Woodstock, le quartier le plus cool du Cap

Le Wex, gigantesque hub pour les jeunes créateurs. © Renaud Callebaut
Antoine Moreno Journaliste

Son nom est Woodstock. Un ancien quartier industriel du Cap, en Afrique du Sud, devenu le cœur battant pour toute une génération de créateurs qui ont (ré)investi le passé avec le goût du chemin de traverse, de l’innovation et de l’aventure à échelle humaine. Visite.

Derrière le comptoir de La Sorbetière, Bérangère Cristini met la main à sa dernière glace artisanale, un parfum inspiré par les rouleaux à la cannelle. Elle a posé ses valises au Cap, la deuxième ville d’Afrique du Sud, il y a neuf ans. Elle ne regrette pas le grand saut de l’expatriation. «Même si on est un peu perdus au bout du monde, il y a plein de choses qui se passent ici», se défend-elle. Avec ses montagnes qui plongent à la verticale dans la mer, la capitale législative, voisine du Cap de Bonne Espérance, est la dernière escale terrestre du continent noir.
Quelques pas de plus et ce sont les vagues déchaînées de l’Atlantique, décuplées par les ressacs de l’océan Indien, qui sont prêtes à vous engloutir. Cette sensation de bout du monde, comme dit la jeune pâtissière qui a travaillé pour le groupe Ducasse à Monaco, n’est pas un frein à l’enthousiasme, bien au contraire. Et à Woodstock en particulier qui dégage «une énergie positive hors du commun», se réjouit l’entrepreneuse qui ne tarit pas d’éloges à propos de cet ancien fief de l’industrie textile qui a entrepris, à deux kilomètres du centre, une ambitieuse transformation.

street art le cap woodstock
Les fresques surgissent à tous les coins de rue. © Renaud Callebaut

Sur Albert Road, l’axe principal qui longe la voie ferrée, coincé entre Devil’s Peak (le Pic du Diable) et le port marchand, les défunts entrepôts nés sous l’ère britannique se sont mués en micro-brasserie, en restaurants tendance et en «creative spaces» sans pour autant chasser les commerces historiques. Les vendeurs de pneus d’occasion, les réparateurs de téléphonie mobile, les échoppes de cash and carry côtoient les distributeurs de mobilier chic où sont exposées les dernières pièces de Vitra ou Foscarini. Ce mélange de commerces populaires et raffinés comble les nouveaux arrivants, ravis que Google ait choisi «leur» quartier pour implanter son Q.G.

Rapprocher les gens

Le Wex (Woodstock Exchange) est l’une de ces adresses qui attestent de la vitalité ambiante. Distribué autour d’une allée centrale, ce double bâtiment industriel au gabarit imposant rassemble une dizaine de boutiques en vue et autant de start-up. Leurs occupants ont en commun le goût du chemin de traverse, de l’innovation et de l’aventure vécue à échelle humaine. «Inspirer, échanger», lit-on en lettres géantes sur une passerelle en béton qui enjambe le passage.

Le mot d’ordre a été entendu par la firme italienne de luminaires personnalisables Creative Cables, présente au dernier Salon de Milan, dont un espace de vente occupe depuis peu le coin de la rue. Juste en face, la cantine Supérette rallie les foules. A midi, on y fait la file pour savourer les délicieux émincés de bœuf rôtis servis sur pain de seigle. «La viande provient d’un petit producteur local 100% bio», certifie une serveuse qui se faufile entre une rangée de chaises Tolix.

Non loin, les cosmétiques de luxe Ash & Mill ont trouvé leur public cible grâce à des produits de soin concoctés à partir de cendres de végétaux sud-africains comme le rooibos, la star des thés détoxifiants. Fort de son identité alternative, le street art est naturellement omniprésent sur les murs du Wex. Rien de sauvage pour autant: les interventions sont financées par les acteurs économiques et les autorités locales. «C’est une forme d’expression qui permet aux artistes de raconter leur vécu et de s’adresser à un public plus large que dans le cadre classique d’une galerie», s’enthousiasme Shaheed, guide pour Juma Art Tours, association créée par l’artiste Juma Mkwela.

La visite emprunte le second étage du bâtiment anthracite où surgit un portrait écrasant d’Hendrik Verwoerd (1901-1966), le sinistre théoricien et architecte en chef de l’apartheid. «D’un côté, le visage est souriant, de l’autre, l’expression est menaçante», précise celui qui nous invite à nous déplacer d’un bout à l’autre de l’œuvre pour mesurer l’effet d’optique.

Sur Albert Road, les boutiques et cafés branchés ont revitalisé le quartier ouvrier.
Sur Albert Road, les boutiques et cafés branchés ont revitalisé le quartier ouvrier. © Renaud Callebaut

Un beau bazar

Qu’ils soient politiques, poétiques, écologiques ou… publicitaires, les grafs se sont répandus comme une traînée de poudre à Woodstock. Même dans les ruelles adjacentes à Albert Road, où les entrepôts cèdent la place à des habitations modestes, ils se déploient à chaque coin de rue. Un engouement auquel Alexandre Tilmans n’est pas étranger. Ce Bruxellois passé par Solvay est arrivé il y a quinze ans au Cap, où il a créé Baz-Art, une structure qui coordonne et met en avant le travail des graffeurs en nouant des partenariats avec le secteur public et privé. «Nous jouons le rôle de facilitateur», résume le quadragénaire qui, en 2016, dans le quartier voisin de Salt River, a lancé le festival international annuel de street art.

Plus d’une centaine de réalisations ont été initiées par le Belge dans la ville. «C’est une démarche qui rapproche les gens, et ce pour une raison très simple: pour peindre un mur extérieur, il faut l’accord des voisins, ils doivent donc se parler. Cela soude les habitants qui, fiers de leurs murs, ont le souci de les entretenir.»

Le street art, projet esthétique et social.
Le street art est un projet esthétique et social. © Renaud Callebaut

L’apartheid, qui a pris officiellement fin en 1991, demeure une source fréquente d’inspiration. Même pour les artistes nés sous la présidence de Mandela. Woodstock a pourtant la particularité d’avoir été relativement épargné par le régime ségrégationniste, faisant du quartier une poche de résistance qui a favorisé la mixité ethnique et sociale. Une parenthèse qui n’empêchera pas la crise économique.

Affaiblie par la concurrence venue d’Asie, la production textile, alors fierté de Woodstock, entame un lent déclin dans les années 80, entraînant chômage, déclassement et violence. En proie aux tsotsis, les membres de gangs, Woodstock devient l’un des coins les plus malfamés du Cap. Un souvenir bien lointain depuis que les promoteurs déploient bureaux, logements et commerces en vue. L’architecture historique, qui rappelle que Woodstock a été aménagé au XIXe siècle par les Britanniques, a été remise en état, repeinte dans des couleurs vives pour oublier la grisaille du passé.

Atmosphère métallo-chic pour la cantine Supérette.
Atmosphère métallo-chic pour la cantine Supérette. © Renaud Callebaut

Le mythe viriliste

L’inauguration en 2017 du Zeitz Museum, le plus grand musée d’art contemporain africain au monde, prouve que le tourisme culturel est un précieux allié dans le processus de gentrification. Sculpté dans un ancien silo à blé, il se trouve à 10 minutes en voiture de Woodstock. «Ce musée a permis de faire prendre conscience du dynamisme de Cape Town dans le domaine de l’art contemporain», se félicite Alexandre Tilmans. Plusieurs galeries n’ont cependant pas attendu son arrivée pour séduire les grandes foires internationales. La SMAC Gallery, qui représente entre autres la photographe Lhola Amira, est une habituée des allées d’Art Basel Miami et d’Art Brussels. Elle partage avec la Stevenson Gallery – qui soutient notamment la peintre Portia Zvavahera – un même souci d’exigence qui tient à faire savoir que l’art sud-africain ne se limite pas à un bestiaire inspiré par les Big Five des parcs animaliers…

Ambiance festive dans les allées de l’ancienne manufacture Old Biscuit Mill.
Ambiance festive dans les allées de l’ancienne manufacture Old Biscuit Mill. © Renaud Callebaut

Connu de tous les riverains, The Old Biscuit Mill est devenu le symbole du retour en grâce du quartier ouvrier. Le week-end, l’ancienne usine de biscuits, transformée par l’architecte Kristof Basson, accueille des boutiques alternatives et un généreux marché de bouche, le Neighbourgoods market, qui fait carton plein. Dans une ambiance décontractée, rythmée par la playlist d’un DJ, on y mitonne, au milieu du brouhaha des tables d’hôtes, le bobotie, le plat familial «coloroured» de la province du Cap oriental, mais aussi des plats libanais, alsaciens ou des salades healthy qui tendent à faire oublier la roborative tradition des spare-ribs et autres burgers qui constituent la référence culinaire en Afrique du Sud. La résistance est pourtant forte, même dans les allées ô combien branchées du Old Biscuit Mill, où le mythe viriliste du barbecue n’a pas rendu les armes. Pour preuve, Pete Goffe-Wood, un chef qui fait partie du jury d’Ultimate Braaimaster, une émission de télé-réalité qui couronne les maîtres du BBQ, y tient enseigne en proposant des ciabattas copieusement fourrées au rumsteak ou au ventre de porc grillé. Même pas peur.

Présente dans les grandes foires d’art contemporain, la SMAC Gallery a posé ses valises à Woodstock.
Présente dans les grandes foires d’art contemporain, la SMAC Gallery a posé ses valises à Woodstock. © Renaud Callebaut

EN PRATIQUE

Y aller

Brussels Airlines propose des vols quotidiens dès 800 euros A/R avec une escale.

Depuis peu, Air Belgium propose une liaison directe entre Bruxelles et Johannesbourg puis Le Cap, les mercredis et dimanches, dès 560 euros A/R.

Boire et se sustenter

• Supérette. Un sans-faute pour cette cantine stylée ouverte à l’heure du petit-déjeuner et du lunch. Elle a le bon goût de s’approvisionner chez Bill Riley Meat, renommé boucher de père en fils depuis 1969. 66, Albert Road.

• The Old Biscuit Mill. Un hub très réussi dédié à l’art de vivre et aux plaisirs de bouche qui cache un stimulant food court (uniquement le week-end en journée). The Old Biscuit Mill abrite aussi The Test Kitchen, soit la meilleure table de la région, sinon du pays, très prisée malgré des créneaux horaires réduits et hiératiques consécutifs à la crise sanitaire. 375, Albert Road.

• La Sorbetière. Des glaces 100% artisanales de très haut vol, concoctées dans une petite boutique nichée dans une arrière-cour égayée par le street art. 48, Albert Road.

Découvrir

• Le Wex. On peut y manger, revoir sa déco (avec les luminaires de Creative Cables), se refaire une beauté (avec les produits Ash & Mill) et bien d’autres choses. L’adresse la plus cool de Cape Town. 66, Albert Road.

• Urban Art. Les fresques urbaines sont omniprésentes à Woodstock et à Salt River, le quartier voisin. Une visite s’impose pour comprendre l’envers du décor et mesurer l’importance de la communauté. baz-art.co.za et jumaarttours.co.za

• SMAC Gallery. Cette galerie dirigée par Baylon Sandri s’est installée à Woodstock dès 2014 dans un ancien bâtiment industriel. Elle fait la part belle aux artistes sud-africains contemporains émergents et confirmés, comme la talentueuse plasticienne Michaela Younge. 145, Sir Lowry Road.

Se loger

Cap Heritage Hotel. Le point faible du quartier? Il n’a pas la réputation d’être sûr à la nuit tombée. Conséquence: aucun hôtel digne de ce nom n’a encore vu le jour à Woodstock. On recommande dès lors Le Cap Heritage (à 10 minutes en voiture), un 4-étoiles à la fois vintage et contemporain qui se déploie dans un cadre architectural qui rappelle que les Hollandais furent les premiers colons en s’établissant à Cape Town en 1648. 90, Bree Street. capeheritage.co.za

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