3 adresses où manger les meilleurs kebabs de Belgique
Figure culinaire de l’ombre, le kébabier digne de ce nom ajoute aux aptitudes du boucher celles du grillardin. Longtemps sous-estimé, l’art de ces forçats du rôtissage accède enfin à la reconnaissance. Voici trois adresses testées et approuvées par la rédaction.
Outre-Mer, à Louvain-la-Neuve
Il n’est pas déraisonnable d’espérer qu’un jour les kébabiers, du moins ceux qui ne cèdent pas à la tentation d’acheter des broches surgelées (une facilité qui possède également des avantages économiques car la viande s’affiche à moins de 5 euros le kilo, là où les artisans qui font le choix de la qualité paient le double, voire le triple), soient reconnus pour leurs bons et loyaux services. En d’autres termes qu’ils accèdent au titre de chefs à part entière. Il faut bien comprendre que l’honnête homme du kebab travaille à un rythme effréné. Ahmed Doghmosh (37 ans) en sait quelque chose, lui qui appartient de plein droit à ce cénacle. Sa journée commence chaque matin vers 9 heures, à l’exception du dimanche qu’il emploie à aller faire le plein chez ses fournisseurs levantins, pour se terminer à 1 heure du matin, en bon fournisseur officiel des faims de nuit. Le tout pour des semaines épuisantes qui frisent les 100 heures de turbin.
Pourtant, c’est avec chaleur et fierté que l’intéressé réalise lui-même ses broches de poulet et de poitrine de dinde qui se sont taillé une solide réputation à Louvain-la-Neuve. Celles-ci ne font pas que le bonheur des étudiants, l’adresse se refilant également entre connaisseurs. Il faut dire que son dürüm chawarma est un modèle du genre… grâce à sa fraîcheur. «Quand on croque dans un chawarma, il faut qu’il y ait un équilibre. La viande ne doit pas tout emporter, une note végétale est nécessaire. Pour cette raison, je veille à ce que les légumes restent croquants. Le pain, que je termine dans un grill, doit quant à lui être un tout petit peu fondu», analyse ce passionné qui plante le sommet de ses broches d’oranges et de citrons.
‘Quand on croque dans un chawarma, il faut qu’il y ait un équilibre.’
Pour cultiver le caractère frais de ses viandes grillées, l’intéressé réalise une redoutable marinade à base de yaourt, d’ail, de sel, de jus de citron, de sauce au poivron et d’un mélange d’épices qui constitue sa botte secrète – ce sens du condiment se traque aussi du côté de ses oignons au sumac.
L’apprentissage d’Ahmed Doghmosh remonte à son adolescence. Il avait 16 ans quand il a appris le métier auprès de son frère qui possédait un snack à Tulkarem, l’un des 16 gouvernorats de Palestine situé dans le nord-ouest de la Cisjordanie. De ce passé, le kébabier ne veut pas dire grand-chose, lui qui est arrivé en Belgique en tant que réfugié politique en 2011 et a gravi tous les échelons de la restauration, passant de plongeur à chef dans un restaurant de cuisine française – une expérience qui lui a permis de mieux comprendre les saveurs de son pays d’adoption.
C’est la crise sanitaire qui lui a offert l’opportunité de reprendre une enseigne qui existait déjà depuis vingt-trois ans. Il en a conservé la rigueur et la constance. Plutôt taiseux, l’homme préfère que ses dürüms et son houmous ultra-onctueux parlent pour lui. Sur son lien au pays qu’évoquent quelques photos suspendues au mur de son snack, il révèle à peine qu’il est le seul membre de sa famille à l’avoir quitté et que son cœur saigne à distance pour ses proches.
14, rue Rabelais, à 1348 Louvain-la-Neuve. outre-mer.be
Panam, à Ixelles
Si à Paris, où il a vécu, Sébastien de Bergeyck a vu la tendance des snacks de luxe exploser depuis plusieurs années déjà, à Bruxelles, il est le pionnier du genre. «J’aime l’idée de rehausser un simple casse-croûte en utilisant des ingrédients de première qualité», explique l’intéressé. Le modèle de kebab qu’il sert provient de Berlin. «Dans la capitale allemande, ce type d’enseigne est très populaire: il y en a plus d’un millier. La version berlinoise s’inspire du kebab turc original et a été développée par des chefs germano-turcs dans les années 70. Elle se distingue par la présence de légumes grillés tels que les aubergines, les courgettes et les poivrons, de même qu’une garniture de feta émiettée et de crudités croquantes comme le chou, le concombre et l’oignon.»
Chez Panam, on sert une version au poulet, au falafel ou au halloumi grillé. «Nous voulons que l’offre soit accessible à tous, c’est pourquoi nous proposons deux options végétariennes et optons pour la volaille. Le falafel est confectionné par nos soins et est entièrement végétal. Le halloumi est belge, moins salé et fabriqué à partir de lait local. Nous faisons mariner le poulet nous-mêmes tous les jours et l’embrochons. Il s’agit d’un travail minutieux que l’on ne peut pas confier à n’importe qui.
‘J’aime l’idée de rehausser un simple casse‑croûte en utilisant des ingrédients de première qualité.’
Les trois sauces – une au yaourt frais et aux herbes, un aïoli à l’ail confit et une sauce épicée – sont également préparées sur place. Nous ne faisons bien sûr pas l’impasse sur les frites, que nous coupons finement à la main et que nous faisons frire ici. Un Belge ne peut pas savourer son kebab sans le marier à une portion de frites, mais à Berlin aussi, c’est un accompagnement classique.»
Pour le pain, Sébastien de Bergeyck collabore avec la boulangerie Renard, à Ixelles. «Elle prépare spécialement pour nous son interprétation d’un pain turc moelleux.» Côté boissons, elles sont aussi locales que possible. Hormis le Fritz Cola, qui vient d’Allemagne, elles sont toutes produites en Belgique. «Nous sommes par exemple fiers du kombucha de Rish, un atelier de fermentation artisanale de Bruxelles.»
Les prix pratiqués ont, au début, apporté leur lot de commentaires: «Un snack est encore considéré comme un casse-croûte bon marché. Mais je suis persuadé que sa version gourmet, au même titre que le haute dog ou les smashburgers tendance, finira par s’imposer. Après tout, qui aurait jamais crû que nous paierions 15 euros pour un hamburger? Pourtant, les foodies savent faire la différence entre un smashburger artisanal et un fast-food. Je suis certain que le kebab artisanal connaîtra le même sort. Quand les gens le goûtent, ils sont en général tout de suite convaincus.»
«Au départ, je ne me suis pas attardé sur le débat concernant l’appropriation culturelle, concède Sébastien de Bergeyck. Je pensais simplement qu’il s’agissait d’un chouette concept que je voulais façonner à ma manière, sans prétendre m’approprier la cuisine turque. Mais le fait d’en parler à différentes personnes m’a fait réfléchir davantage: le kebab est manifestement un plat qui n’est pas issu de ma propre tradition culinaire. Néanmoins, je pense qu’il serait dommage que seuls les Italiens soient autorisés à faire de la pizza ou que seuls les Turcs puissent proposer du kebab. Des membres de la communauté turque viennent souvent manger chez Panam, je leur en parle aussi et je n’ai pratiquement aucune réaction négative.»
14, place Fernand Cocq, à 1050 Bruxelles. @panam.kebab
Chez Murat, à Liège
Faisant face à l’alléchante broche, coiffée d’un bouquet de persil et d’une tomate, qui orne le comptoir de Chez Murat, une plaque en Plexi attire l’attention du curieux. Une scène peinte, façon street art, parodie la fameuse Création d’Adam de Michel-Ange tels que les touristes peuvent la contempler au plafond de la chapelle Sixtine. En lieu et place du Créateur et du premier homme, l’artiste a esquissé la figure de Murat, le fondateur de l’endroit, passant un précieux dürüm à Eser Ayata (43 ans), l’actuel propriétaire des lieux d’origine arménienne.
La représentation joue la carte de l’humour mais on aurait tort de croire que le métier de kébabier n’entretient aucun lien avec les notions de transmission et de vocation. Ce n’est pas Eser qui dira le contraire, lui qui a mis la main à la broche alors qu’il n’avait que 9 ans. Le contexte n’était pas le même. «C’était à Istanbul, sous un viaduc, le kebab était alors un repas ouvrier, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les systèmes de cuisson n’étaient pas motorisés, j’étais engagé pour faire tourner la viande, à la main, pendant toute la journée», se souvient-il.
Son propre père l’encourage dans cette voie. «Le monde change mais les vaches et les moutons ne changeront jamais», avait coutume de répéter le paternel pour que le gamin réalise l’importance du métier. Message reçu, Eser embraie, devenant boucher et charcutier dans la foulée, un savoir-faire capital pour qui veut exercer l’art du kébab en bonne et due forme. «Donnez-moi un animal, j’en prendrai soin, je le chérirai même mais quand son heure sera venue, je saurai également le désosser et valoriser toute sa carcasse», précise le kébabier.
‘Le monde change mais les vaches et les moutons ne changeront jamais.’
A force de fréquenter les militants syndicalistes du petit snack stambouliote où il œuvrait, Eser devient marxiste. «J’ai appris ce que c’était la plus-value, le capital.» A tel point que le jeune homme engagé qu’il est devenu n’est plus le bienvenu dans son pays. Réfugié politique, il rejoint la Belgique début 2000 où, après avoir fait de la découpe dans une usine de viande, il fait la connaissance de Murat qui, depuis 1984, possède une enseigne dans la rue Souverain Pont. Entre les deux, le courant passe. Pendant vingt ans, Eser apprend les ficelles du métier, observant entre autres Murat enfiler patiemment les morceaux de viande sur les broches.
Aujourd’hui, il faut le voir, affûté et débordant d’énergie, dans sa petite cuisine située à l’arrière de sa boutique. C’est là qu’il assemble des broches incroyablement appétissantes. Sa recette? Un savant empilage de colliers de moutons, issus de trois origines différentes (Nouvelle-Zélande, Irlande et Ecosse), auquel il ajoute de la bavette de bœuf et des tissus conjonctifs d’agneau conférant le gras à l’ensemble. Roulée dans le sel, le poivre rouge et l’origan, cette préparation libère une saveur subtile, entre l’épice et le grillé, sous la chaleur et grâce à une découpe savante.
Un travail accompli sous l’œil attentif de Julien, un jeune Liégeois, qui entend bien devenir «le premier kébabier belge» à travailler selon les règles de l’art.
9, rue Souverain Pont, à 4000 Liège. Tél. : 0484 71 71 86.
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