Le tourisme en chute libre au Pérou, plombé par la crise

Regard au loin, « l’Inca » avec son casque, ceinture, ses protections et sandales dorés, ses tissus bariolés, pose mécaniquement devant le site archéologique d’Ollantaytambo, porte du célèbre Machu Picchu au Pérou. Le costume brille au soleil, mais le coeur n’y est pas.

Regard au loin, « l’Inca » avec son casque, ceinture, ses protections et sandales dorés, ses tissus bariolés, pose mécaniquement devant le site archéologique d’Ollantaytambo, porte du célèbre Machu Picchu au Pérou. Le costume brille au soleil, mais le coeur n’y est pas. 

Secoué par des troubles qui ont fait 48 morts depuis le 7 décembre, le Pérou dont l’économie repose en partie sur le tourisme, grand pourvoyeur d’emplois, attirait quelque 4,5 millions de visiteurs avant la pandémie de coronavirus. 

Le secteur tablait sur 2022 et 2023 pour rebondir mais les troubles et la crise politique ont fait fuir les touristes, laissant ceux qui en vivent désemparés. 

« L’Inca » Juan Pablo Huanacchini Mamani, 48 ans, qui travaille avec les touristes depuis l’enfance, se désole de voir le site « désert ». 

Située à une soixantaine de kilomètres de la ville de Cuzco, la citadelle inca et touristique du pays, Ollantaytambo, porte d’entrée au Machu Picchu, accueille habituellement jusqu’à 4.000 visiteurs par jour sur ses célèbres terrasses. 

Il ne sont désormais qu’une centaine le week-end, les deux seuls jours où le site est ouvert, avec l’accord des protestataires, pour permettre aux habitants de survivre.  

« C’est la désolation »

Les régions andines, du sud du pays, sont à l’origine de la contestation née de la tentative de dissoudre le Parlement de l’ancien président Pedro Castillo, destitué le 7 décembre. Les manifestants réclament la démission de la présidente Dina Boluarte et la tenue immédiate d’élections générales. 

« Nous vivons une crise terrible. Les hôtels, les restaurants, les paysans (…) les commerçants, les vendeurs… On vit du tourisme, mais il n’y en a pas. D’habitude, je peux gagner 100 soles (25 euros par jour), mais que puis-je gagner s’il n’y a personne? C’est la désolation », se lamente-t-il.

Selon les chiffres du ministère du Tourisme, la crise coûte 25 millions de soles par jour au pays (6 millions d’euros) avec une chute de 83% du taux d’occupation des hôtels. 

A Cuzco, Abel Alberto Matto Leiva, directeur régional du tourisme aligne des chiffres qui donnent le tournis. « 75% de la population à Cuzco (1 million d’habitants), travaille directement ou indirectement dans le tourisme. 9.000 guides, 5.000 porteurs (sur le chemin de l’Inca jusqu’au Machu Picchu), 2.500 agences de voyages et toute une chaîne » avec « hôtels, restaurants, taxis » ainsi que toute l’intendance, souligne-t-il. 

Quelque 20.000 personnes sont au chômage, les projections pour mars sont de 120.000, ajoute-t-il. 

A Cuzco, d’innombrables restaurants et hôtels ont préféré fermer pour limiter les coûts.  

Bouée de sauvetage

« Nous sommes en chute libre et on ne sait pas quand cela va s’arrêter », explique Henry Yabar, vice-président de la chambre hôtelière, qui a fermé son établissement 3 étoiles d’une quinzaine de chambres. 

« En ce moment, il y a 250 personnes (touristes) en ville. En haute-saison, c’est 10.000! », souligne M. Yabar.  

La crise politique porte « un coup fatal après la pandémie. On parle de 95% d’annulations », dit-il. Quelque 30% des 1.200 hôtels et auberges –la majorité des petits établissements appartenant à des locaux– ont « déjà fait faillite », dit-il. 

Il demande une « bouée de sauvetage », un plan d’urgence de l’Etat, un moratoire sur les emprunts contractés pendant la pandémie, des reports d’impôts. « On espère que ça ira mieux en juillet. +On+, ceux qui ont auront survécu… »

perou
© Belga Images

Dans les marchés pour touristes, la grande majorité des stands sont fermés. Filomena Quispe, 67 ans dont 35 passés à vendre de l’artisanat, tricote dans son petit local près de la Place d’armes de Cuzco. Entourée de bonnets, la vieille dame, parée d’un châle andin multicolore, attend en vain des clients. 

« Je n’ai pas vendu pour un seul sol aujourd’hui. Qu’est ce qu’il me reste à faire? Fermer et rentrer », dit-elle.

« Ce mois-ci, je n’ai pas vendu assez pour manger. On vit avec nos petites économies. On ne reçoit aucune aide, nous les artisans sommes oubliés », poursuit-elle, sans retenir ses larmes. 

Des milliers de commerçants vivant de l’économie informelle n’ont plus ou peu de revenus alors que 14.000 artisans locaux devraient voir leurs débouchés se réduire drastiquement, selon les autorités.

A Ollantaytambo, les rares touristes se consolent, parfois avec ironie, de la situation. « La visite est fantastique, il n’y personne à part nous », souligne Sandeep Cliff, médecin à  Londres. 

« On est venu spécialement ici pour aller au Machu Picchu, qui était un rêve de toujours. Comme je vieillis, je m’étais dit +c’est le moment+ et il y a une semaine on m’a dit qu’il était fermé!+ », raconte-t-il

Il reste toutefois philosophe: « C’est dommage pour nous (…) mais pour les gens ici c’est dur (ils) manifestent pour une raison et nous avons le privilège de pouvoir voyager. (Les troubles) ça gâche un peu les vacances mais ils ont leurs raisons et on doit les respecter ».

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