Tenir son enfant en « laisse »: une pratique choquante?

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La « laisse » pour enfants suscite encore et toujours la polémique, même dans sa version plus moderne et attrayante. Petit sondage au sein de la rédaction et avis de deux spécialistes de la petite enfance sur la question.

On pensait que les « laisses » et autres harnais pour canaliser un enfant un peu trop turbulent ou simplement pour ne pas le perdre dans la foule étaient des accessoires du passé, résidus de l’éducation austère des années d’après-guerre. La marque britannique Little Life l’a pourtant remis au gout du jour avec une approche sécuritaire et plutôt astucieuse: la « laisse » est camouflée dans un mignon sac à dos aux effigies de Buzz L’Eclair, de Minnie ou encore en forme de carapace de tortue ou de dinosaure. Le débat fait rage sur cette pratique. Aux Etats-Unis, elle a même fait l’objet de plusieurs campagnes virales de dénonciation sur le thème « Free the Leash Kids » (« libérez les enfants en laisse !) ». A la rédaction du Vif.be, les avis sont assez contrastés sur le sujet. Tour d’horizon et avis de spécialistes de la petite enfance.

Marie, 29 ans, attend son premier enfant : « Je n’ai pas encore d’enfant donc, je ne peux pas vraiment me rendre compte de l’utilité d’un tel accessoire, mais pour moi, c’est choisir une solution de facilité. Au lieu de laisser l’enfant libre de ses mouvements et de lui apprendre à respecter certaines limites, on le canalise physiquement afin d’être tranquille de ne pas devoir courir après lui. C’est un peu comme lui refiler une console de jeux ou un DVD en voiture pour l’occuper tout au long du trajet, au lieu de trouver des activités plus enrichissantes, mais qui demandent aussi plus d’énergie aux parents.« 

Muriel, 36 ans, en couple, sans enfant : « Quand j’étais petite, avec ma soeur jumelle et mon frère cadet, notre maman avait l’habitude de nous « attacher » sur la plage lorsqu’elle était seule pour nous surveiller. Et ce, pour notre sécurité et paradoxalement pour nous assurer une plus grande liberté de mouvement. Vu qu’on avait beaucoup la bougeotte et une tendance à la fugue, le fait de pouvoir se détendre en relâchant la pression a certainement dû jouer un rôle. C’est une situation qui ne m’a pas traumatisée et quand je vois un enfant dans la rue attaché de la sorte par ses parents, cela ne me choque donc pas. Je trouve même cela plutôt pratique et sécurisant. »

Caroline, 35 ans, maman d’Eva, 2 ans : « Quand j’ai vu pour la première fois ce genre de « laisse » pour enfants en bas âge, c’était dans les années ’90, cela m’a choquée. J’avais l’impression que l’enfant était traité comme un petit animal sauvage dont on avait enlevé toute liberté de mouvement. Il faut dire qu’il s’agissait d’un harnais classique et non pas de ce style de sac à dos actuellement en vente aux formes et aux couleurs attrayantes. Maintenant que je cavale toute la journée après ma fille de 2 ans en stressant qu’elle ne se perde dans la foule lors d’une visite d’un parc animalier ou qu’elle ne se rue sur la route, j’ai réfléchi à cette possibilité.Un instant seulement car au final, je préfère encore la laisser libre, c’est à elle de découvrir ses limites et celles que nous, parents, lui imposons. « 

Virginie, 42 ans, maman de Soline, 13 ans et demi et d’Emerick, 11 ans : « Pour moi, cela doit rester occasionnel comme utilisation, mais peut être bien pratique lors de « manifestations de foule ». Par exemple, sur un marché bondé, il faut bien se libérer une main le temps de payer le commerçant et d’attraper la marchandise et donc être un peu moins concentrée sur « Premz ». Ajoute à cela un p’tit « Deuz' » à porter à bras et l’ utilité occasionnelle de cet accessoire peut être nettement plus évidente dans certaines circonstances. S’attacher à un enfant peut aussi être bien pratique dans les endroits où les poussettes ne passent pas facilement. Pourquoi cette « laisse » a quelque chose de choquant alors qu’il est « socialement accepté » de ligoter un enfant dans une poussette?« 

Céline, 31 ans, célibataire, sans enfant : « Pour moi, les « laisses » (ou harnais) sont pour les animaux domestiques et pas pour les enfants. On ne « promène » pas son enfant comme on sort son chien. Mieux vaut apprendre à ses petits à ne pas trop s’éloigner et les habiller de couleurs vives afin de les repérer facilement dans une foule. »

Anthony, 29 ans, en couple, sans enfant : « Si ce type de harnais offre des avantages certains en matière de sécurité, notamment dans les grandes villes, je ne suis pas pour autant persuadé que cela soit la meilleure des solutions. En plus de ‘déresponsabiliser’ l’enfant qui n’apprend dès lors pas ce qu’il peut faire ou ne peut pas faire par lui-même, cette ‘laisse’ risque de déresponsabiliser également les parents qui, munis de cette sécurité supplémentaire, pourraient, même inconsciemment, abaisser leur niveau de vigilance envers leur enfant, ce qui constitue pourtant la meilleure des sécurités. »

Kevin, 30 ans, papa de Félix, 1 an et demi : « Pour ma part, je ne suis vraiment pas pour. Les enfants ne sont pas des chiens et savoir les tenir en place doit faire partie de leur éducation: aux parents de se responsabiliser. Je ne vais pas non plus crier au scandale si j’en croise qui l’utilisent dans la rue, mais je n’utiliserai jamais ça avec mes enfants. »

Un sondage sur le site dédié aux parents et futurs parents Magicmaman révèle, de son côté, des avis assez favorables à l’utilisation du harnais. A la question: « Seriez-vous prêt à tenir votre enfant en laisse pour assurer sa sécurité ? », 41,8% répondent : « Oui, je ferai tout pour protéger mon bout’chou », 18,5% « Peut-être, si je n’ai pas trop d’alternative » et 39,7% s’insurge en choisissant « Pas question, c’est bien trop dégradant ! ».

L’avis de spécialistes de la petite enfance

Anne Bacus, psychologue et auteure de nombreux ouvrages sur la petite enfance, remet en cause sur le site Magicmaman le raccourci entre « laisse » et « chien » transposé aux enfants: « Je n’aime pas beaucoup l’idée qui voudrait qu’un enfant soit traité comme un chien parce qu’il porte un harnais autour de lui. Cette identification n’est pas bonne puisque les enfants, eux, ne se voient pas du tout comme des animaux, c’est uniquement un référentiel d’adulte ! ».

A la place, la spécialiste de la petite enfance pose plutôt des questions d’ordre moral : « Est-il acceptable de mettre une « laisse » ou un harnais à ses enfants dans l’optique de se rassurer ? Est-ce que l’image négative d’un enfant en laisse doit primer sur sa sécurité ? ». Sébastien Colson, Président de l’Association Nationale des Puéricultrices Diplômées et des Etudiantes (ANPDE) en France, est, pour sa part, d’avis que le harnais n’a pas vraiment sa place dans l’armoire puériculture de bébé : « Je pense qu’à vouloir tout contrôler, les parents se rassurent au détriment de la liberté de mouvement de l’enfant ».

La sécurité d’un tel accessoire est aussi fortement discutée : « En plus d’être perturbant moralement, porter un harnais ou une laisse peut devenir dangereux pour l’enfant. Si ce dernier veut par exemple courir et qu’il se fait violemment retenir par le cordage, cela peut lui faire mal… Au risque de se blesser ! ».

Qu’en est-il alors dans des endroits où l’affluence est grande? « Le harnais n’est pas une réponse suffisante aux angoisses des parents. Si un enfant décide d’explorer le monde, il le fera une fois que le harnais ne sera plus autour de lui. En la matière, il est impératif d’étudier en profondeur le vécu des parents pour leur apporter des réponses appropriées et beaucoup plus adaptées au comportement de l’enfant », ajoute Sébastion Colson.

Distanciation entre parents et enfants

De plus, le harnais participerait à la distanciation entre les parents et leur enfant, remettant en cause la confiance qu’ils ont envers leurs parents: « Mettre un harnais autour de son enfant inclut de facto une mise à distance avec lui. La main est beaucoup plus rassurante et permet de nouer le lien avec son petit, mais aussi de lui inculquer les premières consignes de sécurité« .

Pour Anne Bacus, le harnais est avant tout une question d’âge : « Bien évidemment qu’on ne met pas de harnais à un enfant de 3 ans ! Mais j’estime que les parents d’enfants en bas âge peuvent assurer la sécurité de leurs petits avec un harnais, surtout s’ils sont très agités, plutôt que de les laisser tenir une conduite dangereuse dans un endroit qui ne l’est pas moins ». La psychologue nuance: « Sans harnais, les parents peuvent également très bien se faire comprendre et avoir de l’autorité auprès de leur enfant. Si ce dernier s’enfuit et/ou désobéit, ce n’est pas tant les mots qui importent, mais plutôt la manière de le dire: avec une grosse voix et un regard extrêmement sérieux ».

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