Anne Nihant, chocolatière: « On aurait tort de voir en moi une femme de l’ombre »

© FRÉDÉRIC RAEVENS
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Passée du monde de la banque à celui du chocolat, Anne Nihant (43 ans) a mis du temps avant de trouver ses repères dans un environnement dominé par les hommes. Loin de se contenter d’être  » la femme de « , elle s’est imposée en développant un style propre axé sur la fidélité à soi-même, l’écoute et le dialogue. Pas particulièrement sensible aux déconstructions actuelles qui polarisent le débat, elle savoure un féminisme apaisé.

Il est important de partir sur un pied d’égalité. Cette chocolaterie, nous l’avons rêvée à deux. Benoît se sentait à l’étroit comme chef de projet dans la sidérurgie et moi je ne voyais que trop les limites de mon action d’aide aux entreprises au sein d’une banque. Le besoin de donner du sens à nos vies était partagé. Il y avait aussi l’envie d’entreprendre quelque chose en tandem pour aller jusqu’où nos personnalités complémentaires et très différentes pouvaient nous mener. Je ne me suis pas accrochée comme un wagon au désir de mon mari. J’ai désigné l’horizon de la gastronomie, il a pointé du doigt le chocolat. Et si la marque s’appelle « Benoît Nihant » et pas « Anne et Benoît Nihant », c’est de commun accord parce que mon mari a été le premier à quitter son travail pour se lancer à 100% dans cette nouvelle activité.

Il faut remuer ciel et terre pour faire s’accorder le réel et le désir. Nos premiers pas dans le chocolat ont été décevants. La réalité nous a fait déchanter. Acheter du chocolat tout fait et le refondre ne nous mettait pas des étoiles dans les yeux. Si on avait quitté nos jobs, ce n’était pas pour faire ça. Nous voulions réaliser les meilleures tablettes du monde, du moins à nos yeux, ou rien. C’est à nouveau à deux que nous avons mis nos cerveaux, nos yeux et nos mains à contribution pour réinventer cette profession. Cette belle aventure a consisté à remonter aux origines, celle de la fève, élément-clé de la fabrication que l’industrie agro-alimentaire était parvenue à faire oublier.

Au début, nous faisions tout ensemble. Qu’il s’agisse de production, d’emballage ou de contact avec la clientèle. Avec le développement de l’entreprise, en quinze ans, chacun s’est spécialisé. Mon rôle concerne la création, le graphisme, les nouveautés, les pièces en trois dimensions, le contrôle qualité des fèves ou encore la gestion dans son ensemble. Benoît s’est spécialisé dans l’approvisionnement de la matière première, sa transformation et la production en général.

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Je ne suis pas le marchepied de Benoît. Je sais qu’il ne m’a jamais considérée comme tel mais au début, j’ai dû encaisser des remarques qui faisaient mal. Je me souviens de cette dame qui, après avoir félicité mon époux, s’est retournée vers moi et a dit: « Quant à vous, madame, bravo vous avez bien choisi les rubans d’emballage. » Cela a été douloureux sur le moment.

On aurait tort de voir en moi une femme de l’ombre. Ma place est à l’intérieur de la chocolaterie au sein de l’équipe. J’aime être une personne de référence pour celles et ceux qui travaillent avec nous. Je n’aime pas spécialement être exposée. Benoît est plus à l’aise avec cela. Je pense que c’est grâce à la cellule que nous formons que nous devons notre réussite. Nous ne serions pas là où nous en sommes si nous avions agi en solo. La discussion, parfois la confrontation, a fait beaucoup pour notre construction. Aujourd’hui, sans occuper le devant de la scène, je me rends compte que je suis reconnue pour ce que je fais. Entre autres exemples, je note que beaucoup de personnes m’ont demandé de dédicacer le livre que nous avons écrit ensemble avec Benoît.

Le monde du chocolat en Belgique est plutôt fermé. On ne se voit pas forcément. Je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer Pierre Marcolini par exemple. Les femmes ne sont pas très présentes non plus. Mais j’ai une soeur en chocolat. J’ai fait la connaissance de quelqu’un qui m’inspire beaucoup, Casey Keiderling, qui achète et fait fermenter de merveilleuses fèves issues de petits cultivateurs en Bolivie. Cela a été une rencontre déterminante, une belle personne qui est aussi une source inépuisable d’infos glanées sur le terrain.

L’échange donne sens à ce métier. Avoir fait le choix du bean-to-bar n’est pas qu’une démarche qualitative. Dans la mesure où nous travaillons en direct avec nos fournisseurs, c’est aussi la possibilité de découvrir des lieux et de rencontrer des gens aux quatre coins du monde. Le moment le plus touchant est celui lors duquel nous faisons déguster aux producteurs le chocolat réalisé avec leurs fèves, eux qui ne goûtent habituellement ce produit que sous forme de boisson.

C’est terrible de ne pas mener une existence sous le signe du désir. Je trouve que nous vivons dans une société difficile, assez violente, raison pour laquelle je n’imagine pas un moment obliger mon fils à vivre une vie professionnelle dont il n’aurait pas rêvé et nous ne le pousserons jamais à reprendre la chocolaterie. D’ailleurs, il n’aime pas le chocolat. Il y a peut-être une dimension psychologique à cela. La chocolaterie est peut-être le petit frère ou la petite soeur qu’il n’a pas…

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