À la recherche du couvert idéal
Dans un restaurant gastronomique, chaque détail compte. Les chefs Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard du Gastronome, à Paliseul, ont créé les couverts idéaux de leur table étoilée. D’autres restaurateurs partagent aussi leur expérience.
Nous arrivons un peu trop tard pour obtenir une table. Non pas parce que Le Gastronome affiche déjà complet lorsque nous débarquons à Paliseul, en province de Luxembourg. Mais parce que le restaurant étoilé est fermé depuis aujourd’hui pour cause de vacances. Des congés bien occupés: les chaises sont empilées les unes sur les autres et les tables ont été poussées sur les côtés afin de pouvoir rénover les lieux.
«Le restaurant ne ressemble pas vraiment à ça en temps normal», précise le chef Jean Vrijdaghs (30 ans) en nous faisant visiter la salle. Nos chaussures accrochent à des résidus de colle ici et là. «La moquette sera refaite la semaine prochaine, s’excuse-t-il. C’est l’une des premières transformations que nous prévoyons d’effectuer ces prochains mois.»
Alors que son collègue et partner in crime Sébastien Hankard (28 ans) s’apprête à déguster les délices du restaurant Castor du chef Maarten Bouckaert à Beveren-Leie – un peu de congés tout de même –, Jean Vrijdaghs nous montre fièrement la dernière nouveauté de leur établissement: ses couverts. Depuis cet été, les deux comparses accompagnent en effet leurs menus méticuleusement élaborés de couteaux, fourchettes et cuillères tout aussi réfléchis. «Le couvert idéal», comme ils décrivent leurs nouvelles acquisitions.
Bois versus Inox
«Nous utilisions des couverts plus classiques, et plus fins, comme beaucoup de restaurants, explique Jean Vrijdaghs. A un moment donné, Sébastien et moi avons commencé à discuter de l’adaptation de notre coutellerie pour qu’elle corresponde mieux à notre activité. En effet, nous avons tous les deux grandi avec des couverts un peu plus robustes, plus lourds et qui permettent une meilleure prise en main. Nous voulions proposer la même sensation à la table du Gastronome. Nous fêtons nos 5 ans cette année. C’est une coïncidence, mais c’est une belle façon de célébrer cette étape.»
Chaque détail compte. En cinq ans, nous avons constaté que ce sont ces petites choses dont les clients se souviennent.
Les jeunes cuisiniers avaient déjà collaboré avec le jeune coutelier français Antoine Lonjaret, du label Lonjacraft, pour le grand couteau qu’ils proposent avec leurs plats principaux. Ce modèle a été doté d’un manche en bois de padouk résistant, afin de renforcer l’atmosphère de l’établissement. A la recherche d’une coutellerie complète, ils sont vite repartis en Provence, chez cet artisan de haut vol.
«Nous ne voulions pas travailler avec du bois pour les autres couteaux, fourchettes et cuillères afin de garantir leur durabilité, souligne Jean Vrijdaghs. C’est un matériau solide, mais il ne résiste pas bien au lave-vaisselle trois fois par jour. Nous avons donc opté pour le métal en concertation avec Antoine. L’Inox n’est pas seulement plus facile à entretenir, c’est aussi un matériau qui ne se fissure pas vite et qui peut être réparé aisément.»
Un travailleur acharné
Le duo a rencontré le Français par l’intermédiaire d’un ami commun, qui a vanté les superbes couteaux de cuisine qu’il fabriquait. «Le courant est tout de suite passé, se souvient notre interlocuteur. Comme nous, il est jeune et ouvert à des collaborations amusantes. Pour lui aussi, c’était la première fois qu’il acceptait une telle commande. Antoine est un perfectionniste et un travailleur acharné.
Les couverts idéaux de Thijs Vervloet
A la tête du restaurant 2-étoiles Colette – De Vijvers, à Scherpenheuvel-Zichem (Brabant flamand)
«Notre coutellerie est notre marque de fabrique. En effet, le nom de notre restaurant fait référence à ma grand-mère, qui m’a fait découvrir le monde de la cuisine. Elle avait chez elle un grand coffret de couverts Christofle qu’elle ne sortait que pour les grandes occasions. Ce sont ces mêmes couverts Marly en argent que nous avons développés et utilisés dans notre restaurant au fil des ans. Nous voulions qu’ils dégagent une certaine classe, la grandeur du passé. L’argenterie a longtemps joué un rôle crucial lors des dîners, même si nous remarquons que de nombreux chefs s’en éloignent aujourd’hui.
Cependant, comme beaucoup de nos clients, je suis très charmé lorsqu’un restaurant présente des couverts en argent poli sur la table. Ils reposent naturellement dans la main, sont raffinés, brillants et ne changent pas les saveurs. Cette argenterie de ma grand-mère était utilisée exclusivement dans notre salon privé, mais elle commence à circuler. Dès mon enfance, j’ai compris qu’elle était intemporelle: dans cent ans, elle brillera toujours aussi joliment qu’il y a cent ans. De plus, elle ne perd rien en valeur monétaire. Même si, pour moi, c’est surtout la valeur émotionnelle qui compte.»
A plusieurs reprises, il est arrivé que nous terminions notre service à minuit et que nous recevions encore des messages de sa part: «Que pensez-vous de ce couteau? Et si nous donnions plutôt cette forme à la cuillère?» Il est très à l’écoute de nos envies, et nous aide à trouver des solutions en cas de problèmes techniques. Nous avons passé un an à développer la coutellerie parfaite.»
Comment créer des couverts ensemble quand plus de neuf cents kilomètres vous séparent? Rien de plus simple: il suffit d’envoyer les prototypes par la poste. C’est ainsi que des colis spéciaux sont arrivés à Paliseul à plusieurs reprises au cours de l’année écoulée.
Un double logo discret
«Nous échangions plusieurs fois par semaine par téléphone et par visioconférence, et Antoine est également venu plusieurs fois en Belgique, raconte Jean Vrijdaghs. Outre l’esthétique, il était encore plus important que l’ergonomie soit parfaite. Il a parfois fallu retirer quelques grammes d’une pièce, ou raccourcir un manche pour une position équilibrée dans la main. La première pièce que nous avons modifiée de la sorte était la petite fourchette pour les apéritifs.
Pour équilibrer le lourd manche rond, Antoine a aplati le bas de la fourchette afin que le petit doigt puisse s’appuyer dessus. Tout est dans les détails (rires). Ce qui est bien quand on travaille avec des artisans, c’est qu’ils connaissent les matériaux beaucoup mieux que nous. Antoine a ainsi pu nous conseiller parfaitement, de la taille idéale d’une fourchette à la largeur de la lame de nos couteaux. Chaque produit fini porte donc les logos de nos deux entreprises. Il s’agit d’une véritable collaboration.»
Les couverts idéaux de Rebecca Vandekerckhove et Lieven Vynck
A la tête du restaurant Onslow, à Bruges
«Idéalement, nous voulions des couverts de la vieille école: rien de très élégant, comme on le voit souvent, mais quelque chose de classique qui tienne bien dans la main et qui puisse montrer des signes d’utilisation au fil du temps. Nous désirions d’abord nous concentrer sur les assiettes, et nous avons donc choisi un ensemble simple de la marque néerlandaise Sola.
En effet, contrairement aux restaurants classiques, nous ne distribuons pas de nouveaux couverts à chaque fois qu’une nouvelle assiette est placée sur la table. Comme nous appliquons le principe du partage, nous recherchions surtout des fourchettes, des couteaux et des cuillères plus petits qui ne prendraient pas trop de place sur les tables.»
Le défi de la grande cuillère
Et la pièce la plus difficile à concevoir? «Sans aucun doute la grande cuillère. L’ergonomie est toujours plus compliquée, car certaines personnes aiment les petites cuillères, d’autres les grandes. Les préférences varient également en matière de profondeur, etc. Il existe aussi de nombreuses façons de tenir l’objet, et donc de nombreux éléments à prendre en compte.»
Lorsqu’on lui demande combien de clients prêtent attention à ce détail qui accompagne leur repas, Jean Vrijdaghs est catégorique: chaque élément de la table influe sur l’expérience du client. «Un restaurateur veut offrir la meilleure expérience possible à ses convives. On peut par exemple prévoir une petite table sur laquelle les dames peuvent poser leur sac, etc. Mais les couverts jouent également un rôle crucial à cet égard.
Chaque détail compte. Au cours des cinq dernières années, nous avons constaté que ce sont ces petites choses dont les clients se souviennent. D’après les commentaires que nous recevons depuis cet été, nous pouvons déduire qu’ils ont remarqué et apprécié nos nouveaux couverts.»
L’exemple d’autres chefs
De nombreux chefs fabriquent leur propre vaisselle ou leurs propres couverts. L’exemple le plus connu est peut-être celui du chef zélandais Sergio Herman, qui a déjà conçu plusieurs pièces avec Serax, des couverts aux seaux à glace, qu’il utilise dans ses différents restaurants. Pour l’instant, Jean Vrijdaghs et Sébastien Hankard ne semblent pas avoir l’intention de commercialiser leur ligne.
Les couverts idéaux de Caroline Baerten et Nicolas Decloedt
A la tête du restaurant Humus x Hortense, à Bruxelles
« Je trouve dérangeant que le personnel intervienne en permanence alors qu’on est à table en train de discuter avec son partenaire ou des amis. e voulais trouver une solution à ce problème. Dans le restaurant Relæ de Copenhague, j’avais déjà vu des plateaux sur lesquels les clients pouvaient choisir leurs couverts, mais je trouvais cela gênant avec l’emplacement des chaises. C’est ainsi qu’est née l’idée de construire nos tables en fonction du design de nos couverts, ce qui permet de sortir ses propres couverts au milieu de la table en fonction des besoins.
Cela donne également à nos clients un maximum de liberté sur la façon dont ils mangent. Nous avons récemment reçu un couple dans lequel l’un a mangé son dessert avec une cuillère et l’autre avec une fourchette et un couteau. Les clients peuvent ainsi aussi choisir de garder ou de changer leurs ustensiles, même si je précise souvent avec un clin d’œil que notre lave-vaisselle apprécierait la première solution. Chez nous, en tant que convive, vous pouvez vraiment décider de la manière dont vous vivez votre dîner.»
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«La question est déjà revenue à plusieurs reprises, mais cela ne fait pas partie de nos projets actuels. Ce serait chouette si nos clients pouvaient ramener un petit morceau du Gastronome chez eux, mais pour l’instant, nous préférons miser sur le côté exclusif, pour garantir une expérience unique.»
Des rénovations à venir
D’autres changements sont également attendus pour l’établissement étoilé. Après la moquette de la salle à manger, les chefs ont prévu de s’attaquer au salon où leurs hôtes peuvent déguster un apéritif ou un digestif – il devrait y avoir une cheminée, entre autres. La terrasse sera relookée et les chambres seront également rafraîchies.
A une date qui reste à déterminer en 2024, la table affichera porte close pendant au moins trois mois. Ces projets font-ils partie d’une campagne visant à décrocher une deuxième étoile Michelin?
«Pas tout de suite, répond Jean Vrijdaghs. C’est surtout la cerise sur le gâteau pour le travail de toute l’équipe. Quant à savoir si cela peut jouer un rôle dans une éventuelle étoile, je laisse la question en suspens. Nous voulons surtout convaincre nos clients de revenir et de profiter d’une expérience gastronomique avec nous. Notre équipe a parcouru un long chemin et continue de s’améliorer. Que nous réservent les cinq prochaines années? Nous verrons bien. En tant que chef, on ne peut que se développer.»
En bref Jean Vrijdaghs
- Il obtient son diplôme de l’IFAPME à Dinant en 2012.
- Il commence dans la cuisine du restaurant étoilé Le Coq aux Champs, où il rencontre son partenaire Sébastien Hankard en 2014.
- En 2016, il fonde Le Duo des Saveurs avec ce dernier, en proposant leurs services comme chefs à domicile.
- En 2018, ils reprennent ensemble l’ancien restaurant-hôtel 2-étoiles Au Gastronome, à Paliseul. Ils rebaptisent l’endroit Le Gastronome.
- Fin 2019, le Gault&Millau les désigne comme Jeunes chefs (wallons) de l’année. Un mois plus tard, ils obtiendront également leur première étoile.
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