Retour du poil: le torse idéal s’affiche désormais poilu

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Après avoir été longtemps proscrits, les poils sont  de retour sur le torse masculin dit parfait. Les hommes ne sont plus gênés de ne pas avoir la peau parfaitement glabre. Retour sur l’histoire d’une mode qui a évolué d’un extrême à l’autre.  

La nouvelle qui a fait le buzz lors du dernier scrutin présidentiel français, au printemps dernier? Ce n’est ni la flambée des prix de l’énergie, ni la politique d’immigration ni même la guerre en Ukraine… mais le torse d’Emmanuel Macron! La publication sur Instagram d’une photo du candidat fraîchement réélu affalé dans un fauteuil en cuir ocre, sa chemise déboutonnée exhibant une poitrine à la toison fournie, a rapidement fait le tour de la Toile au fil d’une déferlante de tweets et d’articles tantôt élogieux, tantôt beaucoup plus critiques, dont certains allaient jusqu’à affirmer que les poils du président avaient été purement et simplement photoshopés. Une véritable aubaine pour les commentateurs politiques!

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Coup de com’ ou pas, le président français est loin d’être le seul à afficher son torse velu à la vue de tous. Les observateurs s’accordent à dire que le décolleté masculin (ou «he-vage», un néologisme dérivé du cleavage féminin) a de nouveau la cote et, à mesure que les hommes déboutonnent peu ou prou leurs chemises, on voit aussi leur pilosité naturelle reconquérir le paysage urbain après des années de poitrines lisses comme des fesses de bébé.

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Sportifs et artistes montrent l’exemple

De nos jours, des sportifs comme Roger Federer dévoilent leur toison sans honte, on voit un peu plus de modèles au torse naturel (ou rasé court plutôt que glabre) dans les campagnes et défilés des maisons de mode et des artistes comme Max Colombie d’Oscar & The Wolf, Philippe Katerine ou Harry Styles arborent sur scène, sur Instagram ou en cover de magazine d’amples chemises entrouvertes laissant entrevoir leur duvet. Même TikTok s’y met avec des astuces pour ceux dont le ou la partenaire se plaint de devoir câliner un hérisson.

Sean Connery et Claudine Auger dans le film Opération Tonnerre, en 1965.
Sean Connery et Claudine Auger dans le film Opération Tonnerre, en 1965. © GETTY IMAGES

«Puisqu’une nouvelle génération d’hommes a redéfini le concept du torse poilu, je ne suis plus gêné de dévoiler le mien», écrivait récemment Hikmat Mohammed dans son article «Why you should rock a hairy chest this season», publié sur la plate-forme de vente britannique Mr Porter. Le fait qu’un site aussi sensible aux tendances affiche ce message est un signal clair que se conformer à l’idéal du beau gosse épilé n’est plus une obligation. «On a longtemps eu l’impression que les physiques poilus n’étaient guère plus que le souvenir nostalgique d’une époque révolue, commente le journaliste. Ces dernières années, le mâle lambda avait l’apparence d’une poupée Ken.»

Le rapport des hommes à leur fourrure était à l’avenant, poursuit-il. D’après une étude de marché réalisée en 2018 aux Etats-Unis, ils étaient à l’époque pas moins de 46% à raser ou épiler leur pilosité corporelle. Une autre analyse datant de 2019 chiffrait même à 55% la proportion d’hommes embarrassés par leurs poils: un tiers des répondants n’osaient pas aller nager, un quart avaient peur de se montrer dans une salle de fitness et un sur cinq rapportait même un effet négatif sur sa vie sexuelle. Il est donc grand temps d’abandonner cette vision des choses, conclut Hikmat Mohammed. «Au bureau, j’ai commencé à ouvrir trois ou quatre boutons de ma chemise, ce qui m’a valu quelques haussements de sourcils aguicheurs… mais je me sens enfin bien dans ma peau, peu importe combien on voit mes poils.»

Effet d’écho

«Quelle que soit la culture, le corps a toujours été une manière d’exprimer une identité… et pour les hommes, la pilosité est pour cela l’un des instruments les plus simples», commente Giselinde Kuipers, professeure en sciences sociales à la KULeuven et spécialiste de la beauté. «Les Romains avaient déjà la conviction que leur peau glabre les distinguait des barbares.

Ce genre de caractéristique physique clairement visible permet d’utiliser le corps pour s’affirmer, pour marquer son appartenance à un groupe.» Pour expliquer l’actuel retour en grâce des torses poilus, la sociologue invoque le fait que la mode des dernières décennies dévoile aussi de plus en plus le corps. «Dans la foulée, la pilosité corporelle a gagné en importance, puisqu’elle a soudain acquis une fonction de signal qu’elle n’avait pas auparavant.»

De nos jours, les sportifs, comme Roger Federer, dévoilent leur toison sans honte.
De nos jours, les sportifs, comme Roger Federer, dévoilent leur toison sans honte. © GETTY IMAGES

Un autre facteur à garder à l’esprit est que l’idéal de beauté masculin peut se comprendre comme une sorte de réaction à celui de la femme, poursuit Giselinde Kuipers. «Quand la mode est aux looks androgynes et que les femmes mettent moins en avant leur féminité, les hommes ont aussi moins besoin d’afficher leur virilité. Cette tendance a connu son apogée il y a une dizaine d’années avec l’idéal des jeunes gens émaciés aux pommettes saillantes et, bien sûr, parfaitement glabres. Aujourd’hui, on en revient à une mode plus féminine mais aussi, comme en écho, à une virilité plus assumée.»

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Mèches rebelles

Comme n’importe quelle tendance, l’idéal du corps masculin a évolué au fil des années. «L’image que nous présentions aux autres a longtemps été dictée par une identité sociale plutôt qu’individuelle, souligne Giselinde Kuipers. Jusqu’au milieu du siècle dernier, notre apparence extérieure a été un signal soigneusement codé, une sorte d’uniforme qui permettait à tout un chacun de deviner au premier coup d’œil s’il avait affaire à un ouvrier ou à un employé de bureau.»

La génération contestataire des années 60 a fait des cheveux un symbole politique, presque une forme de rébellion, épingle encore la sociologue. «Laisser pousser ses cheveux et ses poils était une manière de revenir à la nature, de prendre le contre-pied de la civilisation. Il n’est pas faux d’affirmer que cette époque a marqué un véritable tournant, puisque notre apparence extérieure est devenue un reflet de notre identité personnelle plutôt qu’une marque d’appartenance à un groupe social.»

Max Colombie d’Oscar & The Wolf totalement décomplexé par sa toison
Max Colombie d’Oscar & The Wolf totalement décomplexé par sa toison

Cette phase de protestation s’est accompagnée d’une brève libération de la pilosité masculine: si les hommes portaient jusque-là des tenues découvrant peu leur anatomie, la mode des années 70 a inauguré la tendance des chemises ouvertes dévoilant des torses plus ou moins broussailleux. Les incarnations successives de James Bond offrent une illustration particulièrement éloquente de la manière dont le rapport des hommes à leurs poils a évolué au fil du temps.

Alors que Sean Connery (visage de 007 de 1961 à 1971) peut pratiquement être considéré comme le prototype du mâle au torse poilu, Daniel Craig (qui a repris le rôle en 2006) est l’exemple-type du métrosexuel parfaitement épilé. Son prédécesseur Pierce Brosnan (1995-2002), lui, arborait en permanence une poitrine… permanentée. Les Bond girls sont restées entre-temps aussi inchangées qu’interchangeables.

« Dans un contexte où la virilité gagne en complexité, nous sommes clairement en quête de nouveaux modèles  » Hikmat Mohammed

Le physique idéal symbolisé par Daniel Craig trouve son origine à la fin des années 90, précise encore Giselinde Kuipers. «On a vu soudain affluer sur le marché une multitude de cosmétiques destinés aux hommes, qui ont ainsi commencé pour la première fois à se raser le haut du corps. Ce n’est toutefois que quelques années plus tard, vers 2010, que la mode du manscaping (NDLR: le rasage-toilettage de la pilosité corporelle masculine) est largement entrée dans les mœurs.» Si le «boyzilian» – l’équivalent masculin du maillot brésilien – et d’autres concepts marketing du même acabit n’ont heureusement jamais fait leur trou, un torse méticuleusement rasé a un temps été un véritable must pour les adeptes des salles de fitness.

«L’idée s’est peu à peu imposée qu’il était inadmissible pour un homme de se montrer en public avec une forêt de poils, mais on commence tout doucement à en revenir», commente la sociologue. Pierre (31 ans) a essayé une fois de se raser le torse. «Et on ne m’y reprendra plus! rigole-t-il. J’avais des démangeaisons en permanence. J’ai voulu tester car je trouvais que mes poils devenaient trop visibles, en me disant que ce serait plus esthétique, mais j’ai finalement décidé de les prendre comme ils sont… et figurez-vous qu’ils m’ont déjà valu plus de compliments qu’un torse glabre! Je ne sais pas si cela tient à l’air du temps ou au fait que la pilosité devient plus présente avec l’âge. Cela dit, j’ai l’impression qu’elle est aussi devenue plus acceptable qu’avant, que ce soit au niveau du torse, des aisselles, des jambes ou du visage.»

Fiers de leur toison

On observe qu’il y a aujourd’hui moins de règles et de modes dans ce domaine, et ce dans toutes les générations, souligne l’article publié sur Mr. Porter. «Avec le retour du classicisme vintage des seventies, les chemises hawaïennes dégageant le torse sont redevenues une référence dans les récentes collections de Lanvin et Brioni. C’est donc l’occasion ou jamais d’exhiber votre toison!» Vous serez en bonne compagnie: à 60 ans, le créateur de mode Tom Ford entrouvre toujours sa chemise pour laisser entrevoir les poils de son torse, commente encore Hikmat Mohammed. Sans oser affirmer avec certitude qu’il y a vraiment moins de règles qu’avant, Giselinde Kuipers observe qu’il est intéressant de constater que la notion de masculinité et tout ce qu’elle recouvre fait aujourd’hui débat.

«Dans un contexte où la virilité gagne en complexité, y compris dans son rapport à l’apparence, nous sommes clairement en quête de nouveaux modèles. Nous assistons aujourd’hui à une telle explosion du nombre de styles masculins qu’il devient aussi plus simple de donner une place à la pilosité corporelle. Le corset s’est relâché.» Il est sans doute trop tôt pour affirmer que l’on va assister à un retour en force du torse velu des seventies… mais il y a gros à parier que le prochain homme à incarner James Bond n’aura plus la poitrine complètement glabre.

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