Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Dernier éloge de la lenteur en vogue, le tourisme fluvial navigue en eau douce. Entre sérénité et nature préservée. Un scénario idéal pour couler des jours heureux. Embarquez avec Weekend pour un itinéraire gourmand et moelleux au fil du Canal du Midi.

Guides pratiques en page 82.

Les yeux rêveurs, James scrute le ciel.  » Le temps sera dégagé et doux aujourd’hui, conclut-il. Tout ce qu’il faut pour une belle navigation.  » Un petit vent frais fait frissonner les cheveux de ce quadragénaire élégant. Venu tout droit de la City de Londres, ce trader comblé financièrement s’offre chaque année un mois de vacances sur le canal du Midi. Depuis cinq ans, comme beaucoup de ses compatriotes, il vient à Castelnaudary, la très franchouillarde capitale du cassoulet, pour oublier le smog londonien et sillonner les canaux avec son  » narrow boat  » coloré.

Depuis le premier jour, il a été totalement séduit par le charme de ce bassin devenu avec le temps un petit port dédié à la plaisance. Même si, comme il le souligne,  » les bateaux de tourisme ont complètement supplanté les barques et les pinardiers, ces navires-citernes à vin d’autrefois.  » Difficile, il est vrai, de résister au charme de cette petite ville de l’Aude qui domine le canal du haut de sa colline. Au bout des eaux tranquilles du lac, les maisons couleur sable gobent la lumière orange du soleil matinal, à la façon d’un Saint-Tropez du temps retrouvé.

Accompagné uniquement de sa femme, James laisse à chaque fois derrière lui tous les instruments du monde moderne.  » C’est un vrai luxe que de pouvoir s’offrir un mois sans téléphone, ni ordinateur portable « , raconte-t-il. Pour lui, le tourisme fluvial a été une vraie révélation. Il explique :  » Dans un monde où tout va de plus en plus vite, naviguer de la sorte permet de réapprendre les vertus de la lenteur. On progresse à du six kilomètres à l’heure, c’est presque au pas d’homme. Cette vitesse n’a rien d’arbitraire, c’est celle qui permet de ne pas déraciner les iris d’eau qui maintiennent les rives. Ce souci d’être en phase avec l’environnement qui nous porte est pour moi d’une poésie absolue.  »

Pétri de culture française, Jim û c’est son surnom û évoque tout un univers de références lié au bonheur de s’improviser marin d’eau douce.  » Le canal du Midi, c’est une philosophie en soi, quelque part entre Amélie Poulain et  » La Première Gorgée de bière « , le livre à succès de Philippe Delerm. C’est se faire plaisir avec les petits riens de l’existence : manger un saucisson avec une tranche de pain coupée grossièrement, à l’ombre d’une haie de platanes. Sans oublier d’arroser le tout d’un petit verre de vin rouge du terroir « , sourit-il.

Un phénomène en plein essor

Hier encore, le tourisme fluvial, en France ou ailleurs, faisait un peu figure de vacances au rabais quand la mode de la  » balnéarisation  » et des bains de soleil à outrance attirait les citadins sur des plages surpeuplées. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à découvrir d’autres horizons pour se régaler de ces  » petits riens  » de l’existence. Les réflexes grégaires et les destinations sans âme sont en perte de vitesse au profit d’un hédonisme plus avisé.

La demande en matière de voyage évolue. Alors qu’il peut s’offrir le bout du monde à moindre frais, le voyageur actuel mise davantage sur la qualité de l’accueil et de la découverte. Sans compter que le contexte international, pour le moins agité, invite lui aussi à redécouvrir des horizons plus proches.

Signe des temps, en 2001, un estivant sur trois a choisi la montagne ou la campagne pour s’oxygéner. Profil de ces nouveaux vacanciers : des cadres supérieurs, des professions libérales, des habitants de grandes agglomérations, des seniors, pour lesquels la nature est synonyme d’authenticité, de plaisirs vrais, de liberté, mais aussi de sports : marche à pied, trekking, vélo, activité d’eau vive, randonnée équestre… et tourisme fluvial. Ainsi, trois Belges sur quatre de plus de 15 ans s’adonnent à la découverte nature, avec une philosophie plus proche du rapprochement que du dépaysement. Exit l’esprit du  » toujours plus loin « , le but recherché est avant tout le plaisir, l’émotion, le jeu, et l’oxygénation.

De tous les sports nature pratiqués, c’est la randonnée pédestre qui arrive en tête. En France, par exemple, on dénombre trente et un millions de marcheurs, soit plus d’une personne sur deux. Accessible à tous, la marche est incontestablement le loisir emblématique d’une vague de retour à l’essentiel. Pour la quasi-totalité des adeptes, la randonnée pédestre permet surtout de se  » déstresser  » pour mieux se retrouver.

L’esprit et le succès du tourisme fluvial s’inscrivent pleinement au c£ur de cette nouvelle mouvance. Témoin privilégié de l’évolution du marché, la société Crown Blue Line loue des bateaux sur différents canaux et rivières européens. Pour Frédéric Vermylen, le responsable du bureau belge,  » la popularité du tourisme fluvial s’explique par sa qualité et son authenticité. D’ailleurs, il correspond à une certaine maturité des voyageurs. Les personnes qui viennent à nous se sont en général beaucoup déplacées. Elles ont essayé plusieurs formules de voyage… et en sont revenues. Avec les canaux, elles découvrent la meilleure façon de voyager. La lenteur inhérente au déplacement s’affiche comme un luxe incroyable : on voit moins mais on voit mieux. Il n’existe pas de meilleure façon de faire connaissance avec un pays « .

A cela s’ajoute le succès grandissant des terroirs et de leurs produits. Symbolisant un art de vivre perdu en ville, ils incarnent une vision rêvée de l’existence. Celle d’artisans complètement absorbés par la passion d’un cru ou d’un fromage affiné. Cette imagerie d’un temps qui ne compte plus et d’une qualité de vie au grand air fascine littéralement les citadins. Le tourisme fluvial propose tout naturellement des itinéraires qui plongent au plus profond des régions riches en traditions gourmandes. Approcher les petits producteurs au fil de l’eau ? La meilleure manière de respecter la nature. Jean, un restaurateur trentenaire, profite de ses vacances sur le canal du Midi pour faire connaissance avec les crus du Roussillon.  » C’est un vrai bonheur, confie-t-il, de parler avec les éclusiers afin de dénicher les meilleures adresses. Certains ouvrent même, pour la dégustation, des bouteilles qu’ils rafraîchissent dans le canal. On renoue alors avec une tradition de vins de soif qui évoque le monde ouvrier. Du vrai concentré de plaisir, sans façons.  »

Un patrimoine architectural

Naviguer sur le canal du Midi ne se limite pas à la simple plaisance. La culture est aussi présente : l’ouvrage, qui relie l’Atlantique à la Méditerranée, est aussi un véritable trésor architectural. Lequel a d’ailleurs été consacré Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. Un hommage posthume pour Pierre Paul Riquet. En 1662, il avait 53 ans, cet ancien fermier général décida de consacrer ce qui lui restait comme temps à vivre au  » dessein d’un canal qui pourroit se faire dans cette province du Languedoc pour la communication des deux mers Océane et Méditerranée… « , comme il l’écrivit au ministre des Finances de Louis XIV, Colbert.

Le projet n’étant pas nouveau, mais il se heurtait depuis longtemps à un problème de taille : où trouver l’eau nécessaire à l’alimentation du canal ? Grâce à sa connaissance du terrain û sur lequel il avait longtemps prélevé la gabelle û Riquet va trouver une solution. Il détournera et unira une série de rivières et ruisseaux au moyen d’un ouvrage en pierre de trois mètres de large, le plus grand canal d’Europe au xviie siècle. Ce coup de génie lui permettra d’élaborer son projet de canal de 240 kilomètres de long entre Toulouse et Sète.

Difficile d’imaginer aujourd’hui, alors que les bateaux de tourisme ont remplacé les péniches de marchandises, quel a été l’impact commercial et industriel de ce chef-d’£uvre de pierre et d’écluses. Toulouse n’étant plus à l’époque qu’à quatre jours de la Méditerranée. Une vraie révolution pour le transport du vin et des céréales.

Architecturalement parlant, le Canal n’a rien perdu de son lustre. Le plaisancier d’aujourd’hui, s’il est attentif, peut même retrouver à certains détails les fastes du Grand Siècle. Pour cause, la maçonnerie n’a pratiquement pas changé depuis trois siècles. Seuls les ouvrages de ferronnerie ont été remplacé… mais toujours à l’identique. On peut ainsi renouer avec une vision originale de l’ouvrage truffé d’astuces issues du compagnonnage.

Un périple émouvant

Traverser la campagne en la faisant à peine frémir. C’est un peu le sentiment qui domine lorsqu’en fin de journée on navigue le long des berges. Même le moteur û sorte de basse continue û ne dissipe pas l’impression de quiétude qui émane de la campagne environnante. Au fil de l’eau, les repères changent : les distances ne s’apprécient plus en kilomètres, les journées s’écoulent paisiblement, on s’arrête quand on le décide, on s’approvisionne au marché local…

Voguer le long du canal du Midi invite à la convivialité. A chaque écluse, une nouvelle histoire surgit. Dans ces petites maisons qui jouxtent l’eau, on ne sait jamais qui on va rencontrer : un étudiant en période de bloque, des écrivains en herbe, des passionnés de rivières ou un éclusier de père en fils. Alors que l’eau se déverse lentement, engager la conversation se fait le plus naturellement du monde. On ne refait pas forcément le monde mais parler permet de rapprocher des existences venues d’horizons différents.

Pour les curieux, il reste à musarder au milieu des villes et des villages. On retiendra tout particulièrement Carcassonne, le chef-lieu de l’Aude en marge des Cévennes dont le mérite est d’avoir, autrefois, abrité les protagonistes de l’hérésie cathare. On ne saurait trop recommander aux marcheurs passionnés de culture de randonner le long de ces  » citadelles du vertige « , pour s’imbiber d’un des passages les plus brûlants de l’histoire de France.

Michel Verlinden

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