Retour sur la folle histoire de la villa Noailles, qui fête ses 100 ans

Villa Noailles
Première construction de Robert Mallet-Stevens, la Villa Noailles présente des volumes cubiques typiques du Modernisme. © LOUISE DESNOS

Surplombant la mer et les Iles d’Or, à Hyères, le Clos Saint-Bernard se dresse avec élégance et discrétion. En 1923, le vicomte et la vicomtesse de Noailles commandent «la petite maison, pratique à vivre» qui prendra leur nom. Devenue un véritable château moderne, la Villa Noailles célèbre, cette année, ses 100 ans.

Marie-Laure et Charles de Noailles, riches mécènes et collectionneurs visionnaires, reçoivent en cadeau de mariage un terrain au-dessus de Hyères, dans le Midi, sur la Côté d’Azur. Pour construire leur havre de paix, ils font tout d’abord appel à l’architecte Mies van der Rohe avant de se tourner vers Le Corbusier. «Si l’imagination et le brio étaient son affaire, son goût ne me convenait absolument pas», écrivait à son sujet le vicomte. Le couple décide de faire confiance à Robert Mallet-Stevens, 37 ans, qui n’a encore jamais construit. Une première commande donc, mais aussi une des premières maisons modernes bâties en France.

La résidence, qui sera agrandie jusqu’en 1933 pour s’adapter à la vie des habitants, se caractérise par une grande sobriété, une simplicité élégante et tranquille. «Le crépis gris de ses façades ne fait pas tache au milieu des oliviers et des pins comme ces enduits brun-rouge ou moutarde qui sévissent sur la Côté d’Azur sous prétexte de «néo-provençal»», disait Léon Deshairs, un critique de l’époque. Un parti pris moderniste qui prône les lignes pures, une luminosité abondante et l’absence d’ornements.

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Le sport et le bien-être au centre

Au total, la bâtisse de 2 000 m2 abritera pas moins de 60 pièces dont 25 chambres d’amis, comprenant chacune une salle de bains, un dressing, le chauffage central et le téléphone. Avec ses équipements au top de la modernité – elle compte la première piscine couverte en France – la demeure propose une série d’espaces voués au culte du corps: gymnase, solarium et salle de squash.

Dès le début, elle devient le lieu de rendez-vous de toute l’intelligentsia parisienne invitée à y passer ses vacances d’hiver: Giacometti, Breton, Gide, Cocteau, Picasso, Dalí… Mais aussi Man Ray qui y tournera son premier film Les Mystère du château du Dé, en 1929.

Première construction de Robert Mallet-Stevens, la Villa Noailles présente des volumes cubiques typiques du Modernisme.
Première construction de Robert Mallet-Stevens, la Villa Noailles présente des volumes cubiques typiques du Modernisme. © LOUISE DESNOS

Si les Noailles ont à cœur la santé de leurs invités, ils donnent aussi beaucoup de réceptions et de somptueuses fêtes. Leur mécénat est l’œuvre d’une vie, avec pour dessein la modernité. Leurs intérêts? La peinture, la musique, la danse, le cinéma, la littérature, la photographie… Marie-Laure accumule des toiles de Goya, Dalí, Rubens, aux côtés de boules à neige, de poupées espagnoles et de cartes postales, à la manière d’un cabinet de curiosités. Une dimension surréaliste où basse et haute cultures se côtoient, de façon inédite. Du jamais-vu dans le milieu des mécènes du XXe siècle.

Au coeur d’un paysage exceptionnel

On ne peut évoquer la maison sans son environnement paysager exceptionnel. La propriété est entourée d’un mur de béton percé de cadres dessinant des cartes postales sur le paysage. Cette enceinte ajourée n’est pas sans rappeler les bandes de pellicule de cinéma, un clin d’œil à la première carrière de Mallet-Stevens, qui officiait comme décorateur de cinéma, durant vingt ans. Il exerçait son talent avec des mises en scène très modernes et architecturées, qui vont nourrir tout son parcours dans la construction.

Bal costumé, avec le couple de Noailles, lors du tournage des Mystères du château du Dé de Man Ray, en 1929.
Bal costumé, avec le couple de Noailles, lors du tournage des Mystères du château du Dé de Man Ray, en 1929. © thérèse bonney, 1929

Outre sa qualité de mécène, Charles de Noailles fut aussi un créateur de jardins et un grand connaisseur de botanique. Il commanda à Gabriel Guevrekian un surprenant jardin cubiste sur une parcelle en pointe, qui devient la proue de la villa paquebot. Là encore, la mise en scène, comme au cinéma.

Au rez de la maison se trouve la «chambre des fleurs», une petite pièce qui compte seulement un lavabo pour la préparation du bouquet de fleurs quotidiens. Ses murs sont couverts de fresques géométriques de Theo Van Doesburg, aux couleurs typiques de De Stijl. Un geste puissamment poétique: la plus petite pièce de la maison est aussi la plus ornée.

Le jardin cubiste, constitué d’un damier de carrés en escalier.
Le jardin cubiste, constitué d’un damier de carrés en escalier. © olivier amsellem, 2013

L’art au cœur du projet

En 1973, la villa est vendue à la Ville de Hyères. Après plusieurs années d’abandon, elle ouvre à nouveau ses portes au public en 1989, après rénovation. Dirigée par Jean-Pierre Blanc depuis 2003, elle devient un centre d’art contemporain multidisciplinaire, qui fête aujourd’hui ses vingt printemps, et propose une programmation autour du design, de l’architecture, de la mode et de la photographie, au rayonnement international. Elle accueille également une quinzaine d’artistes en résidence, chaque année.

Pour son centenaire, elle propose un vaste programme, dont une scénographie immersive, Les nuits d’été, imaginée par Pierre Yovanovitch. Il témoigne: «J’ai été invité à remettre au goût du jour ce lieu de villégiature unique comme si je répondais aujourd’hui à la commande de Charles et Marie-Laure de Noailles. En acceptant cette commande, il s’agissait pour moi de rendre ces deux personnalités éternelles, et rendre ainsi hommage à l’influence du couple sur l’histoire culturelle et artistique du XXe siècle. J’ai travaillé sur ce projet pour y intégrer des pièces issues des archives privées du couple. Les visiteurs pourront découvrir un intérieur meublé et décoré, librement inspiré des collections des époux de Noailles qui les fera déambuler dans l’univers créatif et la vie quotidienne des propriétaires de la villa.»

La piscine couverte, la première en France, et ses fauteuils Transat signés Mallet-Stevens.
La piscine couverte, la première en France, et ses fauteuils Transat signés Mallet-Stevens. © thérèse bonney, 1928

Un prétexte parmi tant d’autres pour migrer cet été vers le sud de la France, mais ne pas rester allongé trop longtemps sur la plage…

Le soleil dessine des ombres géométriques.
Le soleil dessine des ombres géométriques. © romain laprade, 2017

En bref Robert Mallet-Stevens

  • Robert Mallet-Stevens, dit Rob Mallet-Stevens, est né en 1886 et mort en 1945 à Paris.
  • Il est le neveu de Suzanne Stevens, l’épouse du financier belge Adolphe Stoclet qui fait construire le Palais Stoclet à Bruxelles.
  • En 1922, il publie Une cité moderne, un recueil de 32 dessins d’un projet de ville idéale, où chaque bâtiment est une sorte de déclinaison du Palais Stoclet.
  • Avant d’être architecte, il dessine des meubles et des décors de cinéma, notamment pour L’Inhumaine de Marcel L’Herbier, en 1924 (avec les costumes de Paul Poiret, les meubles de Pierre Chareau et les peintures de Fernand Léger)
  • Ses projets les plus emblématiques sont la Villa Noailles, la Villa Cavrois à Croix, près de Lille, et la rue Mallet-Stevens, à Paris.
  • Avec Le Corbusier, il fut la figure la plus marquante de l’architecture moderne en France.

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