À l’état brut
Le décorateur français Jean-Louis Deniot a mis à nu les murs d’un penthouse de Miami Beach jusqu’au béton pour le transformer en un endroit alliant sex appeal typique du littoral américain et sophistication européenne. Visite des lieux.
Enfant, à Paris, Jean-Louis Deniot se passionnait déjà pour tout ce qui se tramait à South Beach : Gianni Versace dans sa villa, Madonna dans les clubs… Lorsqu’il y posa ses valises pour la première fois, il y a dix ans, il ne s’attendait toutefois pas à découvrir un tel paradis aux rues bordées de bâtiments Art déco aux tons pastel, animé par un défilé de cabriolets le long de la plage. Lors de ce voyage, il eut aussi l’occasion de se confronter à une tout autre facette de la ville à Vizcaya, le domaine construit dans le plus pur style Renaissance par l’industriel James Deering en 1916. En se promenant dans cette villa et ses jardins, le décorateur fut frappé par cette association entre le goût européen et la culture américaine, plutôt surprenante dans ce centre touristique décontracté et branché.
Aujourd’hui, s’il se partage surtout entre le siège de son entreprise à Paris, New York et Los Angeles, Miami est également devenu l’une de ses destinations régulières. Le Français y travaille actuellement sur une maison et plusieurs projets pour des clients dans les environs, comme l’aménagement intérieur de l’Elysee Miami, un luxueux immeuble à appartements de 57 étages, imaginé par Arquitectonica.
La rénovation de ce remarquable penthouse lui a été confiée par un entrepreneur en technologie de la cité des Anges. Situé dans le bâtiment La Tour (1995), il avait attiré son attention depuis la rue avant même sa mise en vente : à travers ses gigantesques baies, on apercevait le salon, une pièce de 6 mètres de hauteur aux allures d’atelier d’artiste, digne -pourquoi pas – d’accueillir la fameuse foire d’art contemporain Art Basel Miami Beach. Sa situation face à la mer sur le Millionaire’s Row, entre l’hôtel Faena et le Soho Beach House, n’était pas moins idéale. C’est d’ailleurs Jean-Louis Deniot lui-même qui a convaincu son client d’acquérir ce bien.
Lors de sa première visite, le tandem a trouvé l’endroit aménagé à la façon d’un château espagnol, avec des tapisseries, des murs en terre cuite, des fontaines, des colonnades et un lustre en fer forgé massif ! Le futur propriétaire vivait en Californie, dans un loft tout en béton peint. L’architecte d’intérieur lui a dès lors promis qu’il pourrait déplâtrer et créer un look brutaliste comparable. Il s’est pour cela laissé inspirer par l’atelier Brancusi à Paris. On en veut pour preuve la toile d’un bleu monochrome entourée de sculptures, dont certaines sont installées sur des supports grossiers. Autre influence notable, la scène Art déco locale, gravitant tout particulièrement vers le Néerlandais Gerrit Rietveld et son style géométrique et avant-gardiste.
Inventer une histoire
Les murs du séjour ont été mis à nu jusqu’au béton, qui n’était au départ pas du tout destiné à être vu, mais qui s’est avéré posséder la texture et la richesse d’une belle pierre. Il est donc resté dans son jus. L’entrée a été habillée de panneaux en laiton qui reflètent la lumière, agrandissent l’espace et donnent l’impression d’un beau rayon de soleil. Au sol, le nouveau granito est un clin d’oeil au style classique de Miami, en vogue au milieu du siècle dernier. Tout, dans le salon, se devait d’être grand pour contrebalancer la hauteur de la pièce – le canapé surdimensionné, la colossale tête en béton sur son piédestal et le nez et la bouche en granito sur l’étagère près du plafond, soit un fragment de statue italienne des années 20, beaucoup plus imposant qu’il n’y paraît avec ses 60 cm de hauteur.
A l’instar des nombreuses oeuvres d’art et des meubles années 30 et 40, les tissus signés Kirkby, Martyn Thompson Studio ou JAB Anstoetz qui habillent les fauteuils, canapés et chaises confèrent beaucoup de personnalité à l’ensemble. Sur le cabinet à boissons en verre et bronze réalisé sur mesure trônent un vase en ciment des années 80, une carafe française des années 40 et un cimier nigérian du XIXe siècle. Si aménager une pièce revient à inventer une histoire – le mantra de notre interlocuteur en quelque sorte -, le séjour représente un conte marin. Pour dissimuler la télévision, le décorateur a conçu un cabinet en marqueterie de paille bleu comme les profondeurs de l’océan, qui repose sur des sphères en bois laqué tels des ballons de plage, dont la forme rappelle également l’Art déco et le groupe de Memphis. En haut du meuble, une rangée de cônes en onyx évoque la mâchoire d’un requin, la table basse ressemble, elle, à une planche de surf et le motif du tapis est pensé pour suggérer l’eau et le sable.
Pour créer une sensation d’espace – le plafond de la chambre principale ne fait que 2,40 m -, Jean-Louis Deniot a demandé à un artiste parisien de réaliser une toile représentant une tempête ou une énorme vague. Celle-ci a fait le voyage en bateau jusqu’en Floride et a été encollée directement sur place ; le motif tourbillonnant donne presque l’impression d’un dôme. Dans la salle de bains principale, qui offre une vue panoramique sur l’Intracoastal Waterway, le concepteur voulait un marbre aux allures de paysage. Il a trouvé dans la cité américaine même une pierre avec des veines de style Art déco, qu’il a utilisée pour toutes les surfaces, y compris la table de toilette… et une poubelle assortie. Du côté de la terrasse qui fait face à South Beach, un fauteuil à bascule vintage Ilmari Tapiovaara côtoie une chaise longue en rotin des années 60 et une table d’appoint en marbre dénichée sur un marché aux puces parisien. Dans ce penthouse au 26e étage, on croirait planer au-dessus de la plage, des immeubles avoisinants, voire des nuages. On y voit même passer les oiseaux. La poésie et le surréalisme en plein.
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