Karen Torosyan, chef du Bozar Restaurant**: « C’est un peu comme si je vivais l’âge d’or de mon métier »

© Aaron Lapeirre
Kathleen Wuyard
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

Né en Géorgie de parents arméniens, celui qui se destinait plus jeune au métier de joaillier accomplit aujourd’hui un travail d’orfèvre en cuisine du Bozar Restaurant. Et vient de décrocher une deuxième étoile Michelin.

Un statut

Etre chef, ce n’est pas un métier, c’est un statut. A l’école hôtelière, on vous apprend à être cuisinier, et c’est ainsi que je me décris, même si, techniquement, aujourd’hui, je suis chef de cuisine et d’entreprise, comme j’ai toujours voulu l’être. Cuisinier est le plus beau métier du monde parce qu’il s’inscrit dans un processus d’apprentissage permanent. Aujourd’hui, j’ai la chance de pratiquer ce que j’ai appris, de continuer à m’instruire, mais aussi de transmettre mes savoirs à la nouvelle génération. C’est un peu comme si je vivais l’âge d’or de mon métier.

La liberté

Les étoiles offrent une forme de liberté. Elles permettent de prendre plus de risques, qu’ils soient financiers ou culinaires. C’est hypocrite de dire que les récompenses ne sont pas importantes. Pour moi, elles font l’effet d’une carotte qui me motive à me dépasser sans cesse. Mais attention, je vise simplement à devenir la meilleure version de moi-même: qui suis-je pour me croire meilleur que les autres? La deuxième étoile a été un moment d’émotion très fort, parce que derrière, il y a beaucoup de travail.

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Coup de foudre

Bruxelles est la plus belle ville d’Europe. Je n’oublierai jamais le moment où je l’ai vue pour la première fois, quand on est arrivés en Belgique avec mes parents, et que je me suis réveillé dans la voiture avec une vue sur la ville et le parc du Cinquantenaire baignés de lumière. J’ai eu le coup de foudre, la chair de poule même, et cette émotion ne m’a jamais quitté. C’est une ville qui va à 100 à l’heure et ce rythme me nourrit, d’autant que malgré son énergie bouillonnante, Bruxelles sait rester simple et accessible dans les rapports humains.

Bosser

Le travail finit toujours par payer. Si tu veux quelque chose, il faut bosser pour, et si tu veux plus, il faut bosser plus. Je suis quelqu’un de très ambitieux, qui a toujours eu les yeux plus grands que le ventre, mais j’ai sans cesse veillé à nourrir mes ambitions en travaillant de manière acharnée. En Arménie, il y a une pression très forte à donner à ses enfants un meilleur avenir que celui qu’on a reçu de ses parents, et c’est pour ça que les nôtres ont décidé de déménager en Europe avec nous quand on était adolescents. On a vécu les dernières belles années de l’URSS, et on a eu la chance de partir au bon moment. Quand on est arrivés en Belgique, j’ai vite compris que tout était possible à condition que je trouve la porte qui allait m’y mener.

Je déteste l’adage qui dit que derrière chaque homme se cache une grande dame

Ma femme

Je déteste l’adage qui dit que derrière chaque homme se cache une grande dame. Je trouve ça misogyne et con, c’est beaucoup plus juste de dire que derrière chaque grande dame se cache un petit bonhomme. Le regard que ma femme a d’emblée posé sur moi et mon métier a été le moteur dont j’avais besoin à une époque où je travaillais dans de belles maisons sans gagner un balle. Un seul regard d’elle ravivait ma rage de vaincre, elle a réussi à faire de moi un homme meilleur.

Citoyen

Même si c’est cliché, je suis un vrai citoyen du monde. Je suis Arménien mais je suis né en Géorgie, j’ai fait mes études en russe, et sur mon passeport, il y avait un gros cachet qui disait «URSS». Le jour où j’ai commencé à rêver en français, la Belgique est devenue mon pays, et Bruxelles ma ville de cœur.

Inspiration

Pour créer une œuvre d’art, il faut la matière, le sujet et l’inconnu qu’on obtient en les mélangeant. C’est Jeff Kowatch qui m’a appris ça quand on a collaboré ensemble: j’ai imaginé un menu inspiré de son travail, et lui, une œuvre inspirée de ma cuisine. Pour lui, certains plats sont de l’art, mais pour moi, je reste un artisan.

En cuisinant, je procure de l’émotion à travers des gestes que je répète depuis des années, il n’y a pas de place pour l’inconnu. Par contre, même si je ne suis pas du genre à faire le lien entre l’art et la cuisine, j’ai bien conscience que mon restaurant se situe dans un des plus beaux bâtiments de Belgique. Victor Horta et sa vision sont une source d’inspiration pour moi.

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Pur bonheur

Il faut être mégalomane pour penser à ce qu’on laissera derrière soi. Je m’en fous qu’on se souvienne de moi quand je ne serai plus là, j’aspire simplement à vivre en étant heureux en famille et au travail. J’ai la chance de faire ce que j’ai toujours voulu faire, dans l’endroit où j’ai toujours voulu être, sans que cela ne demande aucun sacrifice de ma part. C’est du pur bonheur, rendu possible par le fait d’avoir ma femme comme coéquipière. J’espère faire ce qu’il faut pour laisser une belle image de moi à mes enfants, mais le reste ne m’intéresse pas et j’espère ne jamais devenir mégalo à ce point-là!

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