Mort de Lucien Kroll: « Ses idées progressistes allaient à l’encontre de l’architecture moderniste »
Huit mois après avoir reçu son prix pour l’ensemble de sa carrière lors des Brussels Architecture Awards, Lucien Kroll, l’un des architectes majeurs d’après-guerre du pays, est décédé, à 95 ans.
Dag Boutsen, professeur d’architecture à la KULeuven, a travaillé dans le cabinet de ce grand architecte belge pendant près de vingt ans.
«Lucien Kroll était un enfant des idéaux de Mai 68. A ses yeux, l’architecture n’était pas au service des promoteurs immobiliers, des bureaux d’architectes ou du marketing urbain, mais au service des citoyens. Selon lui, les résidents, les utilisateurs finaux et les habitants des environs d’un projet devaient également avoir leur mot à dire dans le processus de conception et de construction.
Il a commencé à travailler ainsi dans les années 70: des projets tels que La Mémé, le logement des étudiants du campus médical de l’UCL à Woluwe-Saint-Lambert, et le lotissement Les Vignes Blanches à Cergy-Pontoise, en France, ont été accompagnés d’ateliers, de séances d’informations, de questionnaires et d’autres procédures permettant aux personnes concernées de participer réellement à l’avancée des travaux. Si elles ne co-dessinaient pas vraiment les plans, elles adaptaient les modèles à l’aide de ciseaux et de colle. Tout le monde sortait gagnant avec cette méthode de travail: les bâtiments étaient réalisés plus rapidement parce qu’ils bénéficiaient d’un large soutien, tandis qu’un gros œuvre durable, offrant de nombreuses possibilités d’adaptation, garantissait une longue durée de vie.
« Lucien Kroll est donc toujours resté un personnage assez marginal. »
Ses idées progressistes sur la co-conception et l’écologie allaient à l’encontre de l’approche brutale et top-down de l’architecture moderniste. «Les gens ont des souhaits et des besoins individuels, disait-il. Les architectes ne sont ni omniscients ni omnipotents.» Les critiques l’ont accusé d’éroder le rôle de lui et ses confrères, mais il se voyait plutôt comme un médiateur, un facilitateur qui sait s’effacer et laisse la place aux autres, tout en utilisant leur expertise et leurs compétences pour garantir le bon déroulement d’un projet. A l’UCL, il a d’ailleurs été mis à la porte trois mois avant la fin du projet — l’université craignait que toute cette participation estudiantine et cette liberté accordée aux jeunes ne finissent par dérailler.
Lucien Kroll est donc toujours resté un personnage assez marginal. Injustement, car il a toujours été très actif en France, aux Pays-Bas et en Italie, et les étudiants en architecture du monde entier connaissent son nom. Heureusement, son œuvre bénéficie du regain d’intérêt pour la durabilité et la cocréation de ces dernières années. Des initiatives comme le projet «New European Bauhaus» prouvent que les idées de Kroll sont bien vivantes.»
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