Elisabeth Debourse dévore les préjugés sur la cuisine américaine

American Appétit
Dans son dernier ouvrage, Elisabeth Debourse dévore les préjugés sur la nourriture US © Elisabeth Debourse

Dans American Appétit publié le 20 janvier dernier,  la journaliste et rédactrice en cheffe du magazine français Fooding, Elisabeth Debourse arpente les méandres de la cuisine états-unienne comme elle préfère la nommer. Parce qu’après tout, les US ne comptent que pour un tiers de la population et un quart seulement de la surface du continent américain. Entre préjugés qui ont la peau dure et véritable métissage culturel, le tout avec un appétit dévorant, elle a répondu à nos questions.

De New-York à la Nouvelle-Orléans, en passant par Philadelphie et Atlanta, trois semaines durant, la journaliste a longé la côte Est des États-Unis. Sur son chemin, 10 plats, emblématiques de la culture culinaire états-unienne. Ou plutôt des cultures, se corrige-t-elle. 

Ainsi, du chop-suey au fameux PBJ (peanut butter and jelly, pour les intimes) en passant par le réconfortant Mac&Cheese, au fil de ces 180 pages, la journaliste détricote le fil métissé de la cuisine états-unienne et en trie le vrai du faux, tout en envoyant valdinguer les préjugés sur cette dernière. Dans un ouvrage qui se lit comme on déguste un bon burger, et qui est nourri aux food studies (très chères à l’autrice), on en apprend énormément sur le pays de l’Oncle Sam. 

Road-trip American Appétit
American Appétit © Elisabeth Debourse

Comment une journaliste belge, basée en France, se retrouve-t-elle à plonger, tête la première, dans le bouillon de la cuisine états-unienne ?

Je dirais que c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Celle d’une amie qui venait des US et qui était tombée follement amoureuse de la Belgique, et plus particulièrement du Hainaut. Et j’ai été lui rendre visite aux États-Unis il y a huit ans. C’était une super immersion.

Cependant pour être honnête, je ne suis pas tombée amoureuse des États-Unis, ni de leur cuisine. Mais je me suis rendue compte que c’était un pays ultra-complexe. Dont j’avais l’impression de tout connaitre. Et en fait, il n’en était rien. Alors, j’ai voulu en savoir plus. 

Vous décrivez American Appétit comme un essai socio-narratif…

Tout à fait. Pour moi, la nourriture me permet de comprendre et de raconter les gens. Leurs interactions. Cela me permet de tirer mon fil. D’attraper la société par un bout et d’en remonter la trame, sous ce prisme. Qui au final, englobe énormément de choses.  

C’est ce que j’ai fait ici. À travers 10 plats emblématiques, et en 10 chapitres, j’ai essayé de mieux comprendre la société américaine. En plus, je trouvais cela très intéressant d’abandonner ma posture culinaire franco-belge bien souvent persuadée que notre gastronomie est ce qu’il se fait de mieux. 

Avec mon ouvrage, j’ai vraiment essayé de retirer mes « lunettes » de mangeuse franco-belge pour arrêter de juger voire mépriser la nourriture américaine afin de m’intéresser à ce qu’elle a à raconter lorsque l’on s’immerge vraiment dedans.

Alors, justement, vous la définissez comment cette cuisine?

Elle est tissée d’une myriade d’influences et d’événements historiques. C’est un peu une éponge la gastronomie américaine. C’est aussi, bien souvent, une nourriture qu’on pourrait dire riche mais je lui préfère la qualifier de généreuse. 

On va toujours servir les gens, mais quand ils n’ont pas le temps, qu’ils sont dans la rue (avec la street-food). Ou on va faire des grands plats, hyper roboratifs. Et je dirais aussi qu’elle est infiniment plus complexe que ce que l’on imagine. 

Dans votre ouvrage, il y a un passage assez fiévreux sur le Mac&Cheese. C’est ça, pour vous, l’essence même de la comfort food? 

Clairement (rire). La moitié de ma famille est italienne, donc évidemment mon rapport avec les pâtes est vraiment chargé en émotions. Et puis de l’autre côté, il y a le fromage qui touche aussi à toute une partie de ma culture. Et ce mélange qui fait comme un petit matelas, un duvet. C’est réconfortant au possible.

Cette dimension réconfortante, elle est fort présente dans la culture culinaire états-unienne ?

Elle est intéressante pour moi à deux niveaux surtout. Déjà, les États-Unis ont accueilli plein de cultures différentes. Et l’intégration de ces groupes culturels n’a pas toujours été simple. On parle même plus souvent d’assimilation. Dans ce cadre-là, je pense que c’est normal que le réconfort passe par la nourriture.  

Ensuite, quand les colons britanniques et européens sont arrivés et ont colonisé le territoire des États-Unis, d’autres communautés qui vivaient déjà sur place. Cette période a été aussi assez dure. Donc à nouveau, c’est pour moi logique que toute une partie de cette nourriture, jugée réconfortante – comme le cornbread par exemple – ait été conservée.

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Si vous deviez citer trois préjugés qu’il faut cesser de véhiculer, lesquels serait-ce ?

Il faut arrêter de considérer que tout ce qui est fait aux USA est de la junkfood (malbouffe). C’est une méprise et un peu du mépris aussi. Quand on analyse la gastronomie française, c’est hyper riche en fait. On cuisine au beurre, avec des crèmes, etc. C’est tout sauf léger. 

On a aussi tendance à penser que l’on mange partout la même chose aux États-Unis. Mais c’est terriblement faux. Il y a un patrimoine culinaire ultra riche, avec énormément de spécialités locales. Le Lobster Roll par exemple, ou le Clam Chowder…

Et il faut aussi arrêter avec l’idée reçue que les Américains ne savent pas cuisiner. De la street-food au fine dining, certains des meilleurs chefs au monde sont américains. 

Et des inspirations venues d’outre-Atlantique? 

Ce n’est pas évident de choisir, car il y en a tellement. Si je devais faire un top trois, je dirais Julia Turshen et son livre Feed the ResistanceToni Tipton Martin et son ouvrage  Jubilee et puis Brandon Jew avec Mister Jiu’s Chinatown. 

Mais pour la route, je ne peux m’empêcher de glisser quand même en extra Gabrielle Langholtz avec America et Samin Nosrat avec Salt Fat Acid Heat.

Vous évoquez également la vitesse vertigineuse à laquelle tout évolue dans le pays de l’Oncle Sam. Cela touche également sa gastronomie? 

Oui clairement. Comme le dit si bien l’auteur et journaliste Kevin Alexander, « les États-Unis opèrent vraiment dans un état de réinvention permanente». Et cela touche évidemment la nourriture aussi. 

Les chefs qui officient aux Etats-Unis sont très admiratifs de la culture culinaire française, qui est considérée comme un maitre-étalon. Et en même temps, ils ont un côté terriblement irrévérencieux qui permet justement de twister nos classiques ou d’amener une touche de folie à ce patrimoine. Ce qui donne des innovations vraiment intéressantes. 

Au final, l’aspect qui vous a le plus parlé au fil de vos recherches?

Ce que j’adore, c’est raconter des histoires. Et à ce niveau-là, les États-Unis, c’est un peu comme une piscine olympique d’histoires. Il y en avait à tous les coins de plats et je trouve ça tout bonnement fascinant.

Mon histoire préférée est sans doute celle de l’origine des Kellogg’s. A la base, ça vient d’une espèce de guru qui tenait un sanatorium avec sa femme et son frère. Le trio était adventiste (ndlr.) Et dans ce sanatorium (un rien) sectaire, il fallait créer quelque chose d’hyper nourrissant, tout en étant le plus neutre possible. Il ne fallait surtout pas que cela émoustille les gens. (rires) 

Et on se retrouve à peine 100 ans plus tard, avec des paquets de Kellogg’s, bourrés de sucre qu’on donne aux gamins le matin et qui fait exploser leur glycémie. Je trouve ce genre d’histoires complètement folles, et hilarantes en fait. 

Et celui qui vous a le moins plu ? 

Au fil de mon voyage culinaire dans le ventre américain, j’ai rencontré énormément de violence. Je ne pense pas que nous soyons épargnés. Mais je me suis rendu compte que c’était vraiment un pays de la violence exacerbée. Qui se porte tant sur le racisme que sur les armes. 

C’est un pays vraiment très dur, avec parfois de la violence économique, entrepreneuriale. Je pense par exemple aux frères McDonald qui se sont fait complètement dépouiller de leur petite entreprise familiale qui est devenue un empire qui écrase des gens, qui écrase l’environnement. 

American Appétit, par Elisabeth Debourse sorti le 20 janvier aux éditions Nouriturfu. 180 pages. 15€

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