Le Guide du Routard a 50 ans : rencontre avec son fondateur, Philippe Gloaguen

Philippe Gloaguen Guide du Routard
Philippe Gloaguen, fondateur du Guide du Routard © PHOTO RENAUD CALLEBAUT

Dans sa jeunesse, cet auto-stoppeur infatigable rassemblait dans un carnet ses bons plans pour voyager pas cher. Après dix-huit refus, une maison d’édition accepte de publier le premier Guide du Routard. Cinquante ans plus tard, Les 50 voyages à faire dans sa vie fêtent un demi-siècle d’escapades aux cent coins du globe.

Comment expliquez-vous le secret de longévité de votre guide?

Le secret, c’est l’écoute. On me demande tout le temps comment le Routard a pu durer si longtemps. Et c’est simple. Nous recevons environ 10 000 lettres et 25 000 mails chaque année. Cela nous permet de connaître la température exacte de nos lecteurs. En fait, nous ne sommes pas des gens exceptionnellement brillants. Mais nous écoutons.

Votre approche se veut aussi engagée, par-delà le recueil de bons plans…

S’intéresser au monde, c’est s’intéresser aux peuples. Pendant six ans, j’ai fait partie du comité de surveillance de la Fédération internationale des Droits de l’Homme. Et j’ai vite compris une chose: pour embêter les dictatures, il faut informer les lecteurs.

Dès les années 80, nous avons réservé des chapitres de nos guides aux droits humains. J’ai même été interdit de séjour durant onze ans en Tunisie à cause de ce qu’on avait écrit sur le président Zine el-Abidine Ben Ali.

J’ai aussi été le premier, à l’époque, à expliquer que les bars de Bangkok étaient des lieux de prostitution, ce qui n’a pas du tout plu à la Thaïlande. Avoir un impact est la plus belle chose de ma vie.

Vous avez un exemple concret?

Un jour, l’ambassade de France de Bangkok m’a contacté pour me demander de les aider à sortir une Française emprisonnée pour trafic de drogue. Elle était bien sûr innocente. J’ai contacté mon concurrent, le fondateur de Lonely Planet, et avec nos relations respectives, nous nous sommes battus durant cinq mois pour obtenir la libération de cette fille.

On a réussi. J’en reste très fier aujourd’hui. Depuis, les gens de Lonely Planet, avant d’être des concurrents, ce sont des amis.

Souffrez-vous de la prolifération en ligne d’informations sur les voyages?

Un algorithme ne remplacera jamais les journalistes. Notre choix a toujours été de dire la vérité au lecteur. Voilà pourquoi Internet ne m’inquiète pas. Les gens préfèrent marcher en terrain connu, sans se demander si tel commentaire provient d’un hôtelier jaloux ou tel autre avis d’un responsable marketing. Ceux qui nous sont fidèles connaissent notre sincérité. C’est notre force face au numérique.

D’une certaine façon, vous luttez aussi contre le tourisme de masse…

Le problème de ce dernier, c’est la concentration. Aujourd’hui, 95% des touristes se rendent sur 5% de la superficie du globe. Il est là le souci. Moi, je pourrais vous présenter une Espagne magnifique que vous ne connaissez pas: l’España Verde. Celle de l’intérieur, de la Castille, des Asturies, de la Galice. Mais tous les touristes sont concentrés sur la Costa Brava. Je reste, personnellement, un fervent adepte du «pas de côté».

En un demi-siècle, comment a évolué le Routard qui vous lit?

Le voyageur évolue constamment. Quand j’ai commencé le Guide du Routard, j’étais un étudiant fauché. Je m’adressais donc aux étudiants fauchés. Au fil des années, le globe-trotteur a délaissé le camping et l’auto-stop pour un hôtel de charme et une voiture de location. Aujourd’hui, il veut parfois du slow ou parfois des choses plus chics, donc nous suggérons trois catégories de prix dans nos guides. Nous touchons toutes les strates de la population.

Et vous, comment avez-vous évolué en tant que voyageur?

La proximité est ma seule nécessité. Je ne suis plus à l’époque où il m’arrivait de dormir à l’Armée du Salut ou dans un commissariat de police. Je ne dis pas que je loge désormais uniquement dans des hôtels luxueux, même si ça m’arrive. La vérité, c’est que je suis handicapé en raison d’une maladie orpheline contractée en 1989, et donc, je marche mal. Pour moi, le critère numéro un, c’est la proximité. Dans la vallée de l’Asco, par exemple, je vais toujours dans un petit hôtel situé à 30 mètres des gorges.

S’il ne fallait retenir qu’un lieu…

J’ai fait des voyages exceptionnels. J’ai passé une nuit dans la réserve amérindienne de Navajo. J’ai dîné avec des maharajas en Inde. J’ai pêché du poisson avec des pêcheurs au Sri Lanka, que nous avons ensuite grillé au barbecue sur la plage… Mais les plus beaux voyages sont ceux qu’on fait avec les personnes qu’on aime.

Je passerai le dernier jour de ma vie sur l’île de Ré. J’ai acheté une maison là-bas. C’est un endroit fantastique. J’ai un voisin, dont je tairai le nom, qui est parmi les cent premières fortunes de France. Son chauffeur le conduit jusqu’à la gare de La Rochelle, et là, il troque sa Mercedes contre une petite Twingo pourrie. Sur l’île, personne ne sait qui il est. Tout le monde joue à la pétanque ensemble et ça s’engueule. C’est pas Saint-Tropez, c’est la vraie vie.

Les 50 voyages à faire dans sa vie, Hachette. Plus d’infos

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