Voudriez-vous réagir à l’une de ces deux citations:  » La gloire, ce mot qui fait marcher les hommes jusqu’à l’épuisement  » de Julien Green et  » Le succès est un menteur  » de Francis Picabia.

Je ne me sens pas concerné par la gloire. En revanche, la réflexion de Picabia me plaît. J’y souscris à 3 000 %. A n’en pas douter, le succès est toujours lié à un malentendu. Ce malentendu m’a permis de trouver le lecteur qui est, lui, source de vérité.  » La Première Gorgée de bière  » s’est vendu à un million d’exemplaires: quel malentendu éclatant!

Avant cette réussite formidable, il y avait surtout des malentendants?

J’écris quotidiennement depuis vingt-cinq ans. Avant d’être publié, je restais sur dix années de refus d’éditeurs. J’ai donc pris le phénomène de  » La Première Gorgée  » avec assez de détachement. Je ne renie aucun de mes autres livres; ils sont nés de la solitude, sans contrainte, sans désir. Dans plusieurs, je sacrifiais davantage à la musique des phrases; j’étais un peu pointu, un peu sarcastique. Je tenais énormément au troisième d’entre eux:  » Le Bonheur – tableaux et bavardages « . L’affaire de la gorgée m’a permis de retrouver des lecteurs pour des choses passées.

On retrouve en permanence chez vous les notions de lenteur et de mélancolie.

Je suis content que vous disiez cela. Depuis toujours je voulais devenir écrivain et cela s’est longtemps refusé à moi avec une insistance qui me surprenait. Plusieurs fois j’ai caressé l’espoir d’enfin toucher au but. Les éditeurs se voulaient optimistes, rassurants même, puis au tout dernier moment venait le grain de sable ressenti d’autant plus intensément qu’une lettre m’apprenait à chaque fois que tout s’était joué in extremis.

Heureusement, vous aviez de quoi faire bouillir la marmite.

J’étais prof de lettres, mais à temps partiel parce que l’écriture m’était indispensable et aussi parce que je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent pour vivre. Ce qui a changé depuis  » La Gorgée « ? La priorité des priorités que je m’étais donnée: ne rien changer du tout. Ceux qui me connaissent disent que je n’ai pas varié d’un iota. Je n’ai pas abandonné mon métier: j’y tiens.

En vous, c’est le lecteur qui a suscité l’écrivain ?

Comme lecteur, j’étais proustien avant toute chose, mais en même temps Proust était tellement dissuasif d’écrire! Mon très lointain cousinage avec lui ? Le fait de parler de choses infinitésimales. Il faut être un peu gonflé pour introduire cela dans un livre. C’est Proust qui l’a fait. On peut être proustien quelque part, à condition de rester éminemment soi-même. Dans  » La Première Gorgée « , il y a beaucoup de madeleines.

Mister Mouse, l’un de vos héros, affirme qu’  » il faut précipiter la fin des choses avant que leur saveur ne nous échappe « . C’est vrai aussi en amitié et en amour ?

( Rire.) Je le confirme, j’ai pas mal de goût pour la mélancolie, et le bonheur qui y est intimement lié. La souris Mouse a des côtés communs avec son créateur, lequel pense qu’il vaut mieux diriger le cours des choses que le subir. Je ne l’ai jamais expérimenté pour des sujets graves mais, par exemple, le fait d’enfiler un pull d’automne à la fin de l’été est une manière de mainmise sur le temps: vous vous projetez dans la saison suivante, mais vous gardez le contrôle de celle se déroule.

Votre fils suivra-t-il vos traces?

Il s’est lancé dans la chanson. J’ai pris une grande claque: ça fait drôle de voir que votre fils a un univers différent du vôtre. Tout petit, il a vu quantité de chanteurs. Pianiste, il est auteur-compositeur-interprète et se produit sous son nom: Vincent Delerm. Il est aussi un passionné de François Truffaut, dont il a choisi le thème comme sujet de sa maîtrise universitaire.

Propos recueillis par Marc Emile Baronheid

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