Voyager pour (mieux) dormir: pourquoi le tourisme du sommeil cartonne

Passer son temps à dormir en vacances, une perte de temps? Pas depuis que les lits intelligents, les chambres sensorielles ou les hôtels-cocons ont donné un coup de fouet au tourisme du sommeil.
Il est 7h45 samedi matin et nous n’avons guère besoin de réveil. Nous avons dormi comme un bébé pendant près de neuf heures. Il est temps de lever les stores et de profiter de la vue verdoyante offerte par l’hôtel Mix, havre bruxellois situé aux portes de la forêt de Soignes. Au lieu d’un vendredi soir endiablé dans un bar, nous nous sommes offert la nuitée Lazy Stay (dès 99 euros). Au programme: repas, bien-être (sauna, bain de glace, natation, bain de vapeur, etc.), puis lecture et enfin étirements (chaque chambre contient un tapis de yoga et des instructions). Avantage de l’établissement: tout est regroupé sous un même toit, pour que les clients ne doivent pas quitter le bâtiment. Le lendemain, histoire d’en profiter encore un peu, nous avons opté pour un départ tardif. Si on nous avait dit qu’un jour, on viendrait poser nos valises à Bruxelles dans l’unique but de bien dormir, on n’y aurait pas cru…
Le repos, une aventure en soi
En fait, notre cas n’est pas unique. Le tourisme du sommeil a le vent en poupe dans le monde entier, et les chaînes hôtelières ne font que répondre à une demande croissante pour des nuits apaisantes. Rien de surprenant. Nous sommes tous fatigués. Trop stimulés. Stressés. Toujours en action. Rien qu’en Belgique, une personne sur trois souffrirait de problèmes de sommeil, selon une étude de l’université de Louvain. Et selon une autre étude internationale menée par le géant suédois Ikea – à laquelle des Belges ont participé –, pas moins de 49% de nos compatriotes déclarent préférer bien dormir plutôt que d’assister à une activité sociale. Fait remarquable, ce pourcentage est encore plus élevé chez les jeunes de 18 à 24 ans (47%) que chez les plus de 65 ans (44%).
Ces informations n’ont pas échappé à l’industrie hôtelière. Selon le Hilton 2024 Trends Report, les voyageurs ne recherchent plus spécialement l’aventure ou la culture, mais simplement le repos et le ressourcement. Bien sûr, le tourisme du sommeil n’est pas neuf. Dans le monde de l’hôtellerie, les menus d’oreillers, les rideaux occultants, les bouchons d’oreilles, les masques de sommeil et les lits à sommiers réglables sont monnaie courante depuis plusieurs décennies. Mais de nombreux établissements, en particulier dans le segment du luxe, vont beaucoup plus loin aujourd’hui, en essayant de se différencier des expériences que les clients peuvent vivre avec Airbnb ou les fameux «échanges de maisons» dont on vous parlait ici récemment.
Sommeil sous surveillance
La technologie joue un rôle important dans cette évolution. Aux Etats-Unis, le fabricant de lits Bryte, dont le siège est situé dans la Silicon Valley, bouleverse le monde de l’hôtellerie avec des matelas contrôlés par l’IA coûtant plus de 6.000 euros. Le lit s’adapte automatiquement aux mouvements, ce qui optimiserait le sommeil profond. En couplant le matelas à son smartphone, on peut utiliser des applications comme Somnify, qui permettent d’associer les mouvements à des sons de la nature, tels que des sons cosmiques, le frémissement de la neige ou le murmure du tonnerre. Le Park Hyatt New York et le Park Hyatt Chicago, notamment, proposent des suites équipées de tels lits entre 600 et 1.000 euros la nuit. Outre les gadgets technologiques, les clients reçoivent des conseils: régler la température de la chambre à 20 degrés avant de se coucher, prendre un bain relaxant et boire une tisane à la camomille.
«Même en vacances dans les plus beaux endroits, certaines personnes ne dorment pas de manière optimale», explique Mark Sands, vice-président Wellness chez Six Senses, une chaîne internationale de centres de villégiature de luxe, qui possède sept établissements en Europe. «C’est pourquoi nous avons entamé une collaboration avec Michael J. Breus, un expert américain du sommeil de renommée internationale. C’est ainsi qu’est né le programme Sleep with Six Senses, que nous améliorons chaque année.»
Ici encore, la technologie est convoquée. Ainsi, ceux qui suivent le programme Sleep with Six Senses à Ibiza pendant trois nuits (835 euros pour trois jours) ne dorment pas seulement dans un lit luxueux fabriqué à partir de matériaux durables. Ils bénéficient aussi des conseils d’un «ambassadeur du sommeil» et peuvent faire analyser leur sommeil à l’aide d’un capteur. Ce dernier mesure un large éventail de paramètres: phases du sommeil, variabilité du rythme cardiaque et niveaux d’oxygène dans le sang. «Les clients reçoivent alors des suggestions personnalisées, notamment en matière d’activités physiques, de bien-être ou de nourriture – les aliments riches en magnésium, mélatonine et L-tryptophane sont conseillés… entre autres. Une approche holistique est essentielle. L’objectif est de bien dormir: cela permet de faire des meilleurs choix et d’être plus performants, tant mentalement que physiquement. En tant qu’hôtel de luxe, cette amélioration est notre objectif.»
Les routines idéales
Certains établissements imaginent carrément des retraites de sommeil de cinq jours ou plus. L’hôtel Lefay Resort & Spa, sur le lac de Garde en Italie, en propose une de cinq jours, «Il Sentiero di Hypnos», à partir de 3.450 euros. Le Shanti Maurice, à l’île Maurice, a développé un «Shanti Sleep & Recovery package» à partir de 2.830 euros. Et pour 10.000 euros, vous pouvez participer au programme «Sleep enhancement» en Thaïlande, dans le luxueux complexe hôtelier Kamalaya Koh Samui, pendant 21 jours, dans un cadre semblable à celui de la série The White Lotus. Au cours de toutes ces retraites, les participants sont accompagnés par des diététiciens, des thérapeutes et des coachs pour découvrir les causes de leurs problèmes de sommeil, et bénéficient d’une vaste gamme de soins au spa.
« Le sommeil n’est plus considéré comme le nombre d’heures passées au lit, mais comme un élément important d’un mode de vie sain, même en voyage. »
Mais disons que, parfois, quelques étirements suffisent. C’est du moins le point de vue de Nobu Hospitality, un réseau international de restaurants et d’hôtels haut de gamme cofondé par le chef japonais Nobu Matsuhisa et l’acteur Robert De Niro. «Parce que Monsieur Matsuhisa consacre chaque jour du temps à des exercices de respiration, de méditation et d’étirement, vous trouverez sur les lits de tous nos hôtels une brochure reprenant trois exercices simples pour mieux vous endormir, explique Sara Vas, manager du Nobu Barcelona (à partir de 249 euros la nuit). Durant notre service «turn down», nous préparons les chambres des clients: rideaux fermés, température idéale pour le sommeil et éclairage d’ambiance. Mais en plus d’un bon lit et d’une chambre confortable, il est tout aussi important de préparer mentalement son corps et son esprit, grâce à ces exercices, pour la nuit. Nous commençons également chaque journée par du stretching. Dans un secteur toujours en mouvement, il est essentiel d’intégrer consciemment des moments de repos. La qualité de la nuit dépend de la qualité de la journée.»
Nobu constate-t-il une évolution des attentes des voyageurs en matière de sommeil ces dernières années? «Bien sûr, répond Sara Vas. Le sommeil n’est plus considéré comme le nombre d’heures passées au lit, mais comme un élément important d’un mode de vie sain, même en voyage. Les gens veulent des informations sur notre literie, le purificateur d’air dans la chambre ou les traitements spa qui les aident à déstresser. On propose ici un Sleep Well Ritual (205 euros), combinaison d’un massage et d’un soin du visage avec des produits naturels, complété par des étirements en douceur.»
Raconte-moi des histoires
Autre méthode des hôtels pour nous aider à mieux nous endormir: éliminer les stimuli. Au Post Ranch Inn, sur les falaises de Big Sur en Californie, il n’y a ni télévision ni réveil dans les chambres si vous optez pour le programme dédié au sommeil. A l’hôtel Tschuggen, en Suisse, vous pouvez choisir le programme «Dream Butler». Outre les soins wellness et les repas favorisant le sommeil servis en chambre, vous trouverez sur votre lit des «histoires du soir» sélectionnées pour apaiser votre esprit.
Au Mix, à Bruxelles, il faut un certain temps pour se rendre compte que la télévision est cachée dans un beau meuble en bois. «Le bien-être est au cœur de nos préoccupations, explique Julie de Troostembergh, responsable du marketing. C’est pourquoi nous proposons plusieurs initiatives de réduction des stimuli, comme un tapis de yoga dans la chambre avec un code QR menant à des exercices d’étirement. Nous avons aussi un «bar bien-être»: c’est comme un minibar, mais avec des masques de sommeil, un spray d’ambiance et des produits de beauté. A la fin de l’année, notre nouveau centre wellness, plus calme, ouvrira également ses portes, spécialement pour les clients de l’hôtel.»
Au Zedwell, à Londres, on peut se détendre dans des chambres cocons, sans fenêtres ni autres distractions, après une journée d’excursion en ville. Une nouvelle succursale est même entièrement souterraine, même si, selon certains commentaires des clients, le grondement du métro perturbe légèrement la tranquillité, et les claustrophobes sont priés de passer leur chemin.
Que dit la science ?
Que pensent les experts du sommeil de l’essor d’un tel tourisme? Le docteur Els van der Helm, spécialiste des neurosciences du sommeil, comprend: «Notre quotidien est source de stress et d’épuisement, ce qui entraîne des problèmes nocturnes. Il est donc normal que des vacances qui promettent le repos soient attrayantes. L’avantage d’un tel voyage est qu’il rappelle l’importance du sommeil et permet de faire le plein d’énergie. Néanmoins, les clients doivent savoir que les effets de nombreux équipements de sommeil proposés par les hôtels ne sont pas prouvés scientifiquement. Beaucoup affirment disposer des «meilleurs» matelas et oreillers. Mais le confort reste une donnée subjective selon les personnes.»
« Moins de stress et d’obligations en vacances peuvent aider à mieux dormir. Dans ce cas-là, des cours de méditation ou des lits contrôlés par l’IA ne sont même pas nécessaires. »
Els van der Helm met également en garde contre les effets à court terme: «De nombreuses personnes se sentent mieux en vacances, mais retombent dans leurs anciennes habitudes une fois rentrées à la maison. Seules celles qui conservent leurs nouvelles habitudes en tireront des avantages à long terme.» Le psychiatre Maarten Van Den Bossche y voit un autre écueil: «Ce type de tourisme n’est pas une solution au manque de sommeil chronique. D’après la thérapie cognitivo-comportementale, il est préférable de s’attaquer aux vrais problèmes de sommeil à la maison plutôt que dans une chambre d’hôtel parfaite. Moins de stress et d’obligations en vacances peuvent bien sûr aider à dormir plus vite et plus longtemps. Et dans ce cas-là, des cours de méditation ou des lits contrôlés par l’IA ne sont même pas nécessaires.»
Avant de dépenser 500 euros dans une chambre d’hôtel dans l’espoir de bien dormir, ce conseil gratuit d’Els Van Den Bossche n’est pas à négliger: «Notre sommeil est en fait physiologiquement très bien régulé. C’est un processus naturel qui se produit automatiquement et que l’on ne peut pas vraiment forcer. Si nous dormons moins bien pendant quelques nuits, le corps compense généralement en dormant un peu plus profondément et plus longtemps les nuits suivantes – du moins si nous prenons le temps d’écouter notre corps. Un séjour de sommeil peut donc être vertueux, mais le véritable défi réside toujours dans nos habitudes du quotidien.»
Morphée à domicile
Votre budget n’est pas compatible avec des cures de sommeil à l’hôtel? Voici quelques conseils d’experts pour mieux dormir à la maison.
LE TEMPS
• La régularité est importante pour une bonne hygiène du sommeil. Essayez autant que possible de vous coucher et de vous lever à heures fixes.
• C’est un mythe de penser que l’on peut rattraper un manque de sommeil. Par contre, il est vrai que cela laisse lentement des traces sur la santé et la concentration.
• Découvrez votre nombre idéal d’heures de sommeil. La plupart des gens ont besoin de 7,5 heures de sommeil pour fonctionner correctement. Des études montrent que les performances de conduite se détériorent considérablement si l’on dort moins de six heures. Mais dormir trop longtemps et interrompre son sommeil n’est pas idéal et peut vous rendre somnolent.
LES HABITUDES
• Votre lit n’est pas votre bureau. Veillez à associer votre lit au repos. Consulter ses mails, établir son planning de travail ou passer en revue les tâches ménagères dans sa chambre, c’est non.
• Adoptez un rituel personnalisé. Pour bien dormir, un certain nombre de processus de l’organisme doivent ralentir ou diminuer: activité cérébrale, respiration, rythme cardiaque et température corporelle. Un livre, de la méditation… Trouvez ce qui vous convient le mieux.
• L’exercice est bon pour la santé et une activité physique suffisante pendant la journée favorise une bonne nuit de sommeil, mais évitez les activités intenses tard le soir.
• Planifiez bien votre repas du soir. Il n’est pas judicieux de s’endormir juste après le dîner, ni de se coucher le ventre vide.
• Lorsque nous sommes fatigués le soir, nous libérons beaucoup de mélatonine, la substance qui nous permet de nous endormir. La lumière bleue empêche la production de mélatonine. Eteignez donc bien à temps votre téléphone ou votre ordinateur.
• Veillez à profiter suffisamment de la lumière du jour pendant la journée. Essayez de passer au moins 30 minutes à l’extérieur chaque jour, de préférence le matin.
LA CHAMBRE
• Vous avez l’impression que votre matelas, votre couette ou votre oreiller a besoin d’être remplacé? En vacances, observez attentivement si vous dormez mieux avec un autre type d’oreiller ou de matelas. Les hôtels proposent souvent les dernières tendances en matière de literie, profitez-en pour comparer… et changer si besoin.
• La lumière et le bruit peuvent perturber votre sommeil. Les rideaux occultants empêchent la lumière de pénétrer, mais le bruit est moins contrôlable. Peut-être qu’une autre pièce de votre maison est plus silencieuse? De nouvelles fenêtres pourraient-elles vous soulager? Ou simplement des boules Quies?
• Une bonne ventilation de votre logement est importante pour votre santé et votre sommeil.
• La température idéale pour dormir se situe entre 16 et 20 degrés.
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