Rencontre avec Titouan Bernicot, l’homme qui réparait les coraux

titouan Bernicot kenzo
Isabelle Willot

Titouan Bernicot vit à Moorea. Avec ses amis surfeurs, il a fondé  les Coral Gardeners. Ensemble, ils ambitionnent de replanter plus d’un million de coraux. Et de devenir « le programme de conservation le plus cool de la planète ». Rencontre.

Pour la plupart d’entre nous, voir la mer pour la première fois est un souvenir que l’on n’oublie pas. Dans la vie de Titouan Bernicot, les vagues du lagon ont toujours été là. «Jusqu’à l’âge de 3 ans, j’ai grandi sur l’atoll d’Ahe, un îlot minuscule de l’archipel de Tuamotu, raconte-t-il. Mes parents y exploitaient une ferme perlière. Nous vivions un peu comme des Robinsons »

On leur livrait alors leur nourriture par bateau une fois par mois. « J’ai en tête ces images de moi flottant avec mes brassards, entouré de chiens pêcheurs et de petits requins à pointes noires totalement inoffensifs, poursuit-il. Je crois bien que j’ai su nager avant même de pouvoir marcher. Le récif a été et restera toujours mon terrain de jeu préféré.»

Dans les nurseries, les poissons reviennent peu à peu.

Cet écosystème fragile et menacé, Titouan (26 ans) et ses amis ont choisi de le protéger. Installé sur l’île de Moorea, le jeune homme y pilote depuis 2017 le projet des Coral Gardeners. Il s’est donné pour mission de replanter un million de coraux. Chez lui mais aussi à Fidji, en Thaïlande et peut-être à Hawaii, il compte bien tout faire pour cela.

Une eau tout en couleurs

Lui qui quitte rarement la Polynésie française nous a donné rendez-vous dans un hôtel particulier parisien noyé par la pluie froide et grisâtre. Il a fait le déplacement pour le lancement de la collaboration qu’il vient de nouer avec Kenzo Parfums. Fidèle au mantra de son fondateur qui rêvait d’une «eau tout en couleurs», la marque française finance désormais «son» jardin aquatique avec déjà pas moins de 11.000 boutures en nurserie.

‘Les gens ne changeront pas du jour au lendemain leur manière de vivre mais on peut leur proposer d’agir à leur échelle.’

«Désolé si j’ai la voix un peu cassée, c’est la faute au choc thermique, s’excuse-t-il en riant. Je reviens de Thaïlande, où nous venons d’ouvrir une nouvelle antenne. J’ai passé beaucoup de temps dans l’eau. Désormais, d’anciens pêcheurs à la dynamite qui détruisaient les récifs ont rejoint nos «jardiniers».» Rien ne peut réjouir davantage le jeune surfeur que de voir son rêve essaimer là où le corail est en péril.

Organismes vivants en péril

Et l’heure n’est plus à la tergiversation: en 2025, plus de 83% des récifs de la planète ont déjà perdu leurs couleurs, avec les conséquences dramatiques que cela risque d’entraîner. «Les coraux ne sont pas juste beaux à regarder, insiste Titouan Bernicot. Ce sont des organismes vivants qui abritent aussi des milliers d’espèces marines. C’est là que grandissent les poissons que nous mangeons dans les îles.» Ce sont les récifs aussi qui protègent les terres de la puissance des vagues.

Des petits coraux prêts à être réintroduits sur le récif

«Tout était devenu blanc»

«Les récifs de coraux sont les premiers écosystèmes qui sont réellement en train de s’effondrer», pointe le docteur Austin Bowden Kerby. Installé à Fidji, il est l’un des experts mondiaux de la restauration des récifs en péril. Très vite, il a décidé d’aider les jeunes de Moorea à optimiser leurs méthodes.

«C’est toute la manière de vivre des habitants du Pacifique qui risque d’être purement et simplement annihilée, alerte-t-il dans le documentaire Titouan – Les enfants du corail du réalisateur Karim Mahdjouba, sorti en France sur les écrans ce 19 juin. Nous deviendrons des réfugiés climatiques si nous n’agissons pas tout de suite. C’est une réelle situation d’urgence.» ​

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Titouan Bernicot a 16 ans lorsqu’il fait avec son petit frère la découverte qui va bouleverser toute sa vie. «Nous étions partis surfer, rappelle-t-il. Nous avons jeté nos planches à l’eau et nous avons nagé vers le large. En attendant les vagues, nous avons regardé sous nos pieds. Normalement tout est coloré. Mais là tout était devenu blanc. Je suis rentré à la maison. J’ai tapé «corail blanc» dans Google. Et j’ai compris… Tout peut aller tellement vite, il suffit d’un petit choc thermique.»

La forêt tropicale des mers

Titouan appelle alors un ami biologiste qu’il a rencontré lors d’une randonnée sur son île. «Il m’a expliqué que nos récifs étaient un peu comme «la forêt tropicale des mers», poursuit-il. Avec mon groupe de copains, nous avons décidé d’agir, d’abord à notre toute petite échelle.» A la manière des entrepreneurs de la tech qui autrefois bidouillaient des cartes mère dans leurs garages, les adolescents se mettent à faire des tests en récupérant des morceaux de coraux cassés mais toujours vivants qu’ils tentent de bouturer dans le lagon qui bordent la maison des parents de Titouan.

Attention, récif en péril

  • Les récifs de coraux abritent 25% de la vie marine de notre planète.
  • Près de deux millions d’espèces différentes y vivent et un quart des poissons y grandissent, y compris des espèces que nous consommons.
  • Les coraux sont de petits animaux, appelés polypes, qui peuvent constituer des colonies.
  • Ils vivent en symbiose avec les zooxanthelles, des algues qui leur fournissent leur nourriture et sont responsables de leur couleur.
  • En cas de stress thermique, notamment, le corail expulse l’algue, se décolore et risque à terme de mourir.
  • En avril dernier, l’agence américaine d’observation océanique et atmosphérique annonçaient que 83,7% des récifs de la planète étaient déjà touchés.

Google et Kenzo à la rescousse

Cette démarche séduira d’ailleurs Larry Page, l’un des cofondateurs de Google et sa femme, Lucinda Southworth qui leur offriront plusieurs millions de dollars au fil des années pour financer leur centre de recherche. «Nous avons très vite compris que l’argent dont nous avions besoin ne viendrait pas des gouvernements, constate Titouan Bernicot. Il nous fallait trouver des fonds.»

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Le bac en poche, le jeune Tahitien s’inscrit alors à Bordeaux dans une école de commerce. Très vite, il se demande ce qu’il fait là. Même les vagues de l’Atlantique ne parviennent pas à le retenir. «Surfer en combi, ce n’est vraiment pas pour moi, plaisante-t-il. Plus sérieusement, je savais que le temps pressait et je me sentais complètement inutile là-bas. J’ai tout plaqué pour mettre sur pied les Coral Gardeners en 2017.»

Des stars au secours des récifs

Il rentre et investit le petit capital qu’il a pu rassembler en vendant des perles sur le continent dans le matériel dont l’équipe a besoin. Des outils pour bouturer sous l’eau bien sûr mais aussi des appareils photo et des caméras. Enfants de leur époque, Titouan et ses amis ont bien conscience de l’importance de la communication dans la réussite potentielle de leurs projets. Ils veillent aussi à distiller un message avant tout positif. Et ça marche.

Objectif 1 million de coraux

En moins de huit ans, «Tits» et ses amis jardiniers ont déjà replanté plus de 100.000 coraux et l’équivalent grandit gentiment dans les nurseries. Pour y parvenir, ils sélectionnent des fragments de «supercoraux», soit les individus les plus résistants à la chaleur tout en veillant à garantir une diversité génétique suffisante. Ces fragments sont placés dans les nurseries où ils se développent pendant 12 à 18 mois. Le tout est désormais monitoré par l’intelligence artificielle qui surveille la croissance des coraux mais aussi le retour des espèces marines. En 2023, pour la première fois, une ponte d’œufs de coraux a même pu être observée. Les coraux sont ensuite transplantés sur le récif marin avec un taux de survie d’environ 70%.

Sur le compte Instagram de l’ONG, le nombre d’abonnés explose jusqu’à approcher le million. Des stars de renommée internationale – comme l’acteur Matt Damon et l’astronaute Thomas Pesquet – leur apportent leur soutien en venant planter des coraux à leurs côtés.

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L’Hawaïen Jason Momoa qui incarne Aquaman convainc même les producteurs de la franchise de réaliser un trailer en partie en noir et blanc dans lequel l’acteur invite ses fans à «redonner des couleurs» à l’océan en soutenant les jeunes de Tahiti.

Thomas Pesquet, l’un des soutiens des CG


Sur le site des CG, il est ainsi possible pour 30 dollars d’adopter un corail et d’en suivre le développement au quotidien. Tout cela grâce à des caméras submersibles équipées d’un logiciel d’intelligence artificielle développé par des anciens de chez Tesla et Microsoft venus renforcer l’équipe qui compte aujourd’hui pas moins de 90 salariés.%

La chasse aux partenariats

Le pari des jeunes gens a su séduire de grandes marques – Rolex, K-Way et maintenant Kenzo, entre autres – qui selon le rapport d’activité de 2023 contribuent à pas moins de 40% des financements de l’ONG. Le charisme de Titouan mais aussi sa capacité à s’entourer de scientifiques sérieux capables de développer des équipements de pointe compte pour beaucoup dans le succès du projet.

Titouan Bernicot, passe plus de temps désormais à négocier des deals – ici avec Rolex – que dans l’océan.
© Rolex/Tim McKenna

«Honnêtement, je passe sans doute plus de temps aujourd’hui à négocier des deals qu’à planter des coraux comme je rêverais de le faire, admet-il. Je sais qu’on nous attend là-dessus mais je ne m’associerai jamais avec un groupe ou une entreprise qui ne partage pas nos valeurs. Notre activisme est créatif et joyeux. Nous sommes la génération d’après Greenpeace. Ils nous ont inspirés et ont ouvert la voie. Mais hélas, ces courants radicaux ont aussi dégoûté énormément de personnes de l’écologie. Pour moi, il ne faut pas se voiler la face: les gens ne changeront pas du jour au lendemain leur manière de vivre mais on peut leur proposer d’agir à leur échelle.»

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Empowerment local… et mondial

Un discours étonnamment en phase avec celui de l’expert belge du GIEC François Gemenne qui posait début juin le même constat. «Le fait de donner toujours des nouvelles plombantes au sujet du climat finit par créer une forme de découragement et de désespoir, confiait-il à nos confrères de l’émission française C dans l’air. (…) Il faut aussi pouvoir montrer aux gens qu’il y a des solutions qui existent. Qui peuvent même leur permettre de vivre mieux.»

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Ce que Titouan Bernicot appelle «l’empowerment» local mais aussi mondial. «Un autre volet de notre travail est de sensibiliser les enfants de nos communautés, plaide-t-il. De donner du boulot aussi à des gens qui ont besoin des récifs pour survivre ».

Titouan Bernicot en bref

  • Naissance à Tahiti le 28 mai 1998.
  • En 2015, lors d’une sortie de surf, il tombe pour la première fois sur du corail blanchi et prend conscience des dangers qui menacent le récif de son enfance.
  • En 2017, il abandonne ses études de commerce à Bordeaux et fonde les Coral Gardeners.
  • En 2023, son association reçoit le soutien de Rolex, d’autres collaborations se nouent ensuite avec K-Way ou Billabong. L’association ouvre une première branche internationale à Fidji.
  • En 2025, les Coral Gardeners deviennent le visage du nouveau parfum non genré Eau Pure de Kenzo. Le jardin sous-marin de Kenzo devrait à terme accueillir pas moins de 23.000 coraux.

A ceux qui à New York ou Milan lui demandent en quoi cela peut les impacter, il répond: «Pas de récif, pas d’océan, pas d’océan, pas d’air, c’est aussi simple que ça. Je rêve de leur mettre une bouteille d’oxygène sur le dos et de les emmener avec moi voir sous l’eau l’étendue des dégâts ».

Le retour de la ponte

Leur montrer aussi ce qu’ils sont parvenus à faire. « Sur un seul «arbre à corail» par exemple, en seulement 13 mois, nous avons comptabilisé une augmentation de 50% de la population des poissons dans la zone, insiste-t-il. Aussi, et c’est exceptionnel, depuis 2023, nos coraux recommencent à pondre.»

Avec leurs vidéos qui peuvent être vue des millions de fois, nos jardiniers marins ambitionnent de devenir «le programme de conservation le plus cool de la planète». Les images qu’ils montrent et que l’on peut découvrir aussi dans le documentaire de Karim Mahdjouba ont, il est vrai, de quoi rendre le sourire même aux plus pessimistes. «Comment ne pas craquer devant nos bébés coraux?, sourit Titouan Bernicot. On dirait des petits Pokémon.»

Signe de santé des nurseries, les coraux se remettent à pondre


Pour la première fois sans doute depuis que nous parlons ensemble, on se souvient que notre surfeur de 26 ans à peine et ses amis se sont lancés dans cette folle aventure avec la détermination de la jeunesse convaincue qu’elle a entre les mains le pouvoir de rendre le monde meilleur. C’est sûr qu’ils y croient. Ils s’attèlent à réparer l’océan en tout cas. Un corail à la fois.

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