Monténégro: Kotor, emblématique d’un pays tiraillé entre tourisme et cocaïne

Kotor au Montenegro © istock

Kotor, son fjord sur l’Adriatique, ses murailles, son passé vénitien, sa cocaïne: depuis une semaine, une unité spéciale de la police monténégrine quadrille cette cité balnéaire en proie à une guerre entre narcotrafiquants.

Une fusillade le 3 juin, qui n’a cette fois pas fait de victimes, a été l’énième épisode de cette bataille. Elle met aux prises trois gangs depuis la disparition en 2014 à Valence (Espagne) de 200 kilogrammes de cocaïne sud-américaine, selon des sources policières sous couvert de l’anonymat.

Cette guerre se mène aussi à Mostar (Bosnie), à Belgrade, ou dans une autre ville côtière monténégrine, Budva. Cinq personnes ont perdu la vie depuis un an. Le dernier, Srdjan Vlahovic, 31 ans, a été abattu en début de soirée le 10 avril par des assassins à moto. Depuis, la police a comptabilisé quatre tentatives d’assassinats dans cette « ville otage » des trafiquants, selon une expression du ministre de l’Intérieur Goran Danilovic.

Avec près de 850.000 visiteurs en 2015, ce qui en fait la première ville touristique du pays, Kotor est un résumé du dilemme monténégrin: un secteur touristique en expansion sous la menace d’un crime organisé puissant.

Dans son dernier rapport annuel, la Commission européenne estime que chez ce candidat à l’adhésion, « des efforts supplémentaires sont nécessaires » en matière de lutte contre les réseaux criminels. Après le 3 juin, près de 70 policiers d’une unité antiterroriste, parfois encagoulés, ont été dépêchés à Kotor. Un véhicule blindé noir est stationné à l’entrée de la vieille ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, à quelques mètres de paquebots de croisière au mouillage, qui peuvent chacun transporter 3.000 passagers, ont constaté des journalistes de l’AFP.

Le coeur de la Marchande yougoslave

Un demi-million de ces croisiéristes devraient se répandre cet été dans la ville, selon l’office de tourisme. Moins connue que la Croate Dubrovnik à une centaine de kilomètres, Kotor s’impose comme une nouvelle perle de l’Adriatique.

Pour l’instant, les touristes demandent juste « si la police est dans la rue à cause du terrorisme », affirme la responsable de l’office de tourisme Jelena Loncar. Montréalaise, Claire Tremblay, 58 ans, comptait se rendre « à Efes et Istanbul, mais après les attentats » en Turquie, elle s’est rabattue sur Kotor, explique-t-elle, sereine.

La ville a longtemps tiré sa notoriété de son école maritime, d’où sortaient les officiers de la Marchande yougoslave. La puissante compagnie Jugooceanija y avait son siège. Après sa disparition, nombre des marins du cru se sont recyclés dans le convoyage de cocaïne. « Je ne reconnais pas la ville où je suis né il y a 52 ans. Elle est dans un cauchemar de drogues, abandonnée aux criminels », dit Mladen, qui ne souhaite pas donner son nom. Selon lui, dans son quartier « il y a deux ou trois trafiquants dans chaque immeuble ».

Ne pas laisser Kotor devenir Palerme

Les narcotrafiquants « ont ouvert des restaurants, des boîtes de nuit (…), ils recrutent nos enfants » pour vendre de la drogue, renchérit son ami Nikola, 48 ans.

Le sentiment d’impunité des trafiquants est tel qu’ils ont installé des caméras de surveillance à des points névralgiques pour surveiller leurs rivaux, ce qui fait l’objet d’une enquête.

Surnommé « le roi de la cocaïne dans les Balkans » et condamné en 2015 à 20 ans de prison à Belgrade après avoir été arrêté en Amérique latine, Darko Saric possédait à Kotor plusieurs sociétés, dont une boîte de nuit prisée des touristes, selon la presse locale.

Le maire Aleksandar Stijepcevic regrette que sa ville soit « devenu le théâtre des affrontements » entre gangs, même si ce n’est pas là qu’ils mènent leurs affaires.

L’envoi de forces spéciales a permis d' »améliorer » une situation « un peu plus acceptable », a assuré le ministre de l’Intérieur Goran Danilovic: « Les citoyens ne sont plus menacés, mais il est nécessaire que la police et le parquet poursuivent leur travail. » « L’Etat doit faire en sorte d’empêcher que cette ville ne devienne Palerme », a ajouté le ministre.

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