L’ARTISTE

Andres Serrano est un photographe américain né à New York en 1950 de parents originaires de Cuba et du Honduras. Il grandit dans une atmosphère très catholique saturée d’images pieuses et doloristes telles qu’on en trouve traditionnellement dans l’iconographie latino. L’épisode est fondateur. Aujourd’hui encore, ce grand collectionneur d’art gothique et Renaissance vit avec son chien Luther dans un loft de la Grosse Pomme qui tient plus de la sacristie que du White Cube. Mais surtout : une partie du travail sulfureux d’Andres Serrano est marquée au fer rouge par une imagerie chrétienne classique qu’il réactive à la faveur d’un esprit hautement transgressif, n’hésitant pas à utiliser les sécrétions humaines comme l’urine dans laquelle il a fait baigner un Christ sur la Croix, son fameux Piss Christ (1988). En avril 2011, à l’occasion d’une exposition à Avignon, la pièce en question était dégradée par une bande de fondamentalistes. Polémique assurée, comme c’est souvent le cas avec son £uvre, provocante, certes, insoutenable parfois – il a photographié des cadavres à la morgue et consacré une série extrêmement troublante aux déviances sexuelles -, mais jamais gratuite, signifiante, toujours. Comme il le justifiait au quotidien Libération au lendemain de l’affaire :  » Un crucifix est un objet banal, en tout cas en Amérique, un objet auquel on ne prête plus attention, un objet minimal. Si en faisant appel au sang, à l’urine et aux larmes, ma représentation déclenche des réactions, c’est aussi un moyen de rappeler à tout le monde par quelle horreur le Christ est passé.  » Se défendant de tout acte blasphématoire, l’artiste, fréquemment cité en héritier de deux autres incorrects de l’histoire de l’art religieux, Jérôme Bosch et Le Caravage, puise dans l’iconographie chrétienne pour lui redonner la place qu’elle a perdue dans le champ de l’art contemporain et des débats de société que celui-ci génère.

L’EXPO

Il s’agit de la première exposition du photographe américain aux cimaises de la galerie Nathalie Obadia, à Bruxelles. Deux volets. Le premier s’apparente à une mini-rétrospective. On y retrouve des photographies tirées de ses séries les plus emblématiques. Comme The Morgue (1992), ses corps inanimés, chair encore frémissante, cause du décès indiquée sur l’étiquette : fondamentalement déstabilisant. Une Immersion aussi, non pas du Christ mais d’Éros et Psyché datant des années 80. Par ailleurs, quelques-uns de ses portraits véristes et monumentaux d’Américains au lendemain du 11 septembre, et d’autres issus de son travail précédent sur les sans-abris. Une précieuse introduction pour s’intéresser au deuxième volet de l’expo qui présente quant à lui les travaux les plus récents de l’artiste. Rassemblées sous le titre Holy Works, ces nouvelles photographies toujours aussi bluffantes formellement, apparaissent au premier regard comme un contre-pied apaisé au boucan provoqué par l’affaire Piss Christ en 2011. Mais à y regarder de plus près, on se rassure, Andres Serrano n’est pas encore tombé dans quelque fervente joliesse. Moins frontalement dérangeante, cette série opère en silence, comme le serpent, symbole du péché originel, s’enroulant autour de la croix du calvaire dans The Snake. À côté, le triptyque formé par Ecce Homo, Sacramentum et The Nail découpe en trois clichés pris en gros plans une sculpture de Christ en douleur paradoxalement sensuelle et désirable. Comme l’annonce le sous-titre de l’exposition, Sacred Shadows, l’artiste utilise le potentiel dramatique et théâtral de l’ombre pour glorifier La Pietà de Michel-Ange se détachant sur un fond crépusculaire digne d’un roman de Bram Stoker. Même principe pour les contours de la mitre autoritaire d’un ponte de l’Église, The Grand Cardinal, ou… les cornes d’une bête maléfique répondant au doux nom de El Gran Cabron. Ne cherchez pas plus loin : c’est bien le diable du Sabbat, une des quatorze fresques formant les célèbres Peintures noires de Goya. Au pays des incorrects, Andres Serrano avance en bande.

Sacramentum : Sacred Shadows. Photographies d’Andres Serrano. Jusqu’au 5 mai prochain à la galerie Nathalie Obadia, 8, rue Charles Decoster, à 1050 Bruxelles. www.galerie-obadia.com Tél. : 02 648 14 05.

Chaque mois, Le Vif Weekend vous propose le décryptage d’une exposition. Parce que l’art contemporain est souvent taxé d’hermétisme, nous vous donnons les clés de lecture pour passer les portes des galeries et apprécier le meilleur de l’art vivant.

BAUDOUIN GALLER

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