Visite guidée dans le Saint-Pétersbourg de Dostoïevski

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L’auteur de Crime et Châtiment a vécu la plus grande partie de sa vie à Saint-Pétersbourg, décor de ses principaux romans et berceau de ses personnages. Visite guidée des quartiers et des lieux emblématiques qui l’ont inspiré.

Il ne faut pas avoir lu l’oeuvre de Fédor Dostoïevski (1821-1881) pour savoir qu’il compte parmi les plus grands représentants de la littérature russe classique, ni pour connaître les noms de quelques-uns de ses personnages emblématiques : Raskolnikov, les frères Karamazov, Rogogine, le prince Mychkine… S’il est né à Moscou, cet écrivain phare du XIXe siècle est mort à Saint-Pétersbourg, où il vécut principalement. Surtout dans le décor glauque mais ô combien vivant et réaliste des bas quartiers de la ville, où il a passé le plus clair de son existence péterbourgeoise après un séjour au bagne en Sibérie. C’est là qu’il situe plusieurs de ses romans mythiques où s’affrontent perpétuellement le bien et le mal. Marcher dans leurs traces, chercher les vestiges des années passées par l’auteur de L’Idiot, Le Joueur ou Les Possédés au coeur de l’ancienne capitale des tsars, c’est une autre façon de découvrir la ville symbole de la Russie d’avant la révolution bolchévique. De s’y perdre, de s’en imprégner et, pourquoi pas, d’en sonder l’âme.

1ère étape : au fil des canaux

 » Par une soirée extrêmement chaude du début juillet, un jeune homme sortit de la toute petite chambre qu’il louait dans la ruelle S… et se dirigea d’un pas lent et indécis vers le pont K…  » Ainsi démarre le plus célèbre roman de Dostoïevski, celui qui l’a fait connaître – et apprécier, dès sa publication en 1866 – du grand public et reconnaître par ses pairs, à savoir Crime et Châtiment. Fidèle à son habitude, l’écrivain masquait derrière des initiales les noms des rues existantes où il situait son action, histoire de marquer la limite entre réalité et fiction.

Nous sommes au coeur du vieux Petrograd, entre le canal rectiligne de la Fontanka et celui, aussi sinueux qu’une artère humaine, de Griboïedova. Un quartier marqué par une grande pauvreté à l’époque mais qui a conservé tout son charme, avec ses canaux qui s’entrecroisent, ses ruelles animées, ses maisons moins grandiloquentes que dans la partie la plus riche de la ville mais tout aussi colorées. Celle de Raskolnikov est située à l’angle des rues S…toliarny et Grajdanskaya, près du pont K…okouchkine. Au numéro 19, un haut relief au-dessus du porche montre l’écrivain, ainsi qu’un escalier figurant celui qu’empruntait l’étudiant assassin pour grimper jusqu’à sa mansarde. L’accès à la cour est barré par une grille : les occupants en avaient assez de voir défiler les touristes.

C’est à peine quelques maisons plus loin, au croisement avec la rue Kaznatcheïskaïa, que vivait Dostoïevski lors de la sortie de son roman culte. Une plaque marque l’endroit, toujours fleurie par ses admirateurs. Il y écrivit aussi Les Nuits Blanches, dont l’action se déroule au moment du solstice d’été, quand les rayons du soleil illuminent jusqu’au coeur de la nuit et donnent à Saint-Pétersbourg une allure irréelle. Entre fin mai et fin juin, ces nuits blanches constituent une période propice pour se perdre dans les ruelles jusque tard dans la soirée. On dit que tout y est alors possible, avant les lendemains qui déchantent. Mais rassurez-vous : le charme opère toute l’année, y compris sous la neige. La promenade au fil des canaux vous plongera dans l’univers de l’écrivain. Si vous l’avez lu, vous y reconnaîtrez de nombreux repères, des ponts et passerelles qui enjambent l’eau aux tavernes où s’encanaillaient ses (anti-)héros jusqu’au bout de la nuit.

2e étape : au long de sa vie

A Saint-Pétersbourg, Fédor Dostoïevski a vécu dans une vingtaine d’appartements différents. Longtemps joueur invétéré, il connaissait régulièrement des problèmes d’argent qui le contraignaient à déménager souvent, même pendant ses années de célébrité. Il affectionnait les immeubles d’angle offrant une vue panoramique sur le quartier, ses fragments de vie… et l’église la plus proche, lui qui devint un fervent chrétien orthodoxe, hanté par ses interrogations sur l’existence de Dieu.

L’un de ces appartements, rue Kouznetchny, est aujourd’hui un musée. Il y passa ses trois dernières années et y écrivit son oeuvre ultime, la plus magistrale : Les Frères Karamazov. Reconstitué sur base des écrits de ses enfants et de sa veuve, il abrite de nombreux meubles et objets ayant appartenu au couple. On peut ainsi visiter le salon, la cuisine, la chambre à coucher et, bien sûr, le bureau où le romancier s’enfermait la nuit pour donner le jour à des protagonistes aussi tourmentés que lui. Lugubre mais fascinant ! Dans un appartement contigu, une expo très bien documentée retrace les grandes étapes de sa vie et abrite quelques manuscrits, mais surtout l’abondante correspondance entretenue avec son frère et d’autres écrivains célèbres, qu’il admirait.

Non loin de là, une rue perpendiculaire porte le nom de l’écrivain, tout comme la station de métro la plus proche. Une statue l’immortalise également. Mais c’est à l’église Saint-Vladimir, visible depuis ses fenêtres, qu’il faut consacrer un peu de temps. Elle montre de nombreuses icônes et une ferveur que l’on ressent d’ailleurs dans la plupart des églises de Saint-Pétersbourg. Dostoïevski s’y recueillait souvent. Le 1er février 1881, on y célébra l’office des morts en son honneur.

3e étape : au coeur des vieux quartiers

On est toujours au coeur de la Russie authentique, dans un quartier tout aussi chargé de vie et d’histoire, où tant de drames se sont joués dans les arrière-cours de maisons pas toujours très fringantes, dans la fiction comme dans la réalité. C’est la cité des petits fonctionnaires et des employés, des pauvres et des sans-abri. La plupart des porches débouchent sur de charmants jardins communautaires où les enfants du bloc s’amusent dans de petites plaines de jeux, sous l’oeil attentif des babouchkas désoeuvrées. Une face cachée de la ville.

Plusieurs marchés très fréquentés offrent ici un condensé de vie populaire. Anna Grigorievna, la seconde femme de Dostoïevski, s’approvisionnait dans celui de la rue Kouznetchny, à deux pas de chez eux. Il étale aujourd’hui les produits exotiques venus de la Russie profonde, des provinces du sud et des anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Fruits et légumes gorgés de soleil, épices odorantes, viandes et poissons marinés ou fumés, fromages aromatisés aux herbes et au miel. On y parle tous les dialectes, ou presque, de cet immense pays, mais le sourire est toujours le même, et on vous pressera de tout goûter pour le plaisir de vous voir apprécier. S’il ne reste rien du cloaque de l’ancienne halle aux foins qui y était établie, c’est autour de la place Sennaïa que Dostoïevski aimait respirer l’odeur âcre de sa ville et qu’aujourd’hui encore, les Pétersbourgeois restent sensibles à son pouvoir d’attraction magnétique. L’écrivain a souvent déménagé, mais il ne s’en est jamais éloigné. Ni dans la vie, ni dans la plupart de ses romans. Bien des petits commerces y ont pignon sur rue.

4e étape : d’une forteresse à l’autre

D’autres lieux emblématiques ont jalonné l’existence de Dostoïevski à Saint-Pétersbourg et façonné la relation d’amour-haine qu’il a toujours entretenue avec la  » ville blanche « , devenue personnage à part entière au fil de ses romans. Il y est arrivé à 16 ans pour intégrer l’école des ingénieurs militaires, qui se trouvait dans le palais Mikhaïlovski, un des édifices les plus imposants et sombres de la ville impériale. C’est dans cette forteresse que fut assassiné Paul 1er à la fin du XVIIIe siècle. L’empereur l’avait pourtant fait construire parce qu’il ne se sentait pas assez protégé dans le palais d’hiver voisin, résidence historique des tsars qui deviendra le palais de l’Ermitage, pour finir en musée au temps de Dostoïevski, après divers agrandissements. Aucun rapport architectural entre les deux édifices, qui ne sont guère éloignés l’un de l’autre : il suffit d’emprunter la rue des Millionnaires puis de traverser le Jardin du palais d’été.

L’autre forteresse qui marquera profondément l’auteur prolifique est celle dite  » de Pierre et Paul « , figure emblématique de la ville dont elle est le berceau, sur les rives de la Neva. Non qu’il vouât un culte particulier à l’empereur Pierre le Grand, fondateur de la cité qui porte son nom, que du contraire : c’est pour avoir fréquenté un cercle d’intellectuels progressistes, promoteur de réformes économiques et militant pour abolir le servage, que Dostoïevski fut envoyé croupir huit mois dans le  » ravelin d’Alexis « , l’endroit le plus sordide de la forteresse, pour y attendre son jugement. Verdict radical : tout le groupe fut condamné à mort.

5e étape : souvenirs de la maison du mort

C’est sur la place Semionov (aujourd’hui place des Pionniers) que la sentence devait être exécutée. Les condamnés furent alignés, mis en joue, l’ordre de tirer allait être donné quand soudain, tout s’arrêta : le tsar venait de convertir la sentence en travaux forcés dans un bagne de Sibérie. L’écrivain y passera quatre ans. La place, elle, accueillit des exécutions publiques jusqu’à la fin du XIXe siècle. S’il put réintégrer l’armée à son retour du bagne, Dostoïevski n’y resta pas longtemps. Les années passées à côtoyer des criminels et des pauvres gens dans des conditions terribles lui enseignèrent plus sur l’âme humaine que tout ce qu’il croyait avoir appris jusque-là. Il avait déjà publié plusieurs livres. Mais c’est dans ce terreau qu’il puisera la matière de ses oeuvres les plus puissantes, les plus denses et abouties, celles qui feront passer son nom à la postérité. Souvenirs de la maison des morts est la première, relatant son expérience de bagnard.

Sa dépouille repose dans le cimetière de la laure Alexandre Nevski, l’un des cinq plus importants monastères orthodoxes de Russie. Il est situé au bout de l’avenue du même nom, la légendaire Nevski Prospect, immense boulevard qui constitue le poumon de la cité des tsars. A l’autre extrémité, l’Amirauté et le palais de l’Ermitage, ancienne demeure impériale. A la fois maudit et adulé de son vivant, l’écrivain culte devenu pieu et patriote sur le tard ne pouvait rêver plus belle consécration.

Par Philippe Camillara

– EN PRATIQUE

SE RENSEIGNER

Passeport et visa obligatoires. Pour l’obtenir, il faut disposer d’une  » invitation  » d’une agence de voyage, d’un hôtel ou d’une organisation russes. A demander lors de la réservation. Egalement nécessaire : une assurance médicale couvrant la durée du séjour.

Centre de Visa pour la Russie, 3, avenue Alphonse Valkeners, à 1160 Auderghem. Tél. : 02 663 17 40.

Autre option : passer par une agence intermédiaire (payante) qui s’occupe des formalités. REBCE, 82, avenue de Fré, à 1180 Uccle. Tél. : 02 375 76 87. www.visarussia.be

Y ALLER

Pas de vols directs au départ de Bruxelles. Trois vols quotidiens Air France de Paris CDG, vols Aeroflot 1x/j de Bruxelles via Moscou. Compter 200 à 300 euros A/R selon la saison.

MONNAIE

1 euro = +/- 50 roubles.

DECALAGE HORAIRE

+2 heures en été, +3 heures en hiver.

CLIMAT

Gel et neige en hiver, dégel à Pâques (on patauge), 15 à 30 °C la journée de juin à septembre. Les nuits blanches s’étendent du 25 mai au 15 juillet et culminent le 21 juin.

SE RESTAURER

L’Idiot

Ce café-restaurant a recomposé l’univers de Dostoïevski dans une succession de caves voûtées, au bord du canal de la Moïka. Rayonnages pleins de livres, petits salons avec canapés et vieux fauteuils en cuir, lumière tamisée… On y mange, on y lit, on y joue aux cartes, on y refait le monde en buvant des shots de vodka. Très couru par les expats. Cuisine russe et internationale, plats végétariens.

www.idiot-spb.com

SE LOGER

Il existe un hôtel Dostoïevski qui n’offre pas grand intérêt, sinon qu’il est proche de l’appartement-musée. Préférez-lui le boutique-hôtel Rachmaninov, un charmant établissement arty qui occupe les deux étages d’un appartement ayant appartenu à la tante du compositeur. Exposition permanente d’artistes russes et internationaux, situation idéale, à deux pas du Triangle d’or.

www.hotelrachmaninov.com

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