Le paysagiste virtuose Piet Oudolf aimerait que vous laissiez votre jardin en paix
En plus de quarante ans de carrière, le paysagiste et pépiniériste néerlandais Piet Oudolf a accumulé honneurs et projets. Alors qu’il publie un nouveau livre dans la langue de Vondel, Aan het werk, il a accepté de nous confier ses secrets pour vivre en harmonie avec la nature. Conseil numéro un? Laissez votre jardin tranquille!
« Dans un domaine comme le jardinage, on ne peut vraiment faire bouger les choses qu’une fois par génération: cela prend tellement de temps pour que la transition se mette en place qu’il faut attendre 20 ans avant de voir vos idées mises en application dans le jardin de Monsieur et Madame Tout-le-monde », s’amuse Piet Oudolf. Et pourtant, faire bouger les choses, c’est exactement ce qu’a accompli le jardinier et paysagiste néerlandais de 78 ans tout au long de sa carrière. Connu sous le nom de New Perennial Movement, son style se caractérise par le choix de privilégier la forme et la structure des plantes, principalement des vivaces et des graminées, plutôt que de se concentrer sur leur période de floraison. La High Line de New York? C’est lui. Le jardin du Noma, à Copenhague, du Vitra Campus, en Allemagne, ou encore du Serpentine Pavilion de Londres? Lui aussi. Un palmarès d’autant plus impressionnant que Piet Oudolf n’a commencé à véritablement s’intéresser aux plantes qu’à l’âge de 25 ans.
À l’époque, le natif d’Haarlem travaille aux côtés de ses parents dans l’hôtel familial mais ne se voit pas poursuivre cette voie. « J’ai multiplié les petits boulots pour déterminer ce qui me plaisait et j’ai notamment travaillé dans une jardinerie durant la période des Fêtes. Quand ils m’ont proposé de continuer à bosser pour eux, mais dans la pépinière, cela a piqué ma curiosité et j’ai commencé à dévorer les livres sur le sujet. Ça a contribué à nourrir mon intérêt assez intense pour le sujet, et cela m’a donné envie de reprendre une formation pour concevoir des jardins professionnellement. Avec ma femme, Anja, on a multiplié les voyages pour admirer les jardins, et à chaque fois, je voulais acheter chaque plante que je voyais, mais j’ai d’abord commencé par la conception de petits espaces, en mettant l’accent sur une plantation raisonnée ».
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« J’ai grandi dans une zone rurale, à côté de ce qui est aujourd’hui le parc national Zuid-Kennemerland et enfant, je me baladais souvent à travers les champs, les buissons et les dunes qui entouraient la maison de mes parents. Je ne réalisais pas bien à l’époque à quel point j’étais privilégié de grandir dans cet environnement, mais toute cette nature a clairement eu une influence. Quand j’ai commencé à travailler en tant que paysagiste, j’ai immédiatement voulu sortir des sentiers battus et m’affranchir des contraintes de la grande floraison estivale, avec la coupe des fleurs fanées à la fin de l’été et la taille en automne. Je ne voulais pas répliquer le schéma gazon, banc, rosier. Dans les années 80, Anja et moi avons déménagé à Hummelo, où j’ai ouvert une pépinière, et les premières années étaient tellement intenses que j’ai mis du temps avant de me lancer dans la conception de jardins. Grâce à notre curiosité et à notre goût du voyage, notre pépinière a acquis une renommée dans toute l’Europe pour sa sélection de plantes exclusives, mais aussi en raison de notre approche. Nous jardinons sans contraintes, en privilégiant les graminées et de grands groupements de plantes vivaces. L’objectif est de laisser le jardin retourner quelque peu à son état sauvage: les plantes ne sont pas une simple décoration mais bien l’essentiel de la composition. Au fur et à mesure, les médias ont commencé à s’intéresser à ce qu’on faisait, et cela a débouché sur des missions de conception d’espaces verts ».
Piet Oudolf, l’art et la manière
Le credo de Piet Oudolf? Arrêter (littéralement) de regarder par-dessus de la clôture du voisin. « Les gens se laissent influencer par les modes et les tendances, ou bien par ce qu’ils voient dans le jardin d’à côté, mais chacun doit avant tout faire les choses selon son goût. Je suis en ce qui me concerne fou des jardins à l’anglaise, mais je les considère un peu comme un bâtiment joliment désuet: c’est beau, mais je ne veux pas forcément construire une maison qui y ressemble. Le jardinage est une question de ressenti, quelque chose de très personnel: comment vous sentez-vous dans votre jardin? Quel effet ont vos plantes sur vous? Quand je conçois un espace, je veille toujours à utiliser le plus de plantes indigènes possible, parce que ça contribue aussi à ce rendu adapté à chaque endroit ».
« Je peux comprendre que vous vouliez aménager un bel endroit dans votre jardin pour agrémenter la vue depuis votre maison, mais vraiment tout devrait tourner autour des plantes et de ce qu’elles suscitent en vous. Je veux surprendre les gens, leur montrer quelque chose qu’ils n’ont jamais vu auparavant, pour qu’ils s’arrêtent, réfléchissent et s’intéressent. C’est pourquoi des jardins publics de haute qualité sont nécessaires, car ils peuvent être source d’inspiration pour leurs visiteurs »
Piet Oudolf
Et de décrire son aménagement du Serpentine Pavilion, en 2011, comme « une sorte de performance. Construire un tel jardin est un projet très personnel, dans lequel il faut veiller à ne pas se perdre. Rassembler des plantes d’une manière qui touche les gens n’est pas seulement une question de goût ou de connaissance, il faut parvenir à penser dans une autre dimension, et se demander à quoi le résultat ressemblera dans cinq ans. Cela nécessite de penser chaque plante en profondeur ». Et d’accepter une certaine forme de lâcher-prise.
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« On ne fait pas de la nature, on fait des jardins. Il faut être attentif, mais cela ne veut pas dire qu’il faut systématiquement intervenir. Un bon jardinier est celui qui repousse les limites de ce qu’une plante peut faire, en se demandant quand il faut les freiner ou au contraire, les laisser s’épanouir en liberté ». Un credo dont ne dévie pas celui qui, à bientôt 80 ans, ne s’adonne plus autant qu’avant au jardinage, mais n’a rien perdu du plaisir d’observer la nature qui l’entoure.
« On apprend à jardiner en jardinant. Les gens ont tendance à être intimidés, mais ils devraient juste mettre les mains dans la terre, faire ce qu’ils veulent et voir où ça les mène. Bien sûr, il est recommandé de ne pas planter un chêne dans votre jardin, parce qu’il risque de prendre trop de place, et c’est mieux de savoir si telle plante a besoin de beaucoup de soleil ou non. Mais si votre plante n’est pas contente, ou qu’elle prolifère, vous pouvez toujours la replanter ailleurs ».
Piet Oudolf
Et celui qui assure que chaque saison a son charme de confier que sans son épouse, Anja, il n’en serait jamais arrivé là. « Elle s’occupait des relations publiques, de la gestion de la pépinière, et de gérer le moindre coup de téléphone. Sans elle, tout se serait écroulé. On n’est pas toujours d’accord sur tout, mais elle n’a jamais eu à se plaindre de ma manière de planter » confie, hilare, le paysagiste. Qui se réjouit de l’initiative « En mai, tonte à l’arrêt ».
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« C’est une excellente manière de pousser les gens à regarder leur jardin autrement. Peut-être que ça va les inspirer à planter de manière plus organique, ou bien à laisser vivre leurs plantes, tout simplement. À la maison, on tond très rarement, mais je crains que les personnes qui se soucient vraiment de la diversité soient encore trop rares. Chaque initiative qui enrichit la diversité des jardins est bonne à prendre ».
Photos tirées du livre Aan het werk de Piet Oudolf.
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