Découvrez le Kenya » out of tracks «
Berceau de l’humanité et carrefour des peuples de l’Afrique de l’Est, le Kenya est depuis les premiers matins du monde un éden voué à la faune. Malgré son succès, on peut encore le découvrir de façon confidentielle. En route pour un safari » out of tracks » (loin des pistes). Attention, adresses inédites !
Sans prévenir, Chris Brennan a coupé net le moteur de la Jeep. Tout est calme. L’aube rose s’arrache au mystère de la nuit africaine. L’air frais trouble à peine les acacias isolés. Là où l’oeil du profane se perd sur la poussière du sentier, il a repéré quelque chose. Son doigt pointe une imperceptible trace dans le sable. » Simba, explique-t-il en swahili. C’est un lion, un jeune mâle. La trace est fraîche. Il a dû passer il y a deux heures tout au plus. Il doit être solitaire et affamé pour prendre ce genre de chemin de traverse « . Dans la Jeep, un silence émerveillé accueille ses paroles. Les jumelles parcourent l’horizon. Tout autour, ce ne sont que grandes étendues de pâturages et collines bien rondes. Les environs prennent pourtant une autre perspective : dire que le fauve somnole peut-être derrière le prochain buisson. La tension monte. Et avec son physique à la Hemingway, le guide pimente encore l’atmosphère unique de ce safari qui prend des allures de traque.
Alors qu’il vit à l’année dans le bush, on pourrait s’étonner de voir Chris s’extasier devant l’empreinte d’un félin. Pourtant, la découverte n’a rien de banal. » Au Kenya, il est plus facile de voir des lions que leurs traces « , ironise le guide en bon citoyen britannique. Par cette remarque, il met en évidence les contradictions d’un safari sous ces latitudes. Depuis un certain nombres d’années, le Kenya s’est engagé dans une politique favorisant les revenus du tourisme de masse. Tout a été mis sur pied pour attirer le grand nombre : infrastructures bon marché et protection stricte de la faune. Les grands parcs animaliers se sont ainsi peu à peu transformés en » usine » de la vie sauvage. Le succès, les animaux et les voyageurs sont bien entendu au rendez-vous, mais c’est un peu l’âme du safari qui s’en est allée.
Dans le Masaï Mara, par exemple, les minibus font la file pour emmener les touristes observer un léopard assoupi, bien rodé au bruit des moteurs. Dans ce contexte, exit les traces de pattes : les sentiers ne portent plus que les empreintes des différentes marques de pneu. » C’est devenu un véritable privilège que de pouvoir découvrir les animaux selon une gradation logique, reprend Chris. Celle qui a toujours été à l’oeuvre dans les contacts hommes – animaux. D’abord la trace, ensuite le cri et enfin le fauve. Dans les réserves, la plupart du temps, sans transition, on se retrouve face à face avec la faune. Il n’y a plus de place pour la patience et pour l’imagination. «
Après être descendu du 4 x 4 pour examiner le détail de la trace, la traque se poursuit. Malheureusement, la piste se perd dans le dédale serré de la savane. De toute façon, le soleil est maintenant trop haut et la chaleur trop forte. Il faut rentrer au lodge. La sieste est de rigueur car la lumière et la canicule, avant quatre heures de l’après-midi, écrasent tout : paysage, hommes et animaux.
Ce n’est que partie remise. A l’heure où se couche le soleil, Chris propose un » game drive » (safari) de nuit. Enroulés dans de chaudes couvertures, il s’agit d’aller observer en Jeep la vie nocturne de la faune. Armé d’un spot, Daniel, un jeune Masaï, balaie la brousse à la recherche d’un reflet indiquant la présence d’yeux sauvages. Mis au courant de la découverte du matin, il choisit d’inspecter un coin de brousse jouxtant une » manyatta » (un village provisoire) masaï. Il sait que l’odeur du bétail finira tôt ou tard par attirer le félin dans ce coin. En effet, il ne faut pas longtemps pour apercevoir les flancs creusés du chasseur solitaire. Médusé par la lumière, le lion se laisse approcher presque à portée de main avant de battre en retraite.
S’engage alors une course poursuite entre le chauffeur et l’animal. Le but de la manoeuvre n’étant pas seulement l’observation. » Il faut l’éloigner du village masaï « , martèle Daniel, soulignant par là l’équilibre précaire entre vie sauvage et populations locales. » Car il risque de s’en prendre aux vaches. S’il parvient à ses fins, les Masaï ne lui feront pas de cadeau. »
Après avoir repoussé le lion suffisamment loin, le guide prend la route du retour. Hyènes, hiboux et gazelles endormies agrémentent le trajet. La soirée se termine au coin du feu à évoquer la journée riche en émotions avec le rire des hyènes pour bande-son.
» The bush for yourself «
En réaction au tourisme de masse, plusieurs initiatives privées se sont développés afin de prouver qu’une communion avec la nature, dans le silence et la solitude, est encore possible au Kenya. Le domaine qu’exploitent Chris Brennan et sa compagne, Tamsin Corcoran, en est la meilleure preuve. Situé dans les montagnes de Chyulu, entre le parc national d’Amboseli et celui de Tsavo, le lodge Ol Donyo Wuas s’étend sur un sanctuaire privé de près de 85 000 hectares. Et cette vaste propriété est totalement à l’abri des flux touristiques. Le cadre est inouï : une succession de plaines et de montagnes qui s’ouvrent au loin sur le Kilimandjaro. Quand le temps est clair, celui-ci domine majestueusement le panorama.
Perdu au milieu de nulle part et à des heures de pistes de toute civilisation, Ol Donyo Wuas plonge les visiteurs dans un rêve façon » Out of Africa « . Ici, il est encore possible de s’imaginer pionnier dans une nature vierge : on passe en effet plusieurs jours de safari sans croiser qui que ce soit. » Here, you really have the opportunity to have the bush for yourself » ( » Ici, vous avez vraiment l’occasion d’avoir la savane pour vous tout seul « ), commente un visiteur anglais dans le Guest Book du domaine.
Construit en 1985, l’endroit est né du projet d’un pilote, Richard Bonham, dont la famille était installée depuis trois générations au Kenya. Après avoir prospecté loin des sentiers battus, Richard a eu un coup de coeur pour les pentes montagneuses des Chyulu Hills. Il a mis deux ans pour négocier les terres et obtenir des Masaï une collaboration. » L’intention n’était pas d’arracher le territoire aux locaux, précise Tamsin. Il fallait que ceux-ci soient impliqués dans le projet si l’on voulait garantir le long terme. Avant que cela soit en vogue, Ol Donyo Wuas a été le premier lodge à intégrer le respect de l’environnement et celui des communautés indigènes. Richard a imaginé un tourisme intelligent qui permet aux Masaï de gagner de l’argent afin de préserver leur héritage, c’est-à-dire leur façon de vivre. «
Le plus étonnant est sans doute le confort offert par les sept » cottages » qui constituent le lodge. Un raffinement qui attire des hôtes prestigieux : récemment la famille royale suédoise est venue se ressourcer à Ol Donyo Wuas. La décoration impeccable est entièrement réalisée avec des matériaux trouvés sur place. Structures en bois et toits de paille permettent à l’ensemble de se fondre harmonieusement dans la nature. Conçu pour accueillir au maximum quatorze personnes, l’endroit se prête aux atmosphères confidentielles. Les chambres, ouvertes sur le bush, permettent d’observer antilopes et singes vervets depuis le lit. La nuit, aucune fenêtre pour empêcher les rugissements réguliers des lions de bercer les visiteurs.
Une série d’activités, toute en prise directe sur le nature, offre des perspectives variées. Le » bush breakfast » est un moment unique. A cheval – même si l’on n’en a jamais fait -, à pied ou en 4×4, il s’agit de se lever tôt pour sillonner le bush pendant deux heures. Là, au bout de l’effort et face à l’immensité du paysage, une table de petit déjeuner offre oeufs, bacon, jus d’oranges pressées et toasts aux ventres creux. Le concept est décliné à souhait : » bush picnic « , » sundowner » (apéritifs), » bush dinner « … Comme il s’agit d’une propriété privée, ici pas de pistes obligatoires, pas d’interdiction de descendre de Jeep, pas d’horaires.
Chez les Masaï
En remontant au nord de Nairobi, à travers le pays Kikuyu, on bute sur les étages couverts de neige du mont Kenya. Cette montagne magistrale, située près de l’équateur, abrite Il Ngwesi, un autre lodge extraordinaire, » Il Ngwesi « . Y parvenir permet de s’initier à la diversité des paysages qu’offre l’Afrique de l’Est. Le Rift, cette gigantesque dépression constituée de fossés d’effondrement qui s’étendent du Liban au Mozambique, est la base même de cette variété de panorama : volcans couronnés de neiges éternelles, lacs sodiques, sources chaudes, lambeaux de forêt équatoriale, hauts plateaux frais…
La route jusqu’au lodge est longue et exténuante. Deux heures de pistes difficiles avec au bout un escalier en terre battue qui semble monter vers nulle part et qui pourtant débouche sur une vue à couper le souffle. Seul, face à la savane, on oublie aussitôt le trajet en se disant que tant de beauté doit se mériter. Les difficultés ne sont-elles pas à la mesure de la solitude et de la beauté ?
Il Ngwesi est un projet palpitant, véritable modèle d’écotourisme. Pour preuve, l’endroit a reçu le célèbre et prestigieux British Airways Ecotourism Award couronnant les endroits les mieux écologiquement intégrés de la planète. A la base, pourtant, un problème quasi insoluble : celui du conflit entre les valeurs des Masaï – le bétail comme signe de richesse ainsi que la chasse des animaux sauvages comme tradition – et la conservation de l’environnement. Longtemps maîtres incontestés des grandes savanes, les tribus masaï ont dû adapter leur mode de vie. Autrefois, elles se déplaçaient de façon saisonnière avec leurs troupeaux suivant les pluies comme la migration. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Avec une population de plus en plus sédentaire, des signes de surpâturage et d’érosion émergent tout autour de leurs terres. Les herbivores sauvages sont ainsi de plus en plus en compétition avec le bétail, toujours plus nombreux.
C’est précisément à force de pâturages que le clan de Masaï qui gère Il Negwesi – des Ndorobo, soit l’une des dernières tribus de chasseurs-cueilleurs – s’est vu menacer par la déforestation et la disparition de la vie sauvage. Confronté à cette réalité, ils ont, avec l’aide d’une grande famille de propriétaires terriens, élaboré une nouvelle façon de subsister grâce au tourisme. Désormais, dans l’optique du lodge, un animal sauvage vaut bien plus vivant que mort. La conservation de la faune et la flore est devenue l’intérêt bien compris de tous : les revenus du tourisme profitent entièrement à la communauté.
Les Masaï ont conçu un lodge aux lignes parfaites. Un architecte d’intérieur français les a aidé à l’aménager de façon optimale. Construites uniquement avec des matériaux locaux, quatre bandas (huttes) couvertes de toits de chaume mêlent terre battue ocre et bois d’olivier sauvage. Un architecte d’intérieur français les a aidé à concevoir ce lieu de façon optimale. Sans fenêtres, les chambres offrent un lit – sculpté dans le bois -, une douche et même des toilettes directement ouvertes sur le bush. Aucune tuyauterie, aucun fil n’est apparent, tout est dissimulé dans des branches creuses de bois brut. A ce point élégantes, les chambres ont récemment séduit le prince William qui y a passé quelques jours en toute tranquillité.
Tout dans la gestion de cet endroit unique a été habilement pensé. D’abord, le type de location. Pour préserver le caractère intime de l’endroit, le lodge et ses quatre huttes ne peuvent être loués que par un seul groupe à la fois, qu’il s’agisse d’un couple, d’une famille ou de plusieurs amis.
Le nombre maximum d’hôtes est fixé à dix-huit. De même, à cause de l’éloignement, le lodge fonctionne selon le principe du » self catering « : il faut apporter soi-même la nourriture que d’excellents cuisiniers locaux valorisent superbement.
Mais le plus fabuleux est incontestablement de partager ce lieu avec les hôtes masaï qui multiplient les attentions. Les suivre en brousse pour un safari à pied ou à dos de chameau est une aventure inoubliable. Connaissant les moindres recoins du bush, ils n’ont pas leur pareil pour traquer le grand koudou ou un troupeau d’éléphants. Disposant d’une ouïe et d’une vue hors du commun, ils sont les meilleurs professeurs de l’environnement que l’on puisse imaginer.
On peut encore marcher sur les traces de la vie sauvage au Kenya, loin des foules. De tels lieux le prouvent. Mieux, à Il Ngwesi, on peut encore se réveiller face au soleil levant en ayant l’impression d’assister au premier matin du monde.
Guide pratique en page 92.
Michel Verlinden
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