Pourquoi bien s’habiller pour aller au resto fait partie du plaisir

Pourquoi bien s’habiller pour aller au resto fait partie du plaisir © Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Entre dominance du streetwear et apogée du look randonnée, il est désormais commun (et parfaitement accepté) de se rendre au resto en jogging ou autre tenue technique. Mais est-ce une bonne idée? Pour les restaurateurs, se pomponner est l’ingrédient secret de toute sortie gourmande réussie.

Aller au resto ne consiste pas simplement à consommer un repas, c’est tout un programme – ou un menu en plusieurs services, si vous préférez. En guise de mise en appétit, il s’agit d’abord de choisir l’endroit où on va s’attabler, à grand renfort de recommandations alléchantes et autres lectures savoureuses de menus en tout genre. Une fois l’établissement sélectionné, on ajoute toutes une séries d’ingrédients à l’élaboration du moment: avec qui va-t-on s’y rendre, quand, que célèbre-t-on… Plus le rendez-vous se rapproche, plus on se réjouit, les réseaux sociaux permettant aujourd’hui de saliver devant photos, avis et autres préparations détaillées par d’apprentis critiques gastronomiques 2.0 grâce auxquels celles et ceux qui n’aiment rien tant que de disséquer la carte avant un dîner peuvent s’en donner à coeur joie.

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Enfin, vient le moment des derniers préparatifs avant le repas… Et c’est là que les opinions divergent. À l’heure du streetwear à toutes les sauces et des joggings et autres baskets sciemment abîmées proposées à plusieurs milliers d’euros par des maisons de luxe, il est compréhensible que certains dîneurs choisissent de s’attabler dans les établissements les plus luxueux vêtus d’une tenue avec laquelle ils pourraient être sortis tout droit de la salle de gym. Après tout, une taille élastique et une coupe ample, on ne fait pas mieux pour laisser confortablement son ventre se distendre au gré des services. Se passer un coup de peigne ou, plus laborieux encore, un bâton de rouge sur les lèvres? Le grunge vit une renaissance qui ne fait pas mine de perdre en popularité, et on agrémente donc sa tenue de sport de cheveux gras et d’un teint blafard. Après tout, on est là pour manger, pas pour défiler.

Sauf que les restaurateurs l’affirment: loin d’être un artifice ou une corvée, se pomponner est l’ingrédient secret de toute sortie réussie au resto.

Une mise en bouche stylistique

Pour Marie Trignon, cheffe de La Roseraie, à Modave, « le restaurant est et restera toujours une sortie, mais aussi un luxe. Le fait de réfléchir à sa tenue en amont permet de se mettre déjà dans l’ambiance du moment et de l’expérience que l’on est sur le point de vivre ». Autrement dit: en se préparant, on prépare la fondation de l’expérience sensorielle qui l’attend, et qui n’en sera qu’exaltée par le temps et l’attention qu’on aura accordés à l’acte de prendre soin de soin avant de se faire chouchouter à table.

« Je pense qu’il faut toujours se préparer pour bien se sentir, pour soi-même. C’est là que démarre l’expérience, en fait » appuie Christophe Hardiquest, chef et gérant du Menssa.

Mis au test, le point de vue de ces deux gastronomes de métier se tient. Deux soirées en tête-à-tête dans le même italien cosy de quartier, le genre d’adresse où on vient pour la constance de la qualité plus que pour le cadre ou même l’ambiance. Mais si, justement, notre mise jouait un rôle crucial dans la mise en place de cette dernière?

Deux salles, deux ambiances

Lors du premier dîner, au sortir d’une journée de boulot qui a joué les prolongations, on y va « comme on est », pour trouver un peu de réconfort dans une assiette de pasta al ragù agrémentées de belle tranches de rôti de boeuf rosé. Le moment est délicieux, décontracté, et on sort du restaurant l’estomac plein et la tête grandement vidée.

Deuxième date, même adresse, on décide d’y mettre les formes, et si, là aussi, proximité et promesse d’une généreuse ration de pâtes obligent, le repas se décide à la dernière minute un soir de semaine, on prend le temps d’un bref changement de garde-robe. Out, les tenues confortables de télétravail, Monsieur enfile un pull un peu chic et Madame se fait la bouche rouge.

Le cadre reste le même, la commande, aussi, mais l’acte de s’être « faits beau » avant de s’attabler change complètement l’ambiance. Ce n’est plus un simple repas partagé, c’est un tête-à-tête, un jeu de séduction opère par dessus les penne fumantes, et si on quitte le resto aussi repus et apaisés que la fois d’avant, il y a un petit truc en plus, la délicieuse impression d’avoir mis un peu de paillettes dans nos vies, comme dirait l’autre.

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Un ressenti qui est toutefois susceptible de différer selon les personnes, les adeptes du naturel et du confort risquant potentiellement de se sentir empruntés et de moins profiter. C’est que les notions de beauté et de séduction sont très personnelles, raison pour laquelle Stéphane Diffels, chef et propriétaire de l’Air de Rien, adopte une approche des plus pragmatiques: « si le client ne dérange personne, il ne me dérange pas ». Pour Sébastien Hankard et Jean Vrijdaghs, les chefs du restaurant Le Gastronome*, à Paliseul, « les styles vestimentaires sont très variés à l’heure actuelle. L’essentiel, à nos yeux, est de s’habiller de manière à respecter le cadre et le service que l’établissement offre ». 

« Bien s’habiller » au resto, une recette personnelle

Et si David Debin, le président de la Fédération HoReCa Bruxelles, regrette que « le fait de bien s’habiller pour aller au resto s’est complètement perdu », et rappelle qu’il s’agit pourtant d’une « question de respect pour les autres clients et le restaurateur », du côté des principaux concernés, on semble vivre décidément avec son temps. Et réaliser que « bien s’habiller » n’a pas tant disparu que pris une multitude d’autres formes qu’à l’époque où ça impliquait forcément cravate et veston ou robe et talons.  

« Les choses sont plus décomplexées, et c’est pour un mieux, car il est important de ce sentir bien dans ce qu’on porte. L’élégance n’a pas besoin d’être guindée, il convient simplement de trouver la juste tenue » partage encore Christophe Pauly, du Coq aux Champs*. Equilibre, justesse et prise en compte des préférences personnelles: en matière de mode comme de gastronomie, les recettes du succès semblent être les mêmes.

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