Au fil de l’Elbe: périple dans l’Est allemand en vélo électrique
Oui, on peut s’adonner au slow travel sans adopter la cadence d’un escargot. Pour preuve, ce périple à vélo électrique à travers les splendides paysages naturels de l’est de l’Allemagne, le long d’un cours d’eau dont les escales offrent de jolies surprises culturelles.
« Vous savez que ce n’est pas une route très passionnante? C’est très plat, et ça n’a rien d’un défi sportif. » Nos amis allemands ne sont pas hyper-doués pour vanter les mérites de leur région. Ce Dresdois, par exemple, ne comprend pas bien cette idée saugrenue de vouloir suivre à vélo le cours de l’Elbe, convaincu qu’il y a beaucoup plus de choses à voir et à faire en ville. La fédération cycliste allemande est toutefois d’un tout autre avis, elle qui décerne depuis plusieurs années à cet itinéraire baptisé Elberadweg le titre de plus belle voie cyclable du pays.
Un groupe de cyclistes nous croise sur l’autre rive. Comme nous, ils suivent la piste de 1 270 kilomètres qui longe le fleuve de sa source – dans les monts des Géants, en Tchéquie – à son embouchure, à Cuxhaven en Allemagne. La légende affirme que l’Elbe doit son nom aux elfes et aux fées que l’on aperçoit parfois au bord de l’eau dans la brume matinale… mais les esprits pragmatiques vous diront que le mot « albia » signifiait simplement « rivière » dans l’ancienne langue germanique. Toujours est-il que nous avons opté pour une version électrique du vélo, histoire de s’aventurer à un rythme honorable, une semaine durant, sur une petite partie du tracé. Au menu: environ 220 kilomètres de très jolis méandres.
Départ à Dresde
C’est là, dans la capitale du Land de Saxe, que notre propre famille royale a ses racines. Au centre historique, nous préférons l’animation de la Neustadt, dont l’architecture héritée de la RDA dissimule une foule de petits restos, de bars, de boutiques sympas et d’oeuvres de street art. Inspirés par un slogan graffité qui appelle à changer le monde, nous nous installons à la terrasse de l’un des nombreux établissements qui proposent aussi des plats végétariens en sus de la cuisine allemande traditionnellement riche en produits carnés.
Si Dresde a vu naître les barres de chocolat au lait, le dentifrice et l’une des filles de… Poutine, la ville reste surtout tristement célèbre pour les bombardements qu’elle a subis au cours de la Seconde Guerre mondiale. L’essentiel du centre historique ayant été ravagé, la Neustadt compte ironiquement plus de bâtiments originaux que la vieille ville, partiellement reconstruite dans son style original à partir des années 1990. L’ancienne usine de cigarettes Yenidze, notamment, a été restaurée dans toute sa gloire orientale et abrite aujourd’hui un restaurant qui offre une vue splendide sur le panorama urbain. Cette atmosphère éclectique fait de Dresde une destination où l’on s’attarderait volontiers quelques jours… mais nous avons juste le temps de finir notre cocktail à la liqueur de pamplemousse avant de rentrer nous reposer à l’hôtel.
Carillons et vignobles
Dès le matin, nous voilà partis sur nos destriers électriques, frappés par le silence qui règne sur le fleuve. Comme notre première étape jusqu’à Meißen ne compte qu’une trentaine de kilomètres, nous faisons halte au bord de l’eau pour prendre quelques photos… et nous nous faisons brutalement rappeler à l’ordre par un cycliste allemand qui nous lance un virulent « mettez-vous de côté, verdammt! » lorsqu’il manque d’accrocher nos vélos qui lui bloquent le passage. Nous nous excusons du mieux possible avant de reprendre (prudemment) la route. Notre arrivée dans la petite ville de Meißen est saluée par le carillon en porcelaine de l’église Notre-Dame. C’est ici que fut fondée, en l’an 1710, la plus ancienne manufacture de porcelaine du continent, dont les créations se monnaient aujourd’hui encore plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’euros.
Nous préférons consacrer notre argent à goûter le bon vin local, puisque l’Elberadweg se double d’un itinéraire vinicole des plus intéressants. Longue d’environ 55 km, la Sächsische Weinstraße est ponctuée de 410 hectares de vignobles perchés à flanc de colline le long du fleuve, où ils jouissent d’un climat semi-continental. Nous décidons de tester la spécialité de la région, le goldriesling, un vin blanc léger, sec et fruité à base de riesling et de Malingre français. A en juger par les autres clients qui s’en délectent en terrasse, cet or liquide « se laisse boire », comme on dit.
‘En longeant les digues herbeuses, on est escortés par les vols des grues et les oiseaux de proie.’
Le fleuve et le château de Meißen sont encore nimbés de brouillard lorsque nous entamons la seconde journée de notre périple mais, hélas, pas l’ombre d’un elfe à l’horizon. Après deux heures environ, le soleil se décide à entrouvrir son manteau de nuages pour nous tenir compagnie jusqu’au village de Diesbar-Seußlitz, qui marque la fin de la route des vins locale. Une part de Zwiebelkuchen (gâteau aux oignons) et un verre de goldriesling à la main, nous cherchons un coin à l’ombre pour nous enduire de crème solaire indice 50.
Après un trajet de 27,5 km, nous arrivons à Riesa, la cité de l’acier, où la silhouette d’un monastère médiéval partage l’horizon urbain avec celle d’une grande usine – à l’arrêt, dimanche oblige. Sous le délicieux soleil de la mi-journée, nous nous dirigeons tranquillement vers le centre-ville, qui semble être le théâtre d’une fête locale. Nous observons, un peu partout, un type d’architecture qui nous avait déjà frappé dans la périphérie de Dresde. Pour remédier à la pénurie de logements suite au second conflit mondial, la RDA a commencé, dès les années 1970, à investir en masse dans les immeubles WBS 70 – un projet de grande envergure qui visait à garantir à chacun son propre appartement avant 1990. D’une superficie moyenne de 60 m2, ils ont aujourd’hui beaucoup perdu de leur popularité et il n’est pas rare que plusieurs unités soient fusionnées en un espace plus grand. Les immeubles eux-mêmes continuent toutefois à définir le visage de l’ex-Allemagne de l’Est.
Oiseaux à la grise robe
Les abords du fleuve étant à partir d’ici situés en zone inondable, l’Elberadweg fait un détour bucolique à travers champs. Nous en profitons pour faire halte dans le hameau de Weßnig, dont l’église abandonnée est devenue en 2003 la toute première Radfahrerkirche (église cycliste) d’Allemagne. Pardonnez-nous nos péchés, et en particulier d’avoir un peu abusé du mode turbo de nos deux-roues électriques sous prétexte d’avoir le vent en face…
Les nombreuses flèches vertes le long du chemin nous guident sans encombres jusqu’à la ville voisine de Torgau, où nous parquons nos vélos sur une petite place au bord de l’eau – l’un des principaux sites historiques de l’entité, puisque c’est ici que, le 25 avril 1945, les soldats américains ont pour la première fois serré la main à leurs homologues russes. Ce jour où un certain lieutenant Robertson a brandi son drapeau yankee improvisé depuis les tours du château d’Hartenfels pour indiquer que l’armée allemande avait été repoussée est resté dans les mémoires sous le nom d’Elbe Day. Plusieurs boulangeries locales continuent d’ailleurs à vendre des Amerikanerkuchen, des biscuits moelleux aux oeufs qui ne semblent du reste présenter aucun lien concret avec ces événements historiques. Sur l’une des tours du château, on entend des roucoulements s’échapper d’un pigeonnier: tout comme l’hôtel de ville, le site est utilisé depuis plusieurs siècles déjà par des colombophiles, sans que personne ne sache très bien pourquoi.
Pour notre plus longue étape (70 km environ), le vent a choisi de se montrer contrariant… Mais heureusement, nous avons bien chargé nos batteries et c’est finalement sans grande peine que nous poursuivons notre route, longeant les digues herbeuses aménagées le long de l’Elbe, escortés à travers la plaine par les vols de grues et les oiseaux de proie. Juste avant d’emprunter le bac pour traverser le fleuve, nous passons la frontière du Land de Saxe-Anhalt. Sur le quai, nous faisons connaissance avec deux Allemands rondouillards également en route pour Wittemberg, d’où ils comptent encore faire 600 km pour rejoindre la côte. On ne peut pas leur donner tort: au fil du fleuve, au milieu des champs, on a l’impression d’avoir tout le temps du monde…
La porte du Bauhaus
Nous passons l’après-midi et la soirée à Wittemberg, où Martin Luther a initié au XVIe siècle la réforme qui porte son nom. Un enseignant local nous apprend qu’on n’y compte plus guère de nos jours que 12% de protestants, mais le souvenir de l’ancien moine n’en reste pas moins omniprésent dans les rues de la ville. Dans la cour intérieure de sa maison, se dresse une statue de son épouse, Catherine de Bore, dont d’innombrables touristes viennent caresser la bague dans l’espoir de trouver enfin l’amour. Ce n’est en effet qu’à 26 ans qu’elle a épousé le professeur de théologie – un âge qui, pour l’époque, était déjà relativement avancé pour entamer une vie conjugale. Poli par l’usure, l’anneau brille de mille feux au doigt terni de la statue.
Pour la dernière étape de notre périple, nous filons droit vers Dessau à travers bois, toujours le long du fleuve. La route de l’Elbe nous dépose devant la porte rouge de l’université Bauhaus, où Walter Gropius et son équipe ont catapulté dans la modernité toute une nouvelle génération d’architectes et de créateurs. A l’intérieur, nous découvrons l’architecture novatrice qui a révolutionné le monde du design dans les années 1920. Les meubles dessinés notamment par Marcel Breuer et Mies van der Rohe, eux, occupent depuis deux ans un musée dédié dans le centre-ville, qui possède notamment un prototype original de l’iconique chaise Barcelona de Mies van der Rohe. Le bâtiment blanc tout en reflets imaginé par Gropius n’a rien perdu de son panache, et c’est sur ce point d’orgue que se termine notre voyage au fil de l’eau. « L’esprit est comme un parachute: pour qu’il fonctionne, il faut l’ouvrir », aurait déclaré un jour l’architecte pour défendre ses idées novatrices. On est prêt à parier que cette citation lui est venue en se promenant le long de l’Elbe…
En pratique
Notre voyage a été organisé par Joker. Le tour-opérateur prévoit les vélos électriques, l’hébergement sur place et le transport des bagages d’un hôtel à l’autre, ainsi que toutes les informations pratiques nécessaires pour le parcours et une foule d’idées et de bonnes adresses à découvrir en chemin. Bon à savoir: un train de nuit devrait assurer la liaison entre Bruxelles et Dresde à partir de l’été 2022.
Dès 570 euros par personne. joker.be/fr
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