Fraîchement restaurées, les maisonnettes construites sur la petite île de Comacina par l’architecte rationaliste Pietro Lingeri sont prêtes à accueillir dès le mois de juin prochain des artistes et des designers belges en résidence. Tour du propriétaire.

Du balcon de la chambre, au premier étage de celle que l’on appelle la  » casa B « , on peut entrevoir le toit de la villa de George Clooney. L’acteur américain – qui a sans doute fait bien plus pour la promotion du lac de Côme que l’ensemble des offices de tourisme du coin – serait un habitué du pittoresque restaurant de la petite île de Comacina, annexée à la commune d’Ossuccio. Une île qui fut pour quelques mois la propriété du roi Albert Ier avant d’être restituée en 1930 à l’Italie. Un retour au pays scellé alors par un accord culturel entre les deux États. Jusqu’au milieu des années 90, des artistes belges sont venus s’y ressourcer, l’été, dans deux des maisonnettes conçues par l’architecte rationaliste Pietro Lingeri. Laissées à l’abandon pendant plus de quinze ans, les résidences viennent d’être restaurées.

Si l’Italie s’est chargée du gros £uvre, l’architecte et designer bruxellois Alain Berteau s’est vu confier par la fondation Comacina le soin de meubler les espaces. Avec un budget réduit à sa plus simple expression.  » Il y a six mois, on m’a fait suivre le mail du consul général de Belgique à Milan, François Cornet d’Elzius, rappelle celui qui est désormais le curateur design du projet pour trois ans. L’idée de départ étant de demander aux designers d’offrir des pièces pour meubler les maisons. Je me suis d’abord énervé. Pour moi, c’était le monde à l’envers. Les institutions censées aider les créateurs faisaient appel à eux gracieusement comme s’ils avaient des dizaines de milliers d’euros à leur disposition. J’ai écrit au consul. Il m’a rappelé. Et m’a convaincu de venir voir les travaux. J’ai découvert l’endroit en chantier et sous la pluie. Mais malgré cela, c’était magnifique. « 

L’architecte se laisse convaincre et se met en quête de partenaires commerciaux prêts à offrir des meubles et des objets.  » Tous ont en commun d’être fabriqués par une entreprise belge ou d’avoir été conçus par un designer de chez nous « , précise Alain Berteau. C’est ainsi que l’on retrouve dans les armoires des casseroles de l’architecte britannique John Pawson créées en 2008 pour le centenaire de Demeyere aux côtés d’un service de table de Piet Stockmans récupéré in extremis chez Royal Boch. Au-dessus de la table de salon de la casa B trône la lampe Print de Sylvain Willenz pour Established & Sons. Dans la casa C, c’est une grappe de ses Torch – un best-seller chez E&S – qui éclaire le séjour. Des chaises de Maarten Van Severen pour Vitra côtoient des rééditions de Jules Wabbes pour Bulo.  » Je voulais doter ces maisons du meilleur du design belge, passé, présent et futur, ajoute Alain Berteau. Composer un mélange classique-moderne efficace et intelligent. C’est un exploit d’avoir réussi à tout boucler en quelques mois pour que ce soit viable.  » La sélection, acheminée en camion jusqu’à Ossucio grâce au soutien de WBI (Wallonie-Bruxelles International) et de son pendant flamand Kunsten en Erfgoed, est finalement arrivée sur l’île en hélicoptère !  » Heureusement, nous avons réussi à limiter la casse au maximum « , sourit Alain Berteau.

Vu l’urgence, le Bruxellois a d’abord fait appel à ses propres clients, ce qui explique en partie qu’une majorité des objets qui peuplent les villas soient à ce jour signés de son nom.  » Mais rien n’est figé, se défend-il. L’aménagement est en constante évolution. Nous sommes installés dedans depuis quelques jours et nous nous rendons compte aussi de ce qui manque. C’est un lieu de vie, de création. Pas un showroom, ni une chambre d’hôtel. Il faut que cela reste un peu dépouillé malgré tout. Qu’un dialogue s’installe entre les meubles et cette architecture d’un modernisme tardif, à la fois très pure et un peu lourde si l’on se réfère aux matières qui sont utilisées. « 

Alain Berteau a également développé des projets spécifiquement pour l’isola Comacina. Avec Pierre Daems, designer in house chez Obumex, il a imaginé des petits modules compacts, inhabituellement peu profonds – 37 cm à peine au lieu des 60 prévus d’ordinaire – pour les microcuisines de 3 m2. Avec Jaga, il a conçu des radiateurs électriques mobiles en forme de tables basses ou de lampes. Des sources de chaleur d’appoint à utiliser en complément du feu ouvert du living-room.  » Pour l’instant, il s’agit de prototypes, explique Yves Roemen, project manager chez Jaga. Mais il n’est pas exclu qu’ils fassent un jour partie de nos collections. « 

Accessibles aux visiteurs du Salon du meuble de Milan, du 11 au 14 avril dernier – une expérience qui devrait se renouveler encore dans les deux années à venir -, les résidences s’apprêtent à revenir à leur fonction première. En alternance, Communauté française et Communauté flamande se verront attribuer chaque année l’une des deux casas. Côté francophone, c’est au WBI (Wallonie-Bruxelles International) que reviendra la gestion de l’occupation des lieux de juin à septembre prochain. Une première liste d’artistes – plasticiens, photographes, musiciens… – sélectionnés sur la base d’un appel à projet sera bientôt finalisée.  » Toutes les disciplines artistiques sont concernées, insiste Aboubacar Charkaoui, responsable des relations bilatérales avec l’Italie pour WBI. Il n’y a pas non plus de limite d’âge.  » Pour sa part, le Centre bruxellois de la mode et du design prévoit d’envoyer également un designer pendant un mois en fin de saison.  » La localisation est idéale pour celui ou celle qui souhaite prendre des rendez-vous avec des industriels italiens et concrétiser ainsi des projets d’édition « , souligne Alexandra Lambert, coordinatrice du Centre. Des appels à candidature seront bientôt lancés. L’inauguration officielle aura lieu ce 31 mai.

Par Isabelle Willot

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