Emmerdeur : personne particulièrement embêtante, soit ennuyeuse, soit agaçante et tatillonne. Terme s’accordant, malheureusement, souvent au pluriel dans la vie quotidienne… Le petit guide de survie de Weekend.

François Pignon. Un nom qui résume à lui seul l’emmerdeur type. Plus facile de se débarrasser d’un sparadrap dopé au Super U. Plus on est désagréable, plus il s’attache. Plus on s’énerve, plus il nous fait culpabiliser. Tout droit sorti de l’imagination du réalisateur français Francis Veber, ce personnage, véritable plaie ambulante, revient dans L’Emmerdeur sous les traits de Patrick Timsit.  » Ce François Pignon-là fait partie de la pire des races d’emmerdeurs, souligne le comédien. Il ramène tout à lui, il veut que l’on ne s’intéresse qu’à ses problèmes. Circonstance aggravante, il ne lâche jamais. Quand ce personnage croise la route d’un tueur, on se retrouve dans un comique de situation, celui que je préfère : la rencontre de deux personnages totalement antagonistes qui n’ont rien à faire ensemble.  »

Si ce rapprochement est effectivement jouissif sur grand écran, il l’est nettement moins dans la vie réelle. Or, rares sont les chanceux qui n’ont pas dû faire face à un emmerdeur de première. Les statistiques jouent contre nous : les personnalités difficiles sont estimées à 10 % dans la population adulte (1).  » On trouve des sales cons dans toutes les professions et dans tous les pays, écrit Robert Sutton, professeur de management à la prestigieuse université de Stanford, dans son ouvrage au titre évocateur Objectif Zéro-sale-con (2). Quel que soit le terme utilisé pour les désigner, beaucoup d’entre eux n’ont même pas conscience de l’être. Pis encore, certains en sont fiers. D’autres sont gênés et regrettent leur comportement mais sont incapables de se maîtriser. Tous ont en commun, toutefois, d’exaspérer, d’humilier et de blesser leurs pairs, leurs supérieurs, leurs collaborateurs et, parfois, les clients.  »

Et c’est bien là le hic : l’emmerdeur n’est pas si simple à calibrer. Parce qu’il se décline sous plusieurs formes. Comme le souligne Francis Veber avec ses François Pignon : timide et suicidaire dans Les Compères ; odieusement maladroit dans Les Fugitifs ; d’une bêtise incommensurable dans Le Dîner de cons ; fade et déprimant dans Le Placard ; naïf dans La Doublure… et manipulateur dans L’Emmerdeur. Idem sur notre lieu de travail : les sales cons n’utilisent pas les mêmes armes. Certains manient l’agressivité alors que d’autres usent et abusent de l’hypocrisie, de l’humiliation ou du mépris.

 » Les sales cons sont terriblement destructeurs parce qu’ils minent l’énergie et l’estime de soi de leurs victimes par l’accumulation de petits actes mesquins, plus que par un ou deux éclats spectaculaires « , avance Robert Sutton. Alors comment différencier une personne avec laquelle on a peu d’atomes crochus et un sale con certifié ? Deux critères permettent cette distinction :  » Après avoir parlé avec un sale con, on se sent agressé, humilié, démoralisé ou rabaissé, poursuit l’enseignant américain. On se sent encore plus nul. De plus, la cible s’attaque de préférence aux  » plus petits « , aux personnes moins puissantes qu’elle. De façon générale, si quelqu’un, partout où il passe, laisse dans son sillage une longue liste de victimes, il mérite la certification de  » sale con « .

Or, à long terme, cette présence nuisible peut provoquer un véritable désastre. Tant pour la victime, que pour l’entreprise. Les études psy dans le domaine du harcèlement moral s’accordent toutes sur ce point : la présence d’emmerdeurs au sein d’une entreprise est contre-performante. Non seulement, la méchanceté a un impact cinq fois plus important que la gentillesse (3), mais elle est, en plus, contagieuse. À force de côtoyer des personnes irascibles, on finit par le devenir. C’est parti pour le cercle vicieux.

Pourtant les dommages causés (rotation plus importante du personnel, absentéisme, motivation amoindrie, perte de concentration, fléchissement de la performance individuelle), l’énergie déployée et le coût total pour réparer ces dégâts sont souvent sous-estimés par le département des ressources humaines. Trop de responsables ferment les yeux sur ces comportements méprisants, et ont tendance à conserver ces  » connards talentueux « . Oui, mais avec quelles conséquences hautement dommageables ? Se priver d’une ambiance sereine et conviviale où le respect mutuel prime. Soit un cadre nettement plus productif in fine…

Message reçu. Les sales cons, c’est pas bon. Mais comment se débarrasser de cet emmerdeur lorsqu’il s’est déjà immiscé sur notre lieu de travail ? Ou pis encore, s’il est notre employeur ? Démissionnez, serait le conseil le plus logique. Mais pas toujours réaliste.  » Si vous ne pouvez pas quitter votre travail, faites tout votre possible pour limiter les contacts avec les spécimens les plus dangereux, suggère Robert Sutton, réduisez au plus strict minimum les réunions avec des sales cons connus, répondez à leurs questions aussi lentement et rarement que vous le pouvez, et lorsque vous ne pouvez pas les éviter, faites en sorte que les rencontres soient les plus brèves possibles. « 

Ensuite, appliquez la stratégie du  » Chaudron de Satan  » qui comporte deux éléments clés pour préserver votre santé physique et mentale. Primo, recadrez la méchanceté (détachez-vous émotionnellement des remarques acides de vos collègues, cessez de culpabiliser, devenez indifférent et espérez le meilleur tout en vous attendant au pire). Secundo, concentrez-vous sur les petites victoires quotidiennes qui permettent de gagner un peu de contrôle et de conserver la confiance en soi. Ainsi, votre santé mentale ne sera pas atteinte. Vous serez invincible dans votre bulle pour traverser la tempête qui se déchaîne autour de vous.

Si par contre, vous êtes à la tête d’un département, c’est à vous qu’il convient de vous débarrasser du spécimen nuisible en question. Même s’il est talentueux. Pour vous aider dans cette tâche ardue, réalisez la classique colonne  » des plus et des moins « . Vous verrez rapidement que la colonne des moins l’emporte. De loin. Et puis, surtout, vous vous apercevrez que  » lorsqu’un emmerdeur patenté quitte enfin l’entreprise, le soulagement est palpable « . À tel point que tout le monde se demande pourquoi cette décision n’a pas été prise plus tôt…

(1) Selon le psychiatre François Lelord, cité dans l’article de Corine Moriou sur www.lentreprise.com

(2) Paru aux éditions Vuibert, 2007.

(3) Selon l’étude Mood and its correlates at work, réalisée par A. Miner, T. Glomb et C. Hulin en 2005. Dans le Journal of Occupational and Organisational Psychology, 78, 171-195.

Valentine Van Gestel

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