François Chladiuk
« Mon nom indien, c’est Lonewolf, Loup solitaire »: rencontre avec le propriétaire passionné du Western shop à Bruxelles
Quand il était petit, François Chladiuk jouait aux cow-boys et aux Indiens. Il a continué à jouer tout simplement, en collectionneur patenté et en propriétaire avisé du Western shop à Bruxelles. Il a désormais confié sa collection remarquable d’objets lakotas au Musée des Confluences à Lyon et est le héros du roman de Philippe Fiévet, Brûlure indienne. Attention, passion.
« Il y a deux types de collectionneurs. Il y a ceux qui collectionnent pour collectionner. Quand je regarde une vitrine remplie de petits chiens, de tortues ou de canards, je me dis qu’elle a dû coûter plus cher que tout ce qu’il y a dedans, cela ne vaudra jamais rien si ce n’est dans 1 000 ans. Et puis il y a ceux qui collectionnent et veulent de l’authentique. Personnellement, je préfère avoir une belle pièce, en superbe état, avec une histoire. J’ai commencé à collectionner fin des années 70, je devais avoir 25 ans. J’ai toujours harponné, dans les brocantes, les foires d’antiquaires – la Belgique est un grenier à pièces de collection.
L’imagination au pouvoir
Les enfants sont créatifs. Quand j’étais gamin, je jouais dans les bas-fonds de Neder-Over-Hembeek… Ce n’est pas du Zola, je n’ai jamais eu ni faim ni soif, mais je n’avais pas de jouets, il fallait donc être inventif. J’avais un copain dont le papa travaillait dans une usine de papier crêpe, il lui ramenait parfois deux mètres de papier au rebut et on se faisait une tenue. Un trou au milieu, un pan devant, un pan derrière, on dessinait une grande croix rouge dessus et on était les soldats d’Ivanhoé. A l’époque, on se créait des costumes avec rien.
« Loup solitaire »
Il n’existe qu’une seule langue pour les Américains, c’est l’américain. Si vous prononcez un mot à la Louis de Funès, ils ne vous comprennent pas. Là-bas, on m’appelle donc Frank, c’est bien plus facile que François. Mais mon nom indien, c’est Lonewolf, Loup solitaire. J’ai fait quelque 150 voyages aux Etats-Unis, seul. Quand on est sur ces fameux highways ou sur la Road 66, au volant de sa voiture, on se sent loup solitaire.
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L’Ouest américain, c’est magique. J’ai toujours été cow-boy indien depuis que je suis haut comme trois pommes. Je suis né en 1952, à l’époque, nous, on était la vieille Europe et l’Ouest lointain vu par Hollywood, c’était le pays où on ramassait de l’or par terre et où tout allait bien aller. Les films, et pas seulement les westerns, faisaient rêver. Certes, on a les Alpes mais quand vous regardez Monument Valley où John Ford avait mis sa caméra et quand on voit ces cow-boys entre ces rochers rouges avec par-ci par-là un Indien à cheval, c’est magique, je pense que je n’étais pas le seul à le trouver. Je n’étais pas vacciné contre une telle magie.
« The ghost collection »
Je suis un sauveur. Cette collection a été perdue pendant septante ans. Plus personne n’en avait entendu parler. Les Américain sl’appellent « the ghost colleciton ». J’ai redécouvert non seulement les pièces mais surtout l’histoire qui allait avec et les descendants de la famille Littlemoon.
Il faut savoir que le show Buffalo Bill’s Wild West est venu à Bruxelles deux fois en 1891 et en 1906. Et plus tard, à l’image de show, en 1935, en marge de l’Exposition universelle à l’emplacement du Stade Roi Baudouin, le cow boy de l’Oklahoma Clarence Shultz est venu avec un village indien, avec des familles entières et près de trois cents animaux. Evidemment, il fallait payer les fermiers pour les prairies où ils s’étaient installés, ils échangeaient, on laissait ici une selle, une coiffe, une pochette perlée… la Belgique est donc un grenier. En 2004, j’ai acheté huit malles à un antiquaire qui avait une « collection d’objets indiens à vendre ».
Je n’oublierai jamais. Quand j’ai ouvert les malles, j’ai mis ma main dedans pour voir s’il n’y avait pas des petites bêtes qui couraient, j’ai directement compris que c’était un trésor, parfaitement protégé. J’ai regardé dans mes documents et j’ai trouvé une dizaine de petites photos noir et blanc des Littlemoon, j’ai reconnu le gilet et ses dessins géométriques. Et puis j’ai retrouvé le fils de ces Indiens… J’ai remonté la piste des Littlemoon, dans le Dakota du Sud, j’ai eu la chance de recontrer Moses et Walter Littlemoon, les deux derniers fils encore en vie de Joe et Rose, présents à l’Exposition universelle de 1935. Je leur ai remis une photo qui appartenaient à leur famille, ils n’avaient pratiquement plus aucun souvenir de cette époque, tout avait disparu dans un incendie. Moses est mort un an après cette rencontre et Walter et moi, on est devenus de vrais amis. La boucle était bouclée.
« Je n’étais pas vacciné contre une telle magie »
Préférer l’original à la copie
La botte western, c’est un style de vie. Au contraire de la santiag qui est une botte moche, vulgaire, bon marché et généralement fabriquée en Espagne. Avec la botte western, il y a tous les styles, du plus discret au plus flashy avec un bout plus ou moins carré comme celle que je porte, plutôt utilisée dans les années 50, ou un bout rond comme dans les années 70, à l’époque du feuilleton Dallas, de JR et Bobby Ewing… Il ne faut surtout pas oublier qu’un cow-boy, c’est un vacher pas très fortuné et qu’il lui faut des bottes de travail, ça ne doit pas être beau spécialement mais durable et confortable. Ça va dans la gadoue et ça doit passer une rivière.
Le dernier des Mohicans
Je suis le dernier des Mohicans. Je suis allé il y a peu à l’enterrement de ma copine Lisette, 86 ans… C’était une echte Brusseleir, comme moi. Je parlais bruxellois, flamand avec un accent terrible et français avec ce même accent, cela se perd, mon fils ne le parle déjà plus, c’est triste mais on ne peut le reprocher à qui que ce soit.
L’amitié, cela ne se commande pas. Cela ne s’achète pas. Je n’ai rien fait pour devenir l’ami de Walter Littlemoon, l’un des fils de cette famille venue à Bruxelles en 1935. Honnêtement, mettons-nous à sa place : il voit débarquer chez lui dans le Dakota du Sud un gars qui lui montre des photos et lui dit: «J’ai le pantalon de ton père, les mocassins de ta mère…», cela doit faire quelque chose. On est devenu de grands amis parce qu’il a compris que plus que tout, je voulais non pas exploiter ces objets mais les préserver. Autrement cette belle histoire risquait de disparaitre. »
westernshop.be – Brûlure indienne, par Philippe Fiévet, Editions M.E.O.
museedesconfluences.fr
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