Inge Onsea de Essentiel Antwerp
Robe et veste en fausse fourrure, Essentiel Antwerp. Bottes vintage, Gucci. © Athos Burez

Rencontre avec Inge Onsea de Essentiel Antwerp: « J’occupe enfin la première place dans ma propre vie »

Stijn De Wandeleer

Elle s’est relevée péniblement d’une rupture et vient d’emménager dans son nouveau duplex à Anvers. Après une période difficile, les affaires reprennent, elles aussi. Inge Onsea (53 ans), directrice créative et cofondatrice du label de mode Essentiel Antwerp, aurait-elle enfin trouvé la sérénité?

Il doit y avoir de la couleur. Voilà, en substance, le mot d’ordre qu’Inge Onsea, à la tête d’Essentiel Antwerp, a donné à son architecte d’intérieur et ami proche Gert Voorjans il y a deux ans, lorsqu’il a entamé la rénovation et l’aménagement de son duplex monumental au cœur d’Anvers. Pas une trace de blanc sur les murs, la salle de bains rappelle le plumage des flamants roses et des tentures en velours ornent la chambre à coucher. De toute évidence, la sobriété scandinave n’est pas la tasse de thé de la maîtresse des lieux.

«Je voulais que cet appartement dégage une sorte de glamour à la new-yorkaise», déclare Inge Onsea en souriant, après quoi elle avale quelques sushis et se blottit dans le canapé, une cigarette au coin des lèvres. «C’est la première fois que je vis seule depuis des années et que je peux aménager un lieu entièrement à mon goût. Lorsque j’étais encore en couple (NDLR : avec Esfan Eghtessadi, cofondateur d’Essentiel Antwerp), je voulais par exemple avoir des motifs léopard aux murs, mais j’ai compris que pour un homme hétéro, ce serait peut-être un choix trop prononcé, disons. Cette fois-ci, j’ai pu me lâcher.»

« Lorsque j’étais encore en couple, je voulais par exemple avoir des motifs léopard aux murs, mais j’ai compris que pour un homme hétéro, ce serait peut-être un choix trop prononcé, disons. Cette fois-ci, j’ai pu me lâcher.»

Inge Onsea

Inge Onsea se voit passer ses vieux jours ici. Le lieu semble presque symboliquement paisible, ce qui est une bonne chose après plusieurs années tumultueuses, marquées notamment par son divorce avec Esfan, avec qui elle dirige la marque aujourd’hui encore. Un label qui a été durement touché par la crise du Covid.

Vous n’avez jamais caché le fait que la pandémie a été une période difficile pour Essentiel Antwerp…

Je pense que toutes les marques de mode, y compris nous, ont fait les frais de la pandémie. Comment peut-on créer et distribuer une collection si on ignore à quoi le monde ressemblera six mois plus tard? Les banques mettaient largement les freins elles aussi, et notre collection de 200 000 pièces n’a plus été financée. Les premiers mois, nous avons paniqué. Ceci dit, je crois que depuis lors, notre entreprise est plus saine. Ça a vraiment été une période de réflexion profonde pour nous.

Cette épreuve a métamorphosé votre entreprise?

Nous sommes redevenus un peu plus petits, ce qui était nécessaire. Les années précédentes, notre unique but était de croître! Il était inenvisageable de faire un pas en arrière et de regarder quels processus pouvaient être améliorés. Mais, lors de la pandémie, nous avons dû faire ça par la force des choses. Nous avons fermé quelques boutiques dont le seuil de rentabilité était neutre. En Belgique, notre label n’est plus représenté que dans 60 magasins multimarques, au lieu de 120. L’avantage est que, aujourd’hui, nous pouvons mieux accompagner et soutenir les boutiques avec lesquelles nous travaillons.

Comment vont les affaires aujourd’hui?

A présent, cela tourne de nouveau comme avant ; l’entreprise croît. Bientôt, nous ouvrirons même une boutique à New York. Depuis un an ou deux, les Etats-Unis sont un de nos principaux marchés. Je ne sais pas pourquoi nous avons soudain eu autant de succès là-bas. Cela faisait vingt ans que nous essayions de gagner ce marché. Avant le Covid, notre agente américaine nous disait même qu’elle n’y croyait plus. Et c’est justement cette saison-là que le boom a commencé pour nous. C’est quand même un peu un rêve qui devient réalité.

C’est peut-être aussi parce que votre style a mûri au fil des années?

Cela y a sans aucun doute contribué. Lors des premières années d’Essentiel Antwerp, il y avait encore moins de cohérence dans nos collections. A l’époque, nous expérimentions beaucoup. Comment aurait-il pu en être autrement? Esfan et moi n’avions absolument aucune expérience du management, et je n’avais jamais créé de collection. Nous avons lancé la griffe avec seulement quatre tee-shirts de différentes couleurs, et après ça, tout est allé très vite. Aujourd’hui, nous savons mieux vers quoi nous voulons que notre entreprise évolue.

A quel type de femme pensez-vous lorsque vous créez vos collections?

La femme Essentiel est surtout quelqu’un qui ne prend pas la vie trop au sérieux. Pour mes créations, je recherche les extrêmes. J’aime la couleur, les paillettes et les plumes, et je sens que nos clientes sont plus ouvertes à ça qu’avant. Au début, je créais avant tout une collection qui devait se vendre, avec quelques pièces spéciales en guise de cerise sur le gâteau. Aujourd’hui, c’est le contraire, et ce sont justement les pièces les plus originales qui ont du succès. Pour un créatif, c’est un scénario de rêve.

« La femme Essentiel est surtout quelqu’un qui ne prend pas la vie trop au sérieux. Pour mes créations, je recherche les extrêmes. J’aime la couleur, les paillettes et les plumes, et je sens que nos clientes sont plus ouvertes à ça qu’avant. »

Essentiel fêtera ses 25 ans l’an prochain. Le secteur de la mode a énormément changé depuis vos débuts…

Aujourd’hui, les choses doivent surtout aller beaucoup plus vite. Avant, nous réalisions deux grandes et deux petites collections par an. Désormais, nos clients s’attendent à ce qu’il y ait des nouveautés chaque mois dans les rayons. Nous sortons donc des collections beaucoup plus limitées, ce qui a entraîné un chaos organisationnel considérable.

Chemisier à paillettes et bottes blanches, Essentiel Antwerp.
Chemisier à paillettes et bottes blanches, Essentiel Antwerp. © Athos Burez

Lorsque vous avez commencé, on ne parlait pas encore de durabilité en mode, alors qu’aujourd’hui, on peut difficilement passer à côté. Mais mode et durabilité sont-elles compatibles?

C’est une évolution laborieuse et lente, mais elle est indispensable. D’ailleurs, je vois vraiment que les choses bougent. Avant, lorsque nous nous rendions à un salon textile, il n’était pas évident de trouver du tissu écologique, alors qu’aujourd’hui, la moitié des tissus le sont.

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Comment vous y prenez-vous en la matière ?

Depuis des années, nous travaillons avec un spécialiste de la durabilité. Dans un premier temps, il a analysé notre entreprise et, sur le plan social, nous semblions déjà dans le bon. Cela veut dire que notre production n’implique pas d’enfants, et que les conditions de travail dans nos usines font l’objet d’un contrôle strict. Cela dit, la mode n’est pas une industrie très écologique en soi, même si nous faisons de grands progrès.

L’année dernière, nous avons par exemple lancé RE-SSENTIEL, c’est-à-dire que nos clients peuvent échanger leurs anciennes pièces contre un bon à valoir, de manière à offrir une deuxième vie aux vêtements. Je trouve qu’il est tout à fait logique que nous traversions cette révolution écologique, mais la conséquence est que j’ai dû augmenter mes prix. Il est devenu plus cher de produire de manière écologique. Heureusement, la jeune génération, qui est de toute façon concernée par l’écologie, est ouverte à cela.

Vous continuez de diriger Essentiel avec votre ex-compagnon, Esfan Eghtessadi, qui s’occupe surtout de l’aspect business. N’est-ce pas compliqué?

Mais non, Esfan et moi nous entendons encore très bien. Depuis notre séparation, notre collaboration se passe même beaucoup mieux. Avant, quand on n’était pas d’accord sur quelque chose, on pouvait vraiment se prendre la tête. Aujourd’hui, il y a plus de bienveillance entre nous. Il y a une limite que nous ne dépassons plus lorsque nous discutons. D’ailleurs, Esfan sera toujours l’homme de ma vie. C’est normal, non? Nous avons élevé deux enfants et créé une entreprise de mode ensemble.

Mais une séparation, même si elle se passe bien, ne reste-t-elle pas toujours douloureuse?

Bien sûr. Loin de moi l’idée de décrire cette période plus rose qu’elle n’était. Esfan et moi avons vécu et travaillé ensemble intensément pendant vingt ans. On doit donc se départir de plein d’habitudes et se passer de quelqu’un sur qui on s’est appuyé pendant si longtemps. Mais ce que j’ai trouvé magnifique, c’est que, après deux décennies de mariage, au cours desquelles j’ai toujours tenu compte des autres – mes enfants, mon mari, notre entreprise – j’ai enfin pu occuper la première place dans ma propre vie, et c’est quelque chose que j’ai vraiment savouré.

Vous avez goûté allègrement à la vie nocturne?

Après mon divorce, je suis beaucoup sortie pendant quelques années, oui. J’avais mes enfants une semaine sur deux. Nos deux fils sont restés dans notre maison commune, et Esfan et moi nous relayions sur place. Nous avons vécu selon ce système de birdnesting pendant trois ans, parce qu’il nous semblait important que nos enfants aient un point de chute central. Ça a fonctionné à merveille. Dès que je fermais la porte et que je sortais de la maison avec ma valise, je me disais: cette semaine, je ne suis plus maman pendant quelque temps, mais une célibataire. Après, la semaine où j’avais les enfants me permettait de me reposer un peu. (rires)

Robe à franges, Alexandre Vauthier. Chaussures, Paco Rabanne.
Robe à franges, Alexandre Vauthier. Chaussures, Paco Rabanne. © Athos Burez

« Ma party dress adorée! J’ai toujours aimé la manière dont les franges se meuvent quand on danse. »

Vous avez un nouvel amoureux depuis quatre ans. S’y prend-on différemment lorsqu’on a une seconde chance en amour?

Complètement. Lorsqu’on débute une nouvelle relation en tant que quinqua, nos motivations ne sont pas les mêmes que quand on a 20 ou 30 ans. Je n’avais pas besoin de quelqu’un avec qui élever des enfants ou rénover une maison. Avec mon partenaire actuel, je peux surtout partager les choses agréables. C’est très libérateur. J’ai eu droit – surtout au début – à plein de remarques sur le fait que mon ami a dix-sept ans de moins que moi.

J’ai senti qu’il est quand même encore tabou qu’une femme plus mûre se lance dans une relation avec un homme plus jeune, alors que le scénario inverse suscite peu de froncements de sourcils. Comment cela se fait-il? Peut-être qu’on pense encore qu’une femme de mon âge veut un homme qui peut offrir un certain statut et de la sécurité. Mais je n’ai pas besoin de ça ; j’ai déjà ma carrière, ma vie et mes enfants.

L’an dernier, le Times vous a élue une des quinquas les plus élégantes. Quel honneur!

Oh oui, c’était bien sûr un magnifique compliment. En tout cas, je ne trouve pas qu’il est plus difficile de m’habiller avec l’âge. Maintenant, je sais mieux ce qui me va et je me sens mieux dans mon corps que lorsque j’avais 20 ans. Depuis quelques années, je me suis tournée vers le confort. Avant, je ne serais jamais sortie sans talons hauts ; je portais des escarpins même pour aller faire mes courses. Mais entre-temps, j’ai aussi laissé les sneakers entrer dans ma vie, et en réalité, je trouve que c’est une chouette évolution. (rires)

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