Le syndrome de l’enfant pressé, quand la pression des activités extrascolaires écrase
Ils sont petits mais gèrent déjà des agendas bien chargés. Cours de piano, soutien en maths, activités sportives en veux-tu en voilà… Les occupations extrascolaires chez les plus jeunes s’enchainent à un rythme effréné… Jusqu’à saturation ? Gros plan sur le syndrome de l’enfant pressé.
Ils ont beau être hauts comme trois pommes, certains bambins sont déjà considérés comme des mini-adultes. Poussés par un mélange de pression démesurée et de hautes exigences, ces enfants enchainent activités extra-scolaires, programmes d’étude accéléré et compagnie à une vitesse vertigineuse. Pour le meilleur comme pour le pire.
Car selon une récente étude relayée par le magazine américain Forbes, les bambins qui ont été contraints de mûrir (trop) rapidement et qui ont été poussés à la performance sont bien plus prompts à développer de l’anxiété ou à souffrir de dépression et éprouvent en prime plus de difficultés à se construire une estime de soi positive.
Une situation qui n’étonne guère Lee Ann d’Alexandry, psychologue clinicienne et autrice du livre Les familles explosives, qui travaille depuis plus de 20 ans avec des enfants et des jeunes ados. « Ce phénomène, je l’appelle même celui des enfants pressés comme des citrons » note-t-elle, une pointe d’humour dans la voix.
Mais de quoi s’agit-il exactement ? Comment expliquer le syndrome de l’enfant pressé ? Quels sont les risques ? Car après tout, cela part de bons sentiments comme le rappelle notre experte. « On se retrouve face à des parents qui ne pensent pas à mal et qui veulent assurer à leurs enfants le meilleur avenir possible », note-t-elle. Mais comment parvenir à faire baisser la pression ? Quelques pistes de réponses…
Une envie de (trop) bien faire
« Concrètement, je vois depuis une petite dizaine d’années un changement dans mon cabinet. Je reçois plus d’enfants qui sont déjà surmenés. Et qui développent alors plusieurs troubles », témoigne la psychologue clinicienne, formée à la systémie et spécialisée en thérapie familiale.
« Ce surmenage peut se traduire par des troubles physiques mais aussi de comportement » détaille-t-elle. « Cela peut aller des migraines à des états de fatigues, de l’anxiété, des problèmes de sommeil ou même d’alimentation. Et d’un point de vue comportemental, certains enfants peuvent devenir plus agressifs, moins attentifs ».
Souvent alertés par l’école, les parents se retrouvent alors un brin désemparés. Car avant d’aller plus loin, notre psychologue enfonce le clou sur le fait « que l’on fait face à des parents qui ne pensent vraiment pas à mal. Ils souhaitent offrir le meilleur avenir possible à leurs enfants. Et ils ne se rendent pas compte qu’ils les surchargent ».
Le problème, c’est que ce surmenage peut aussi entrainer des problèmes au niveau des relations interpersonnelles, notamment au moment de l’adolescence où la pression « peut exploser comme une cocotte-minute », souligne Lee Ann d’Alexandry. « A cet âge-là, le jeune ado va chercher à se créer sa propre identité et s’individualiser. Et c’est à partir de là qu’il peut y avoir de grosses crises, ou des phases d’opposition et de révolte, qui sont dûes à cette emprise, ce contrôle que les parents veulent avoir sur l’enfant ».
Tiger Mom 2.0 ?
Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. De l’autre côté du globe, en Asie, il porte même un nom : celui des Tiger Moms. Soit ces mères-tigres, au schéma parental très strict et contrôlant s’investissant fortement dans la vie de leurs enfants afin de garantir leur réussite.
« C’est vrai que j’ai directement fait le lien » note la psychologue. « Même si cela reste assez spécifique à la culture asiatique, on peut clairement en tirer des parallélismes. » C’est surtout à Singapour que le phénomène est le plus marquant. La Cité-état possède en effet l’un des systèmes éducatifs les plus performants au monde, souvent classé en première position par l’OCDE. Une première place parfois chère payée, car à Singapour, 90% des élèves avouent avoir développé de l’anxiété au cours de leur scolarité.
D’ailleurs, en février dernier, le Premier Ministre singapourien Lee Hsien Loong a rappelé que « si c’est positif de considérer sérieusement ses études, mettre trop de pression sur les épaules des jeunes l’est beaucoup moins ». « Ce qui est assez révélateur » pointe Lee Ann d’Alexandry. « Car c’est un peu un cercle vicieux qui se met en place, et le fait que le Premier Ministre rappelle qu’il est important de laisser les enfants jouer et de ne pas leur mettre trop de pression, c’est vraiment important pour essayer de faire bouger les lignes ».
Se construire par le je(u)
Car notre spécialiste est formelle, le jeu, tout comme l’ennui, revêt une importance capitale dans le développement de l’enfant.
« Déjà, un enfant, il a besoin de jouer. Et c’est au travers du jeu que l’enfant va développer sa créativité, son imaginaire. Il va ainsi poser les bases de sa personnalité, de son identité », souligne la psychologue. « Mais aussi, dans son rapport à l’autre, quand un enfant va prendre deux Playmobils il va mettre en scène des choses, créer des dialogues. Développer son imagination. Et c’est un enjeu hyper important qui est peut-être moins valorisé par la société, mais pourtant tout aussi capital qu’apprendre les maths, la littérature ou les sciences ».
Et si le jeu est essentiel, l’ennui l’est tout autant. Cependant, dans nos sociétés hyperconnectées où chaque temps mort doit être comblé, l’ennui est petit à petit devenu ennemi public numéro 1. Chaque « Papa, mamaaaaan, je n’ennuiiiiie » déclenche tantôt de l’exaspération, de la culpabilité (car si l’enfant s’ennuie c’est que je n’assure pas) ou même parfois de la frénésie (car vite, il faut remédier à la situation).
« Pourtant, c’est capital que les enfants s’ennuient » rappelle Lee Ann d’Alexandry. « Non seulement ça permet d’ouvrir le dialogue, en questionnant l’enfant sur le pourquoi de son ennui, et sur ce qu’il pourrait faire pour y pallier. Mais ce sont aussi des phases nécessaires. Car dans ces moments-là, l’enfant entre en contact avec son intériorité. Il est avec soi et n’est pas constamment en relation avec l’autre, ce qui lui permet d’éveiller sa curiosité et de gagner en indépendance », note-t-elle.
Comment relâcher la pression de l’enfant pressé
Mais comment parvenir à ralentir le rythme alors ? Et réussir à faire tomber la pression ? Lee Ann d’Alexandry dégage trois pistes de solutions. « Premièrement, je dirais qu’il est fondamental de prendre du recul. De se rendre compte que les enfants sont des enfants, et qu’il faut établir des objectifs réalistes tout en se montrant à l’écoute de ces derniers. Et ne pas hésiter à se questionner sur les enjeux qui traversent la sphère familiale. Par exemple, un enfant qui a du mal à dormir, ce n’est peut-être pas juste un problème de sommeil, il y a peut-être autre chose qui se cache derrière ce soucis ».
Ensuite, notre psychologue rappelle « que le jeu est essentiel dans la construction de l’enfant, que l’ennui n’est pas grave et fait partie intégrante de son bon développement ».
« Et puis je pense qu’il est primordial de ne pas juste être dans le faire, et enchainer les activités extrascolaires mais être dans l’être ensemble, et faire famille ». Car si les enfants sont crevés par cet enchainement effréné, les parents le sont aussi.
« Au final, les parents se transforment en taxi, ils courent partout et sont aussi épuisés. Et donc les moments passés ensemble, à faire famille, sont forcément moins qualitatifs. Mais c’est essentiel de créer du lien intrafamilial et de passer des moments de qualité ensemble » conclut notre psychologue. À bons entendeurs…
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