Brassage architectonique

© Luc Roymans

Une brasserie du XIXe siècle, inoccupée et soumise à de strictes conditions urbanistiques. Pas étonnant qu’une telle propriété ait tardé à trouver preneur. Mais un jeune architecte hardi a réussi à convaincre les instances publiques de la pertinence de son projet. Le point fort? Un jardin sur le toit.

« C’est une amie qui nous a filé le tuyau. Elle avait vu quelque chose de dingue sur 2emain.be », explique Wouter Vanheste en ouvrant la porte d’entrée de sa tour. Non loin, un coq chante à tue-tête, les poules la mettent immédiatement en sourdine. L’ancienne brasserie est entourée de maisons et de hangars, et à en juger par les bruits environnants, on se croirait davantage à la campagne qu’en périphérie de Gand. L’architecte, qui avait alors 25 ans, était à la recherche d’un premier projet à mettre en oeuvre. « En réalité, je pensais à une maison de rangée classique. Quelque chose qui corresponde à ma zone de confort, puisque j’habitais déjà ce genre de lieu. Il ne m’était même pas venu à l’esprit de chercher autre chose. » Mais sa curiosité l’a poussé à demander une visite. « Il nous a tout de suite paru évident que c’était trop grand et trop cher pour notre couple. Alors, nous avons passé la main, poursuit-il. Mais la brasserie et la tour continuaient à nous hanter. Lors de notre deuxième visite, une voisine nous glisse qu’elle est intéressée de louer une partie de l’espace. Nous y avons vu une issue financière. »

L'un des deux toits à pignon au-dessus de la brasserie a été partiellement ouvert pour créer un jardin. Au lieu de jardinières, l'habitant a placé des roches volcaniques, la base idéale pour un jardin sauvage, plein de fleurs et d'herbes.
L’un des deux toits à pignon au-dessus de la brasserie a été partiellement ouvert pour créer un jardin. Au lieu de jardinières, l’habitant a placé des roches volcaniques, la base idéale pour un jardin sauvage, plein de fleurs et d’herbes.© Luc Roymans

Une cabane perchée

Les acheteurs potentiels étaient rebutés par deux choses. L’importante superficie du lieu, mais aussi les conditions urbanistiques strictes liées à la brasserie. En effet, les tours pouvaient seulement remplir une fonction commerciale, et un tiers de la superficie habitable devait être démoli pour laisser la place à un jardin au niveau du terrain. Une cour aménagée un demi-étage sous la surface au sol, entourée de bâtiments en hauteur, aurait été peu ensoleillée. Persuadé de son idée, l’architecte a remis une contre-proposition et a longuement plaidé auprès du service d’urbanisme pour convaincre les décideurs de la pertinence d’un jardin de toit. « Cela a été le point de départ pour transformer les plans. Au lieu d’une maison, un appartement avec terrasse, et un espace professionnel en contrebas, la tour pouvait faire office de surface habitable supplémentaire », explique-t-il.

Brassage architectonique
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Bien entendu, la demande de Wouter a été rejetée, mais il n’a pas baissé les bras pour autant. Par la suite, les responsables de l’urbanisme ont adhéré à son approche. « Finalement, ils ont compris qu’un jardin digne de ce nom ne devait pas forcément revêtir la forme d’une pelouse au niveau du sol. Je suis d’avis que, dans les villes, il est préférable de suspendre les jardins et de verdir les terrasses plutôt que de s’accrocher à la représentation classique d’une cour. » Nous avons ouvert partiellement un des deux toits en bâtière surplombant la brasserie, isolé le sol et l’avons pourvu d’un puits de lumière. Celui-ci confère une luminosité naturelle à l’espace professionnel – le bureau du collectif d’architectes AUX dont Wouter fait partie. Plutôt que d’utiliser des bacs de plantes, l’architecte a préféré installer des parterres. « Comme nous disposions de peu de hauteur de construction, nous avons opté pour des buttes en pierre volcanique servant de base à un jardin sauvage parsemé de fleurs et de plantes aromatiques. Cette végétation doit sa luxuriance au fait que, grâce aux murs et au toit, le jardin est partiellement à l’abri du vent, du soleil et du froid. » On ne le voit pas tout de suite, mais la parcelle s’étend deux mètres au-delà du mur. Les vieux arbres qui y poussent donnent l’impression que le jardin de toit fait partie d’une cabane perchée, entourée de feuillage. La terrasse offre l’intimité d’un jardin de grand-mère. « Pourtant, cela ne fait qu’un an qu’il a été aménagé », précise-t-il.

Les carreaux du sol en travertin répondent au ton sable des murs. Wouter souhaitait habiller cette boîte claire d'objets contrastés: tabourets vintage Space Age de Velca autour de l'îlot central en acier brossé, ou chaises de récup' autour de la reproduction d'une table en verre de Le Corbusier. La lampe est une création signée AUX.
Les carreaux du sol en travertin répondent au ton sable des murs. Wouter souhaitait habiller cette boîte claire d’objets contrastés: tabourets vintage Space Age de Velca autour de l’îlot central en acier brossé, ou chaises de récup’ autour de la reproduction d’une table en verre de Le Corbusier. La lampe est une création signée AUX.© Luc Roymans

Boîte à décor

Alors que la terrasse de toit ravit tous les visiteurs, Wouter est particulièrement fier de la cuisine contiguë. « Parce qu’elle n’est pas extravagante et qu’elle ne se compose pas de la typique série d’armoires. Et parce qu’elle est peu volumineuse, mais quand même spacieuse. » Pour rendre le grand espace ouvert sous le deuxième toit en bâtière plus cosy, Wouter y a fait maçonner une structure ajourée, juste en dessous des poutrelles originales. Cette boîte à décor, comme il l’appelle, contient la cuisine et la salle à manger. « Cela m’a permis de créer une atmosphère plus intime, séparée du salon, dont le plafond est plus haut. Même si deux personnes se trouvent dans ce grand espace, l’une peut aller et venir sans être vraiment coupée physiquement de l’autre. »

Les carreaux du sol en travertin répondent au ton sable des murs. Wouter souhaitait habiller cette boîte claire d'objets contrastés: tabourets vintage Space Age de Velca autour de l'îlot central en acier brossé, ou chaises de récup' autour de la reproduction d'une table en verre de Le Corbusier. La lampe est une création signée AUX.
Les carreaux du sol en travertin répondent au ton sable des murs. Wouter souhaitait habiller cette boîte claire d’objets contrastés: tabourets vintage Space Age de Velca autour de l’îlot central en acier brossé, ou chaises de récup’ autour de la reproduction d’une table en verre de Le Corbusier. La lampe est une création signée AUX.© Luc Roymans

Ces pièces ne sont pas non plus complètement séparés des tours. Une ouverture vitrée, pratiquée dans le mur, offre par exemple une vue sur le salon depuis la douche, et vice versa.

La tour, elle, a gardé véritablement son cachet d’antan. « Nous y avons même conservé les chevrons. Ce sont les détails comme celui-ci qui nous ont poussés à acheter la brasserie, se réjouit le maître des lieux. Comme la tour était peu spacieuse et lumineuse, il nous a paru évident d’y prévoir les chambres à coucher et la salle de bains, à côté du hall d’entrée. Mais grâce à un ingénieux jeu de cloisons coulissantes et de miroirs, Wouter a su y faire entrer le soleil; l’endroit donne une réelle sensation d’espace. Le mur qui se trouve derrière la salle de bains peut être entièrement dissimulé, faisant de celle-ci le prolongement de la chambre à coucher. Les miroirs agrandissent la pièce et la baignent de lumière. « Même s’il est parfois difficile de s’y confronter tôt le matin », ajoute l’habitant en souriant.

Dans le salon - à l'exception du canapé et des photos d'Athos Burez -, tout est de seconde main. Wouter a trouvé la lampe chez Rotor et les armoires miroir Kewlox via Ottentik-Gent.
Dans le salon – à l’exception du canapé et des photos d’Athos Burez -, tout est de seconde main. Wouter a trouvé la lampe chez Rotor et les armoires miroir Kewlox via Ottentik-Gent.© Luc Roymans

La haute échelle qui surplombe la baignoire mène au toit, situé cinq mètres plus haut. C’est là que le bassin d’eau de la brasserie à vapeur se trouvait autrefois. « Nous aimerions renouer avec cette idée. Comme le toit offre une vue magnifique sur les tours de Gand, c’est l’emplacement idéal pour un bain nordique en bois. » Après une vertigineuse grimpette, tout de même!

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En bref : Wouter Vanheste

– Il a 31 ans et est le cofondateur de AUX, un tout jeune collectif d’architectes qui exerce tant de manière indépendante qu’en connexion avec d’autres bureaux.

– AUX travaille sur des projets d’architecture et d’intérieur variés, allant du secteur de la santé aux habitations privées en passant par les écoles.

aux.be

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Le bain doit être un moment de délassement avant tout. Wouter a donc choisi de placer la baignoire à coffrage en mortier dans la chambre à coucher. Le mur derrière est coulissant et dévoile la salle de douche.
Le bain doit être un moment de délassement avant tout. Wouter a donc choisi de placer la baignoire à coffrage en mortier dans la chambre à coucher. Le mur derrière est coulissant et dévoile la salle de douche.© Luc Roymans

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