Offrir une garantie à vie, le summum du luxe?

garantie secteur luxe
Les horlogers suisses, comme Rolex, prolongent leur durée de garantie
Wim Denolf Journaliste Knack Weekend

Entre garantie longue durée et services de réparation, les marques du luxe cherchent à  séduire les consommateurs en quête de durabilité.

Offrir une seconde vie aux objets grâce à une garantie? La démarche paraît évidente pour les grandes maisons de la mode et du design. Les clients, qui déboursent de grosses sommes pour acquérir l’article tant convoité, confèrent souvent à ce dernier une signification émotionnelle particulière, et aspirent, naturellement, à le chérir le plus longtemps possible.

Hermès, Louis Vuitton, Delvaux, Brunello Cucinelli, Eric Bompard, Brioni ou encore J.M. Weston l’ont bien compris et proposent de s’atteler eux-mêmes à la réparation de vos protégés, parfois même à titre gratuit. Les références du mobilier design comme Minotti et Poltrona Frau disposent même de sites spécialisés dans cette activité. Du côté de la haute horlogerie, Vacheron Constantin, Patek Philippe et Zenith se font un plaisir de remettre en état n’importe quel garde-temps de leur gamme.

Garantir pour rassurer

Ces dernières années, sous la pression des labels prestigieux, cet élan a pris une autre ampleur. Désormais, les férues de mode fraîchement sorties de chez Bottega Veneta, un sac Kalimero à la main, n’auront plus à se maudire à la moindre égratignure infligée à leur acquisition. La manufacture italienne a lancé son Certificat d’Artisanat: une garantie à vie avec un accès illimité à un service d’entretien, et ce, sans frais supplémentaires. Même en cas de dommages résultant de l’usure normale ou de la négligence du propriétaire.

Le certificat est matérialisé par une carte en métal doré, gravée du numéro de série du sac et insérée dans un porte-cartes en cuir: une présentation qui souligne l’exclusivité de l’offre. Bottega Veneta n’est pas la seule entreprise haut de gamme à avancer en ce sens. Récemment, Hugo Boss a investi dans son propre service d’entretien et de réparation, tandis que Loewe, filiale de LVMH, a ouvert une boutique spécialisée dans la restauration à Osaka.

Génération réparation

En mars dernier, Vitra organisait son premier Repair Weekend en Belgique. A cette occasion, la société de design proposait aux particuliers de faire réparer leurs possessions à prix coûtant. Les horlogers suisses aussi suivent le mouvement. Les fabricants ont non seulement multiplié leurs centres de réparation, mais également mis en avant la pérennité de leurs créations en étendant toujours plus la durée de leur engagement d’assistance.

En Europe, les acheteurs, protégés par la loi, disposent de deux ans à compter de la date de délivrance pour rapporter un bijou défectueux. Toutefois, les heureux détenteurs d’une Rolex, Breitling, Omega, Rado ou Longines peuvent désormais profiter de cinq ans de tranquillité suite à leur achat. Chez IWC, Jaeger-LeCoultre, Panerai ou Cartier, cette période s’étend à huit ans.

Minotti comme d’autres références du design disposent de sites spécialisés dans la réparation.


Certains restent toutefois sceptiques quant à l’intérêt de ces prolongations. Après tout, ces assurances ne couvrent généralement que les défauts de fabrication, qui ne tardent que rarement à se révéler. Pourtant, de nos jours, l’argument de la durabilité se trouve sur toutes les lèvres.

Chanel, par exemple, a porté la couverture de ses sacs à main à cinq ans, tandis que 2022 a marqué la grande entrée de la garantie à vie chez le fabricant de bagages Rimowa. Derrière ces chiffres extravagants, se cache une stratégie toute trouvée: rassurer l’acheteur quant à la pérennité de son investissement. Grâce aux ateliers de réparation, les amoureux de la mode n’ont également plus à craindre qu’un simple accident sonne automatiquement la fin de vie de leur accessoire favori.

La fin du jetable

Le virage pris par le secteur du luxe témoigne d’une tendance incontestable dans le paysage de la distribution et dans la société en général. «Les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par la durée de vie de leurs biens, explique Rosalie Heens, coordinatrice de projet chez Repair & Share, une ASBL qui promeut le mouvement de la réparation et soutient 160 Repair Cafés. Une part croissante de la société critique l’économie du jetable et souhaite consommer de manière plus responsable. En cas de panne, un objet devrait pouvoir être réparé. La durabilité permet non seulement de ralentir l’accumulation des déchets, mais aussi de réduire la demande.»

Ce second aspect ne peut être négligé, surtout si l’on considère l’énergie et les matières premières requises, ainsi que les émissions de CO2 résultant du processus de production. Et l’experte de poursuivre: «Outre la sensibilisation croissante à l’environnement, les taux d’inflation et les prix de l’énergie nous incitent également à moins jeter. Nos élus, que ce soit à l’échelle européenne ou nationale, ont un rôle crucial à jouer, car eux seuls détiennent le pouvoir d’introduire des réglementations qui obligeraient ou encourageraient la conception de biens facilement réparables.»

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La Belgique travaille notamment à la création d’un indice de réparabilité et de durabilité pour les appareils ménagers. En France, où de telles mesures existent déjà, des aides financières renforcent l’attrait pour la remise en état. Depuis un an et demi, grâce au bonus prévu par la loi anti-gaspillage, les ménages peuvent obtenir une remise immédiate – comprise entre 15 à 50 euros – sur les frais de réparation d’un appareil électrique ou électronique; pour les textiles et les chaussures, 6 à 25 euros sont déduits de la facture depuis novembre 2023.

La concurrence de l’occasion

Les enseignes de renom ne manquent pas une occasion de citer développement durable et économie circulaire, lorsqu’il s’agit de promouvoir leur service après-vente. Pour Brunello Cucinelli, il s’agit d’un «choix éthique» que de faire réparer ses vêtements plutôt que de les jeter. Leo Rongone, le patron de Bottega Veneta, a déclaré qu’après la création du Certificat d’Artisanat, l’entreprise souhaitait se concentrer sur une «croissance durable».

‘Les marques s’inquiètent de la forte croissance du marché d’occasion et de sa popularité auprès des consommateurs soucieux de l’environnement.’


«Les grands labels cherchent naturellement à renforcer leur image d’entreprises socialement engagées, explique Annick Schramme, professeure de management de la mode à l’université d’Anvers. C’est par ce moyen qu’ils tentent d’attirer le nombre croissant d’individus qui attachent de l’importance à cette lutte. Tant qu’ils ne tombent pas dans l’éco-blanchiment, je ne vois pas de problème. Au contraire, grâce à son association aux industries de prestige, la lutte climatique gagne en visibilité, et les mentalités changent.»

Proposer une garantie sur des produits de luxe permet à une maison comme Louis Vuitton de justifier des prix élevés.


Cependant, la professeure identifie d’autres motivations derrière la promotion des options de réparation et des périodes de garantie. Elle cite notamment le lien supposé entre le prix et la durabilité d’un bien ainsi que la concurrence croissante des magasins d’occasion.

Du neuf écologique


En effet, les vêtements et accessoires «pre-owned» et «pre-loved» se vendent comme des petits pains. Selon le cabinet de conseil Boston Consulting, la valeur estimée du marché mondial des articles de luxe d’occasion se situera au-delà des 50 milliards d’euros l’année prochaine grâce à une croissance annuelle de 13%. De son côté, la facette dite «classique» de ce marché ne progresserait que de 7% par an. D’après une récente étude de Deloitte, le marché des montres d’occasion devrait dépasser la moitié de la valeur du marché des montres neuves d’ici 2030.


«Les acteurs du luxe s’inquiètent de la forte croissance du marché d’occasion et de sa popularité auprès des individus soucieux de l’environnement, souligne Annick Schramme. Je pense que cela explique également pourquoi nombre d’entre eux mettent l’accent sur la longévité de leurs produits. Ce faisant, ils suggèrent que l’achat d’un objet neuf peut être un choix tout aussi écologique. Certaines entreprises offrent également un accès à leurs ateliers de réparation ou proposent des garanties étendues dans le but de séduire ou de fidéliser la clientèle. Après tout, les magasins du marché de l’occasion n’offrent pas ces avantages.»

Des prix exponentiels

Plusieurs analystes établissent une corrélation entre ce phénomène et l’augmentation des prix pratiquée depuis la pandémie. Le fournisseur de données Edited a observé une augmentation tarifaire moyenne de 25% entre 2019 et 2022, tandis que le groupe bancaire HSBC évoque même une augmentation de 50% dans une étude récente basée sur le marché français. De son côté, l’industrie justifie cette hausse par l’augmentation du coût des matières premières, de l’énergie et des transports, des arguments qui ne suffisent pas pour faire taire les critiques.

‘En réparant efficacement leurs produits, les marquent appuient leurs compétences.’

«Rien d’étonnant à ce que les marques aient tenu à mettre en avant leur service après-vente ces dernières années, reconnaît Annick Schramme. C’est une manière de faire passer la pilule auprès des consommateurs. Alors que les contraintes économiques incitent les acteurs de la fast fashion, comme Shein, à réduire la qualité de leurs produits, sur le pan opposé du marché, la stratégie consiste à offrir des prestations supplémentaires aux acheteurs, même après la vente, et parfois à vie.»

Un club sélect


A l’image de Bottega Veneta, qui présente son nouvel avantage comme un ticket d’entrée dans un club sélect, les marques ne manquent pas d’idées pour encadrer ce nouveau pan de leur activité. IWC et Panerai ont développé des plates-formes numériques qui notifient leurs adhérents quand il est temps de faire réviser leur montre ou leur fournissent des informations personnalisées sur le label.

Les objets de luxe, comme les sacs Delvaux qui se transmettent de génération en génération, ont souvent une valeur émotionnelle.


Pas de quoi surprendre notre professeure anversoise, car après tout, les longues garanties, et les interactions suivies qu’elles impliquent, ne font qu’encourager la fidélité des acquéreurs.

«Pour ces entreprises, il ne s’agit pas seulement d’offrir une expérience de vente irréprochable ou proposer des créations d’une qualité exemplaire, c’est l’expérience globale qui compte. Aujourd’hui, les maisons entretiennent des relations à long terme avec leurs clients, parfois à vie. Chez Bottega Veneta, la carte symbolise également l’appartenance à une communauté. En s’engageant sur le long terme auprès de sa clientèle, la marque espère engager une fidélité réciproque. Ce lien s’avère d’autant plus crucial depuis la fin de la pandémie, car la croissance du secteur ralentit et tous les acteurs cherchent à maintenir le même niveau d’activité.»

Quiet luxury

Quoi qu’il en soit, le service après-vente reste une excellente occasion pour certaines manufactures de rappeler la qualité de leur savoir-faire. «Bottega Veneta et d’autres marques qui jouent sur la nature durable de leurs créations sont plus susceptibles d’adopter des designs caractéristiques du quiet luxury. Oubliez les logos tape-à-l’œil ou les motifs criards, ici, c’est le processus de fabrication artisanal qui compte.»


Selon Annick Schramme, la rénovation permet également de mettre en valeur l’expertise de la marque. «Pour être réparé, un sac à main ou une montre mécanique requiert d’être démonté et remonté: un travail pour lequel l’intervention d’artisans spécialement formés ou très expérimentés est indispensable. Le savoir-faire fait aussi partie de leur signature et en réparant efficacement leurs produits, les griffes de la mode et du design appuient leurs compétences et la légitimité de leur statut.»

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