Bornes to be wild

© TIM VOORS

Durant six mois, Tim Voors a traversé les Etats-Unis par l’Ouest, de la frontière mexicaine à celle du Canada en empruntant un itinéraire légendaire : le chemin des crêtes du Pacifique. Récit en solitaire.

L’abréviation PCT ne vous dit peut-être rien, mais elle fait frémir les amateurs de randonnée, à la fois d’excitation et d’appréhension. Le Pacific Crest Trail est un souhait tout en haut d’une bucket list, un mythe que l’on explore parfois par portions, une sorte de route 66 (avant qu’elle soit prise d’assaut) sans aucun bruit de moteur. Une grande traversée des USA ; verticale, cette fois. Le Néerlandais Tim Voors a mis une tente, deux paires de chaussettes et quelques indispensables dans un sac à dos, puis il est parti s’attaquer à cette légende avant de coucher son aventure sur papier (*).

Préparez-vous à croiser des torrents magistraux, des sommets enneigés, une flore indomptée et des paysages à faire rougir les cartes postales. En revanche, oubliez le récit contemplatif et soporifique d’une soirée diaporama. Tim Voors ouvre son histoire sur un mot inattendu : la peur. Avant de nous embarquer avec lui en plein orage, au sommet du mont Whitney, massif californien dominant les States.  » Un livre doit pouvoir vous accrocher dès la première page « , explique-t-il, comme une évidence. Il faut dire que quand il ne marche pas, Tim Voors est directeur artistique et serial entrepreneur, spécialisé dans le monde du marketing. De sa quête d’équilibre entre travail et aventure, de ce salvateur va-et-vient entre ville et nature sauvage, il a tiré un programme : Walk the Talk, qu’il présente lors de conférences sur les scènes du monde entier. Ses talents de conteur ont fait voyager son ouvrage dans cent pays. Après avoir été traduit dans cinq langues, il se décline en version française dès ce 9 juin. Depuis sa maison familiale d’Amsterdam, l’homme nous a raconté l’envers de cette randonnée d’exception et la construction de cet univers qui avance un pas après l’autre.

‘Le paysage change radicalement toutes les quelques heures.’

Initié enfant, vous semblez avoir découvert bien d’autres aspects de la randonnée en vieillissant…

Dès mon plus jeune âge, durant les vacances d’été, mes parents nous emmenaient camper et randonner dans la nature. Pas de piscine ou de crème glacée, mais des lacs gelés et des baies sauvages. Ce n’est que quand j’ai eu 40 ans que les montagnes m’ont appelé à nouveau. D’abord sur le chemin de Compostelle avec mon épouse, puis dans l’Amérique sauvage, le long du Pacific Crest Trail. Cette fois, totalement seul, car c’était quelque chose que je n’avais jamais expérimenté ou osé auparavant, et j’ai senti que c’était le moment pour moi de surmonter ma peur d’être seul.

Pourquoi le chemin des crêtes du Pacifique est-il si mythique au sein de la communauté des marcheurs ?

C’est la reine des randonnées ! Elle combine tout à elle seule. Désert, montagnes, forêts, neige, pluie. Mais par-dessus tout, c’est du rock’n’roll américain brut. Les Yankees ont cette capacité à vivre le moment présent, être franc, insouciant, plein d’énergie et d’amusement. Les Européens sont toujours plus intéressés par la sécurité, ils pensent à demain et, par conséquent, je les trouve plus ennuyeux. C’est du moins l’avis que je me suis forgé lors de mes rencontres au cours de ce trail, soit environ 50% d’Américains.

S’il fallait résumer ces 4 265 km en une seule image ou un seul décor ?

Le paysage le plus étonnant que j’ai jamais parcouru était le Goat Rocks Wilderness, à seulement trois heures de route de Seattle. Le PCT suit une magnifique section de crêtes (Durand Ridge) dont le Knife’s Edge. On marche au-dessus d’une couverture de nuages, entouré par des volcans au sommet blanc, en équilibre au sommet du monde. Je ne peux que la recommander. Et pour ceux qui veulent s’y attaquer, étant donné que ça devient bondé, je conseillerais de se la jouer SoBo – SouthBound, vers le sud – en partant du Canada puis en redescendant.

Des paysages époustouflants, votre récit en décrit des dizaines. Vous parveniez à être encore surpris à chaque tournant ?

Ce qui est génial dans les marches qui s’étendent sur plusieurs jours et de longues distances, c’est que le paysage a tendance à changer radicalement toutes les quelques heures. C’est incroyable de voir à quel point le décor est varié aux Etats-Unis. Croyez-moi, il n’y a rien de plus beau que les étendues sauvages américaines. Bien sûr, les Alpes sont aussi splendides, mais elles regorgent de remontées mécaniques, de chalets ou d’anciens villages. L’Amérique est vraiment vide, et c’est ce que j’aime tant. Elle est brute, sauvage, non cultivée. Et vous pouvez installer votre tente pratiquement n’importe où. Cela vous permet de vous sentir libre.

Marcher en solo, c’est avant tout pour se sentir libre ?

Décider de faire de la randonnée totalement seul est en soi assez effrayant. Mais une fois que vous avez surmonté ce gros obstacle, tout semble se mettre en place. Donc oui, à ce moment-là, avancer en solitaire vous procure cette sensation de liberté. D’ailleurs, rien ne vous empêche, quand vous le sentez, de rejoindre un groupe, puis de le quitter à votre guise. Je pense que marcher en couple peut être vraiment exigeant, car vos corps et vos humeurs ne sont jamais totalement synchrones. Là-bas, j’ai vraiment eu l’opportunité de faire le vide dans ma tête… même si cela m’a pris trois mois pour parvenir à faire l’expérience de cet état d’esprit. Certaines personnes y arrivent en une heure sur leur tapis de yoga à la maison. Moi pas.

Depuis les sentiers du Goat Rocks Wilderness, le cratère enneigé du mont Adams semble cracher une coulée de nuages.
Depuis les sentiers du Goat Rocks Wilderness, le cratère enneigé du mont Adams semble cracher une coulée de nuages.© TIM VOORS

La randonnée est à nouveau tendance, notamment pour ses bienfaits. Mais loin de toute vision trop romantique, vous évoquez également ses aspects plus pénibles…

Effectivement, c’était important pour moi de présenter ces deux facettes dans le livre. Marcher 12 heures par jour est douloureux. Marcher durant six mois a de drôles d’effets sur votre tête. Etre seul n’est pas toujours drôle. Mais c’est exactement ça qui fait qu’un trail apporte tant. C’est cet aspect physique constant dans l’expérience qui la distingue de pratiques telles que le Vipassana, la pleine conscience ou la méditation. Les hormones qui sont libérées durant une longue marche en valent clairement l’effort.

Fait étonnant : l’aquarelle fait partie intégrante de vos randonnées. Comment les deux passions se sont-elles rejointes ?

Lors de mon pèlerinage de 1300 km autour de l’île japonaise de Shikoku en 2015, j’ai découvert un étonnant rituel. Chaque jour, des locaux venaient à notre rencontre, nous pèlerins, pour nous offrir de petits cadeaux : des  » ossetai  » pour améliorer leur karma. J’ai décidé de rendre la pareille en réalisant des peintures de l’endroit où j’étais, puis en les leur offrant en retour de leurs présents. Depuis lors, j’emporte toujours avec moi deux petits godets d’aquarelle (bleue et jaune), quel que soit l’endroit où je marche. Chaque fois que quelqu’un me prend en stop ou me propose un endroit pour dormir, comme ça a souvent été le cas lors de mon PCT, j’ai toujours dessiné une aquarelle en échange. Ça fait plaisir aux gens et ça me rend heureux.

Vous avez tenu un blog, puis publié ce livre. Le partage de ce que l’on voit reste-t-il essentiel, quand l’on voyage seul ?

Cela dépend vraiment d’une personne à l’autre. J’ai rencontré tant de gens, dans la vingtaine, qui décidaient de laisser leur smartphone à la maison pour déconnecter complètement. Moi, j’avais une famille à la maison avec laquelle j’adorais partager mes expériences. Qui que vous soyez, je crois qu’il est toujours utile d’écrire ou peindre un journal. Vous pourrez toujours décider plus tard si vous pensez que ça vaut la peine d’être partagé. D’ailleurs, j’ai apprécié le processus d’écriture et de publication de ce livre, parce que c’était merveilleux de voir combien de personnes pouvaient s’en inspirer pour se lancer dans leur propre aventure.

(*) En solitaire – Le long du Pacific Crest Trail, par Tim Voors, Gestalten, 240 pages. Sortie le 9 juin.

Bornes to be wild
© TIM VOORS

Face à la reine des randonnées

Déposé en plein désert, à Campo, Tim Voors s’est retrouvé face à une plaque :  » Mexico to Canada 2,650 miles « . Le point de départ officiel du Pacific Crest Trail.  » Après un an de préparatifs, j’étais là. Mais une petite voix intérieure murmurait : je n’ai pas la moindre idée de ce dans quoi je m’engage « , se souvient le randonneur. Durant les premiers kilomètres, il photographie chaque fleur de cactus, a l’impression d’entrevoir une nouvelle palette de couleurs, guette les crotales dans chaque broussaille de ce désert rocailleux et montagneux à quelques pas du Mexique. En tout, il croisera cinquante serpents et en dégustera un, cuit au feu de bois au kilomètre 1000. D’une borne d’orientation à l’autre, il découvre les jours de marche sans ravitaillement en eau possible, le froid qui réveille, un camp hippie au nord de Santa Clarita avec port de la chemise hawaïenne obligatoire, les orages et séquoias millénaires de la Sierra Nevada, les champs de myrtilles de l’Oregon qui laissent les mains violettes. Il parcourt des étendues de sable sans fin, foule la neige à près de 4000 m d’altitude en grimant le Forester Pass, plonge dans des dizaines de lacs et rivières. Six mois plus tard, c’est avec 9 kg de moins, près de deux pointures de plus et une bouteille de whisky à la cannelle qu’il célèbre, au fond d’une forêt boueuse, la découverte du fameux  » Northern Terminus  » canadien, indiquant la fin du voyage.

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