Mort d’Issey Miyake, l’inventeur de vêtements

© Brigitte Lacombe

Ne dites surtout pas créateur de mode, Issey Miyake se voulait artisan, inventeur de vêtements plutôt que faiseur de tendances. Il vient de décéder à l’âge de 84 ans.

Le créateur de mode japonais Issey Miyake, dont la carrière s’est étendue sur plus d’un demi-siècle, est décédé à l’âge de 84 ans, a annoncé mardi à l’AFP une employée de son bureau à Tokyo.

« Il est mort dans la soirée du 5 août », a-t-elle dit au téléphone, ajoutant que les obsèques d’Issey Miyake avaient déjà eu lieu en présence « uniquement de proches », conformément à ses souhaits. Il n’est pas prévu de cérémonie publique, a précisé cette source. La chaîne de télévision publique japonaise NHK a également annoncé la mort du grand créateur de mode.

En juin dernier, un défilé spectacle de sa marque avait été mis en scène à Paris par Rachid Ouramdane, directeur du Théâtre national de Chaillot, rassemblant mannequins, performeurs et un collectif d’acrobates.

Le style Issey Miyake

Tunique tatouée, plissés exubérants de la célèbre collection Pleats please, carrés géométriques qui se muent comme par magie en robe, voilà autant de pièce iconique qui symbolise le style Issey Miyake. Celui d’étoffes « seconde peau » qui libèrent le corps et visent à « toucher le plus grand nombre ».

Préférant se définir comme « fabricant de vêtements » plutôt que styliste, il a fait partie de la vague de jeunes créateurs japonais ayant apporté un vent de fraîcheur dans la haute couture parisienne à partir des années 1970. Il est notamment connu pour avoir confectionné des habits composés d’une seule pièce de tissu (« A-POC, A Piece Of Cloth »), sans couture, optimisant ainsi mouvement, fluidité et confort. Sa ligne « Pleats Please », perfectionnant la technique du plissé pour rendre les vêtements infroissables, a aussi marqué les esprits.

Le déclic s’est fait en mai 1968. Issey Miyake a tout juste 30 ans. Diplômé de l’université des beaux-arts Tama à Tokyo, il a rejoint Paris trois ans plus tôt pour se former à la haute couture. Mais la révolte de la jeunesse française « change complètement sa vision », racontait à l’AFP Midori Kitamura, présidente du Miyake Design Studio en 2016. « C’était un tel choc de voir ces jeunes se battre avec tant d’énergie pour plus de liberté. A partir de ce moment-là, il a voulu créer des habits pour tous ». Chez Issey Miyake, on n’achète pas le tissu là où tous les créateurs se fournissent, on le fabrique en partant de zéro », décrit-elle.

Il aura passé plus d’un demi-siècle à marier innovation technique et mode vestimentaire, bousculant les conventions et s’imposant mondialement comme un inventeur et un artiste, avec un lien particulièrement fort avec la France.

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Des tenues confortables, simples à transporter et à entretenir – « pour faciliter la vie des femmes » – et toujours « uniques ». Depuis la création de son studio en 1970 et son premier défilé à Paris en 1973, « il cherche à bousculer les conventions.

Issey Miyake en Diana Vreeland

A peine diplômé de l’université des beaux-arts de Tama à Tokyo, le Japonais s’installe à Paris en 1965, imitant son compatriote Kenzo Takada (1939-2020). Les deux étudient à l’école de la Chambre syndicale de la Couture parisienne et deviennent amis.

Issey Miyake travaille d’abord comme apprenti chez Guy Laroche puis chez Givenchy. Mais sa vision de la mode a surtout été influencée par la révolte étudiante de mai 1968 à Paris : plutôt que de concevoir des vêtements pour quelques privilégiés, il décide d’inventer des habits universels et pratiques, « comme des jeans et des t-shirts », dira-t-il plus tard.

Tout au long des années 1980, alors que les magasins portant sa marque se multiplient, Issey Miyake fait rayonner son style en utilisant des matériaux jamais vus dans la mode jusqu’alors (plastique, fil de fer, papier artisanal japonais, crin, raphia…). L’art japonais du pliage (origami) l’inspire aussi.

Ici en 1995

Miyake a également marqué les esprits dans les années 90 avec ses parfums, en collaboration avec le colosse japonais de la beauté Shiseido. L’eau d’Issey – lire : l’odyssée – a été lancée en 1992, dans un flacon minimal par Fabien Baron. « Issey m’a appelé et m’a demandé si j’avais déjà conçu un flacon de parfum », nous a confié un jour le puissant directeur artistique français. Je ne l’avais pas fait, mais j’ai commencé à y réfléchir, et le résultat a été une version épurée de la tour Eiffel, telle que Miyake pouvait la voir de la terrasse de son appartement parisien ». L’Eau d’Issey peut être considérée comme l’un des parfums les plus marquants des années 90. Baron a également conçu plus tard le flacon et les campagnes publicitaires de cK One de Calvin Klein, l’autre parfum iconique de cette décennie.

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Un grand inventeur

Avec des chercheurs textiles et des ingénieurs modélistes au sein de son laboratoire de recherche-développement, il a également créé une fibre synthétique à partir d’une matière chimique recyclée, en partenariat avec une firme nippone.

Le designer a aussi souvent collaboré avec d’autres génies créatifs. Dans les années 80, il a ouvert toute une série de boutiques avec le légendaire designer Shiro Kuramata, décédé prématurément. Le graphiste et artiste Tadanori Yokoo, le plus illustre représentant du pop art au Japon, signait pratiquement toutes les invitations aux expositions de Miyake à Paris.

Miyake a également travaillé en étroite collaboration avec Irving Penn pendant plus d’une décennie. Chaque saison, il envoyait sa collection au studio de Penn à New York, où le célèbre photographe la retravaillait. Cela lui permettait de regarder ses vêtements à travers d’autres yeux.

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« Mon travail a toujours été un processus d’équipe (…). On voit toujours les choses différemment quand on permet aux autres de faire partie d’un processus créatif », expliquait-il au New York Times en 2014. Il y a des années, les photos ont été rassemblées sous forme de livre, de même que les invitations de Yokoo.

Il y a également eu des collaborations plus brèves, comme celle avec Yaoi Kusama, qui a imprimé les robes de Pleats Please avec ses célèbres pois, des années avant sa collaboration avec Louis Vuitton. Avec sa filiale A-Net, il a construit un mini-conglomérat, avec ses propres labels pour les employés et les disciples. Ne-Net et mercibeaucoup ont surtout eu du succès au Japon, mais Zucca et Tsumori Chisato ont présenté leurs collections à Paris pendant des années. Final Home est devenue une marque légendaire de streetwear. Lancée à partir de 2010, sa ligne de sacs géométriques et en relief « Bao Bao » a encore renforcé son aura. 

Issey Miyake était aussi le fournisseur attitré des célèbres pulls à col roulé noirs de Steve Jobs, le cofondateur et ancien patron d’Apple.

« Issey Miyake, c’est un homme de recherche, un découvreur, un grand inventeur qui a conçu et utilisé des matériaux et des textures uniques au monde », résumait en 2021 auprès de l’AFP l’ancien ministre français de la Culture Jack Lang, soulignant aussi son « élégance morale, intellectuelle » et sa « profonde humanité ».

Aux lumières du podium, il a préféré ces dernières années l’ »anonymat » de son laboratoire de R&D, où se côtoient jeunes créateurs et professionnels expérimentés, parfois à ses côtés depuis plus de 40 ans. Leur mission: redécouvrir des matériaux traditionnels, explorer de nouveaux tissus, imaginer des technologies innovantes, des années de travail, pour leur donner une apparence surprenante, entre mouvement et sculpture. Le fil conducteur d’alors: « a piece of cloth », concevoir des vêtements à partir d’un seul morceau de tissu, « quête créative et choix éthique ». Ni fil, ni aiguilles, ni ciseaux, une robe blanche prend ainsi forme par le miracle de simples boutons pressions.

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Hiroshima, un tabou

Issey Miyake est un « architecte de la pureté », résume encore l’ancien ministre de la Culture Jack Lang. Si son travail est empreint de l’esprit japonais, lui se veut au-delà. « Par le passé, certains disaient que ses habits ressemblaient à des kimonos. Il n’aime pas ces comparaisons », souligne Mme Kitamura.

 « Mon rôle n’est pas de transmettre la culture japonaise. Je ne veux pas me laisser enfermer dans un cadre étroit, je suis intéressé aussi par les traditions de l’Inde, des Philippines, de la Thaïlande… », expliquait-il en 2016, au cours de la conférence de présentation de son exposition au monumental National Art Center, fine moustache et sourire généreux, désireux de « dépasser les frontières ». Un refus des étiquettes qui explique aussi son long silence sur la bombe atomique de Hiroshima.

Né le 22 avril 1938 dans la préfecture de Hiroshima, Issey Miyake avait sept ans le 6 août 1945. « Son équipe prend garde à ne pas aborder ce sujet, c’est vraiment un tabou », note Mme Kitamura. Ces dernières années, il a commencé à s’ouvrir un peu, invoquant « une responsabilité personnelle et morale en tant que survivant ». « Quand je ferme les yeux, je vois encore des choses que personne ne devrait jamais vivre: une lumière rouge aveuglante, le nuage noir peu après, des gens qui courent dans toutes les directions en tentant désespérément de s’échapper – Je me souviens de tout ça », relatait-il en 2009. « Trois ans plus tard, ma mère décédait des suites des radiations ». Lui a enduré de grandes souffrances, atteint de périostite.

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