient plus enclins à se séparer de leur argent. Payer en quelques clics sur son ordinateur portable ou en passant son téléphone devant le lecteur du magasin peut donner l’impression de ne même pas dépenser ». La parade? Retirer les cartes enregistrées sur les plateformes en ligne, et opter pour des paiements en cash plutôt que par carte, afin de plus conscientiser les achats.

Les deux autres conseils de Charles Schwab pour endiguer le flot de dépenses apocalyptiques? Changer ses habitudes en ligne, que ce soit en consultant moins de sources d’information anxiogène, pour limiter le stress, ou en privilégiant le contenu « feel good » sur les réseaux sociaux, pour entraîner l’algorithme à le mettre en avant plutôt que des posts incitant à acheter les vêtements de Machin ou les produits de beauté de Machine. Mais aussi changer de perspective: « comme tout ce qui en vaut vraiment la peine – un programme d’exercice, une relation saine – la sécurité financière implique de se concentrer sur les résultats à long terme. En contrepartie, il faut sacrifier l’excitation momentanée que peuvent provoquer les nouveaux objets qui brillent dans votre panier. Mais soyez réaliste. Se priver soudainement de toute dépense discrétionnaire peut être un choc malvenu pour votre système » suggèrent encore les experts de la maison de courtage.

Changer de système de valeur(s)

Pour Julianna Poplin, adepte américaine d’une approche très Marie Kondo de la vie, qu’elle distille via un site extrêmement populaire, The Simplicity Habit, il s’agit également de repenser la manière dont on affronte le stress quotidien. « Le doom spending n’est pas une bonne manière de prendre soin de sa santé mentale. Acheter pour gérer le stress, faire face à l’incertitude ou engourdir ses émotions est malsain et ne fonctionne qu’à court terme – et encore » met-elle en garde. Avant d’inviter plutôt à « parler à un ami en qui vous avez confiance, rencontrer un thérapeute ou consacrer du temps à la méditation ou à la tenue d’un journal. Utilisez des outils qui vous aideront à traiter vos pensées et vos sentiments de manière plus productive ». Et moins coûteuse, cela va sans dire.

Car si elle admet elle-même être « coupable de céder à l’idée qu’il vaut mieux dépenser ce que l’on peut pour obtenir une infime quantité de joie dans une vie qui, au mieux, vide le portefeuille et, au pire, brise l’âme », la journaliste Alyssa Davis souligne elle aussi que « la réalité est que les dépenses inutiles nuisent à notre santé financière sur le long terme ». Mais aussi de manière plus immédiate: que la personne qui ne s’est jamais juré que « ce mois-ci, pas de shopping », pour se retrouver, aux alentours du 15 voire du 10 du mois, avec un compte en banque dangereusement dégarni, nous jette la première carte de fidélité.

La bonne nouvelle? Vous nous saurez gré d’avoir gardé les platitudes (pourtant vraies) pour la fin de cet article, mais voici: ce qui procure le plus de joie dans la vie est le plus souvent gratuit. Il est ainsi prouvé qu’être en contact avec la nature, caresser un chien ou parler à une personne qu’on aime sont des sources de production de dopamine, cette même « hormone du bonheur » dont on cherche un petit fix rapide en s’adonnant au doom spending. Alors la prochaine fois que la carte de crédit démange, on se met en route vers le parc le plus proche, en passant un coup de fil à quelqu’un qu’on aime beaucoup sur la route, et surtout, en s’accroupissant pour grattouiller le moindre canidé que l’on croise. Peut-être que cela n’apportera pas d’emblée la même gratitude immédiate qu’un peu de shopping « bien mérité », mais tant qu’on est dans les platitudes: ça ne coûte rien d’essayer…

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