Leonor Espinosa, meilleure cheffe du monde et alchimiste des saveurs colombiennes

© Wikicommons / Camila Garavito Donado

Mettre la jungle, l’océan, les déserts, les fleuves et les montagnes de Colombie dans l’assiette: Leonor Espinosa, couronnée meilleure cheffe du monde 2022 par The World’s 50 Best Restaurants, sublime la biodiversité de son pays en valorisant les traditions locales longtemps restées dans l’ombre à cause de la violence qui ronge le pays.

« Ma cuisine a le goût des cultures reléguées, des territoires invisibles, elle a le goût des techniques ancestrales (…) de la douleur », expliquait récemment à l’AFP à Bogota la cheffe de 59 ans qui a reçu lundi soir à Londres son prix de « Meilleur chef femme du monde » décerné par le classement The World’s 50 Best Restaurants.

« Mais elle a aussi le goût de la joie, du plantain, du manioc, de la terre quand il vient de pleuvoir, d’un écosystème de déserts. Il y a beaucoup de poésie dans ma cuisine », souligne cette rousse flamboyante aux origines mêlées de sang indigène, irlandais et espagnol.

« Ma cuisine a le goût des cultures reléguées, des territoires invisibles, elle a le goût des techniques ancestrales (…) de la douleur »

Dans ce pays plus connu pour ses décennies de conflit interne et son statut de premier producteur de cocaïne de la planète, Leonor Espinosa est finalement la toute première à inscrire l’extraordinaire biodiversité de sa terre sur la carte de la gastronomie mondiale.  « Je poursuis simplement le rêve que le nom Colombie soit prononcé devant le monde entier », se réjouissait la presque sexagénaire, tenue décontractée et air réfléchi. 

Née dans le village de Cartago (sud-ouest), elle a grandi à Cartagena (nord) sur les rivages de la mer des Caraïbes. Elle a étudié l’économie et les beaux-arts, tout en apprenant à cuisiner en autodidacte. Après plusieurs années à travailler dans la publicité, elle fait le grand saut à l’âge de 35 ans. 

Son surnom « Leo » est devenu le nom de son restaurant à Bogota, où se répondent les saveurs des recettes amérindiennes, afrocolombiennes et paysannes. Pour la cheffe, la meilleure cuisine de son pays se déguste dans les villages, mais elle manque de reconnaissance, d’autant que les « Colombiens préfèrent la cuisine d’autres cultures ». 

Anthropologue

La cheffe revendique de faire à travers sa cuisine un travail d’anthropologue et d’artiste. Depuis quinze ans, elle parcourt les coins les plus reculés de son pays, à la recherche d’histoires humaines, d’ingrédients locaux et de recettes traditionnelles méconnues, car souvent invisibilisées par la violence qui sévit dans ces régions.

Plantains, piments, miel de canne, tubercules andins, fleurs sauvages, fourmis, escargots, coquillages, fruits de mer, café, cacao, manioc, maïs, haricots et pommes de terre d’innombrables variétés: les ingrédients qu’utilise Leonor Espinosa reflètent le jardin d’Eden colombien. 

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« La cuisine doit expérimenter en étant capable d’observer, de partager, de voyager », dit celle qui a été reconnue dès 2017 comme la meilleure cheffe d’Amérique latine, selon le classement britannique lancé au début des années 2000.

A travers sa fondation Funleo, créée en 2008, elle soutient les petits producteurs ainsi que des projets d’éducation, de nutrition et de tourisme durable dans les communautés rurales oubliées mais « d’une grande richesse bio-culturelle ». 

dans la cuisine de son restaurant, Leo,, en 2015

« Leonor Espinosa est une cheffe autodidacte qui, en mêlant vastes recherches scientifiques et innovation culinaire, est toujours à la recherche de nouvelles connaissances et veut éduquer les autres ». 

William Drew, directeur du World’s 50 best Restaurant

Sa fille Laura Hernandez, sommelière et son associée pour la gestion du restaurant, complète la carte par des propositions de liqueurs et de cocktails artisanaux à base de plantes locales. En 2022, le restaurant s’est positionné à la 48e place du classement de The World’s 50 Best Restaurants, contre la 46e en 2021. 

Lors de l’annonce en mai de la récompense, le directeur du classement, William Drew, a salué une « cheffe autodidacte qui, en mêlant vastes recherches scientifiques et innovation culinaire, est toujours à la recherche de nouvelles connaissances et veut éduquer les autres ». 

Il a fallu aussi se faire un nom dans la chasse gardée masculine qu’est la haute gastronomie. « J’ai été très claire dès mon plus jeune âge que je n’allais pas être ce que les autres voulaient que je sois (…) Je suis rebelle, irrévérencieuse, curieuse », affirme-t-elle. 

À l’approche de la soixantaine, elle aspire à continuer à innover. « Je vieillis chaque jour (…) et si je ne suis pas originale à ce stade de ma vie, que se passera-t-il alors? » dit-elle en souriant. 

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