10 questions sur la masturbation vues par des sexologues - Unsplash
10 questions sur la masturbation vues par des sexologues - Unsplash

Masturbation: 2 experts répondent aux 10 questions que vous n’avez jamais osé (vous) poser

Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste
Nathalie Le Blanc Journaliste

A deux, est-ce forcément mieux? Pour qui est raccord avec ses désirs et son corps, le plaisir s’accorde aussi au singulier. Alors que le célèbre Womanizer fête ses 10 ans, deux experts font pour nous le point sur la masturbation.

L’occasion d’apporter les réponses à 10 questions fréquentes sur un sujet qui reste encore tabou, alors même que dans les mots immortels de Diams, « tout le monde le fait ». Pas que ce soit obligé, notez: fréquence, technique, désir, deux sexologues abordent la masturbation sous toutes ses formes, ou presque.

Mais d’abord, qu’est-ce que la masturbation?

«Il s’agit d’un contact délibéré avec le corps dans le but d’obtenir une sensation de plaisir et éventuellement d’atteindre l’orgasme, explique le sexologue Sam Geuens. Lorsqu’on parle de sexe, on pense souvent à la pénétration, mais le sujet est beaucoup plus vaste, et la masturbation est simplement du sexe en solitaire. La sexualité est un sujet périlleux à aborder, et le sexe en solo l’est plus encore.» Quant à savoir ce qu’implique précisément la masturbation, cela sera différent pour chacun, explique sa consœur Laurane Wattecamps: «Chaque corps humain est unique et nous avons tous des manières différentes de prendre et de nous donner du plaisir.» Et de préciser que pour «apprendre» à bien se masturber, il n’y a qu’une chose à faire: essayer. «Le mieux est d’explorer son corps pour découvrir ses zones érogènes, ce qui fait du bien, ce qui va réveiller les terminaisons nerveuses… C’est vraiment une approche individuelle, qui doit toujours se faire dans l’écoute et le respect de soi, mais aussi en se rappelant, si on ne s’y retrouve pas, que la masturbation n’est pas obligatoire.» Bon à savoir: ces dernières années, plusieurs plates-formes telles que Climax ou OMGyes ont vu le jour, et proposent des vidéos didactiques pour apprendre à se masturber.

Peut-on trop se masturber?

«La notion de «trop» est très subjective, parce que ce qui va l’être pour une personne peut être trop peu pour une autre», nuance celle qui signe l’ouvrage Déconstruire le cul. Et de préciser qu’en termes cliniques, «une pratique de la masturbation tient de l’hypersexualité à partir du moment où elle est obsessionnelle, c’est-à-dire qu’elle crée de la souffrance chez l’individu qui ne peut pas s’empêcher d’y penser, et que ça impacte sa vie au quotidien, au travail par exemple». Par contre, «si on pratique une masturbation régulière, même plusieurs fois par jour, sans souffrance et avec plaisir, il n’y a jamais de ‘trop’». Alors, peut-il y avoir du «trop peu»? Là aussi, Laurane Wattecamps se veut rassurante, et pointe que ce risque n’existe pas, puisque «même si on ne se masturbe jamais, tant qu’on le vit bien, ce n’est pas un problème. Si on se réfère au manuel des troubles mentaux DSM-5 ou aux guides de l’OMS, on peut voir que la masturbation est un signe de bonne santé sexuelle, mais elle n’est pas obligatoire pour autant. Il est important de ne pas provoquer de honte chez une personne qui n’aimerait pas ça».

Y a-t-il un âge pour se donner du plaisir?

Comprendre: en tant que parent, faut-il s’inquiéter si on prend Juniore ou Minus sur le fait? «La masturbation, ou en tout cas les pressions au niveau de la zone génitale surviennent très tôt, explique Laurane Wattecamps. Les fœtus se frottent déjà dans l’utérus, évidemment de manière très inconsciente et pas sexuelle, mais ensuite, les enfants vont découvrir des formes de caresses qui vont leur procurer des sensations agréables. Il s’agit de découvrir son corps, ce n’est pas connoté sexuellement, et ce qui est important en tant que parent, c’est de ne pas provoquer de la honte chez l’enfant. Il faut bien lui faire comprendre que son corps lui appartient et qu’il peut faire ce qu’il veut, mais dans son intimité. Si on lui dit «tu ne peux pas faire ça, c’est pas bien», cela risque d’impacter négativement la construction de son rapport au corps», met en garde la sexologue bruxelloise. Et Sam Geuens d’appuyer ses propos, notant que ce n’est que quand ils sont prêts sur le plan cognitif que les enfants réalisent que ces attouchements sont encore plus agréables lorsqu’ils s’y adonnent délibérément, un cap franchi vers l’âge de 10 ans en moyenne. Ce qui peut sembler précoce, mais il ne s’agit au fond que d’une continuation de ce qu’on fait déjà en tant que bébés. Ces gestes sont toujours là, mais ils ne deviennent de l’autogratification que lorsque la psychologie et la composante sociale les rendent sexuels. «La masturbation est une étape dans le développement de l’enfant, rappelle encore Sam Geuens. Si vous n’apprenez pas comment fonctionnent votre corps et votre sexualité, vous ne pourrez pas non plus l’expliquer clairement à votre partenaire plus tard, et c’est la porte ouverte à tous types de problèmes sexuels.»

Quel rôle joue le fantasme?

«La jouissance peut venir de manières différentes: soit on se masturbe sans chercher d’orgasme, soit on cherche cette décharge mécanique pour bénéficier de l’afflux d’hormones qu’elle amène. A-t-on besoin de fantasmer pour y arriver? Oui et non. On peut avoir recours à des supports, qui vont faire le job à notre place (porno, audios érotiques…) et stimuler l’excitation pour accéder à l’orgasme. Mais on peut aussi avoir recours à l’imaginaire érotique et à ses fantasmes. En matière de sexualité, il n’y a pas de «il faut» ou «je dois», sinon on est dans la performance, mais dans ma pratique, j’observe que la pensée érotique est un ingrédient important pour rendre les moments de masturbation plaisants, et pas les limiter au plaisir mécanique de la décharge. En fantasmant, on laisse son esprit vagabonder et on transforme la masturbation en moment de soin de soi où on se donne du plaisir et de l’amour à travers la masturbation», explique Laurane Wattecamps.

Jouit-on différemment accompagné ou en solitaire?

Parfois, c’est le cas, concède Sam Geuens. «Lorsque vous tenez votre pénis en main ou que vous vous caressez, vous avez un retour d’information instantané. Vous savez immédiatement ce que vous ressentez, ce qui est agréable et ce qui ne l’est pas, et donc ce qu’il faut faire pour avoir plus de plaisir. Notre anatomie joue également un rôle. Votre propre bras et votre propre main ont la position parfaite pour le sexe en solitaire, alors que quelqu’un d’autre ne peut pas tenir ou caresser votre pénis ou votre vulve de la même manière. L’expérience du sexe en solo est donc différente. Pas nécessairement meilleure, mais différente. En raison de cette rétroaction directe, les orgasmes en solo sont parfois plus rapides, plus intenses ou plus longs. Mais pour certaines personnes, un orgasme lors d’un rapport sexuel avec leur partenaire est tout simplement plus intense parce qu’il implique des touchers différents, des sensations différentes et une signification différente.»

Faut-il s’inquiéter si on n’a plus envie de se masturber?

«On pourrait remplacer «se masturber» par «faire l’amour» et la réponse serait la même. Le désir n’est pas linéaire, et la libido non plus: ils se manifestent de manière ponctuelle, on va parfois en ressentir beaucoup, ou très peu, mais ce n’est pas figé, rassure Laurane Wattecamps. Oui, les envies évoluent avec le temps et avec l’âge, mais elles peuvent aussi évoluer en une journée. On ne peut pas prévoir les périodes de sa vie où on aura plus ou moins de libido, parce qu’il y a plein de facteurs qui l’influencent. Maintenant, en termes plus psychologiques, c’est tout à fait possible qu’en vieillissant, on gagne en confiance en soi, donc qu’on soit plus à l’aise avec son corps et qu’on développe plus d’envies d’exploration, notamment en solo.»

Existe-t-il des différences de masturbation selon les sexes?

Scientifiquement, il n’y a pas de différence physique, affirme Laurane Wattecamps. Même si le pénis est visible et que la vulve et le clitoris sont quelque peu cachés, il s’agit des mêmes composants, organisés de manière différente. Les effets physiologiques de la masturbation sont donc les mêmes. Mais le sexe en solo s’inscrit également dans un contexte culturel, et pas uniquement corporel. «Le mot vulve vient du latin pudendum, qui signifie honte. L’idée qu’il est honteux de se toucher en tant que femme a perduré pendant très longtemps et le tabou de la masturbation féminine reste plus répandu aujourd’hui. Du reste, il n’y a pas de différences entre les personnes, seulement des stéréotypes de genre qui conduisent à des différences dans la pratique de la masturbation.»

Les études montrent ainsi que les hommes se masturbent en moyenne un peu plus souvent que les femmes, renchérit Sam Geuens. «En Occident, 45 à 75% des femmes déclarent s’être masturbées au cours de l’année écoulée, contre 80 à 85% pour les hommes. Et nous constatons aussi une différence de motivation. Les femmes indiquent qu’elles pratiquent aussi la masturbation dans un but d’exploration personnelle, pour apprendre à se connaître et chercher des moyens et des techniques pour s’exciter et jouir. Chez les hommes, cette motivation est également présente, mais il s’agit le plus souvent de plaisir: relaxation, décharge, orgasme, soulagement du stress. La motivation semble également varier au sein du couple. Les hommes en couple disent plus qu’ils considèrent la masturbation comme une solution s’ils souhaitent avoir des rapports sexuels plus fréquents. Le sexe en solo comme une sorte de compensation, en d’autres termes. Les femmes la décrivent plus souvent comme complémentaire. Elles aiment faire l’amour avec leur partenaire, mais disent que le sexe en solo leur apporte quelque chose d’autre. L’orgasme, surtout. Elles ne jouissent pas nécessairement toujours pendant les rapports avec leur partenaire, mais elles jouissent pendant les rapports solitaires.»

A côté du Womanizer, l’offre s’est fortement étoffée. Mais quel sextoy choisir?

«C’est une question complexe, sourit la créatrice de @sexplique_moi. Tout comme la masturbation n’est pas obligatoire, le recours à un sextoy ne l’est pas non plus: on peut très bien s’aider de ses mains, d’un coussin… Si on veut utiliser un jouet, on choisira le modèle en fonction de l’effet recherché: il faut tester pour découvrir ce qui nous convient.» Reste que quoi qu’il en soit, les sextoys sont «plus populaires que jamais», se réjouit Sam Geuens. Qui rassure celles et ceux qui auraient peur de s’habituer à l’intensité de certains jouets et donc, à jouir moins vite avec un partenaire: «Je n’ai lu aucune preuve scientifique de ce phénomène.»

Quels sont les bienfaits mentaux et physiologiques d’une pratique régulière?

«La masturbation a beaucoup de bienfaits, que ce soit physiologiques ou mentaux, parce que quand on touche son corps et qu’on se fait du bien, on sécrète une série d’hormones: la sérotonine, l’ocytocine, l’endorphine et aussi de la dopamine, voire même parfois de l’adrénaline. Toutes ces hormones sont celles dites «du bonheur», et elles ont des effets anxiolytiques, antidouleur et antidépresseurs. D’ailleurs, on observe que des personnes très anxieuses ont recours à la masturbation pour ramener du calme dans le corps», explique Laurane Wattecamps.

Et il ne s’agit là que de quelques-uns des bienfaits du sexe en solitaire pour la santé, appuie son confrère. Ainsi, «les personnes sexuellement actives ont un risque réduit de maladies cardiovasculaires et de diverses maladies neurologiques ainsi que de démence. Les gens qui souffrent de migraines peuvent bénéficier de rapports sexuels en solitaire, qui atténuent le problème chez environ un tiers des patients. La sexualité est un effort physique, ce qui veut dire que l’excitation et l’éjaculation constituent un exercice pour votre système cardiovasculaire, que vous le fassiez avec un partenaire ou seul».

Comment aborder le sujet de la masturbation en couple?

«Les relations avec un partenaire ne remplacent pas celles en solitaire», assure Sam Geuens. «Les bénéfices sont différents», renchérit Laurane Wattecamps, qui conçoit que ce «jardin secret» puisse être épineux à naviguer à deux. Le fait de savoir que son partenaire se masturbe peut être source de conflit si l’on pense qu’on ne suffit donc pas. Pourtant la sexualité seul(e) et celle en couple ne relèvent pas du même registre. La masturbation peut être utilisée de façon plus mécanique, pour se détendre. Et c’est une façon de ne pas faire porter la responsabilité de ses désirs à son partenaire. «Ce n’est pas une bonne idée de demander à l’autre de ne pas se donner du plaisir en solo, c’est une violation de sa liberté», ajoute l’experte. Voir la masturbation comme une infidélité est regrettable, reconnaît son confrère: «Les chances de rencontrer un partenaire qui a les mêmes besoins sexuels sont maigres. Cette différence devient un problème si l’on n’y fait pas face à deux, or la masturbation est un moyen d’y remédier.» Son conseil? «Parlez-en. Demandez à l’autre ce qu’il fait, pour éviter de se faire des idées. Montrez-lui comment vous vous faites du bien, en vous masturbant ensemble. Cela peut être gratifiant lorsqu’il est plus difficile de faire l’amour, lors d’une grossesse, de la vieillesse, d’une maladie… Les gens font souvent l’amour de la même manière. Mais en tant que couple, vous serez plus résistants si vous disposez d’un éventail de scénarios si des difficultés sexuelles surviennent.» 

Nos experts en bref

Sam Geuens est sexologue clinicien et professeur à la haute école PXL.

Laurane Wattecamps, alias @sexplique_moi sur Instagram, est sexologue et autrice de Déconstruire le cul: pour une sexualité libre, choisie et non normée (éditions Le Courrier du Livre).

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