Fraîche compagnie

Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Pendant l’été, Le Vif Weekend zoome sur ceux qui ont choisi la Belgique. Episode 3/7 : Mary Fehily. Aussi infatigable et exigeante que rebelle, c’est bien de l’Irish blood qui coule dans les veines de cette pionnière du néo-lunch à Bruxelles.

Elle est née à Dunmanway, petite bourgade à l’ouest du Comté de Cork. Là où l’océan Atlantique gifle la côte à longueur de journée. Elle y a passé les quinze premières années de sa vie, avant que l’épicerie de ses parents ne fasse faillite. Quinze années heureuses d’une vie simple et campagnarde. Après le déménagement à Dublin, tout fut moins drôle, à un âge – l’adolescence – où l’on se cherche. Avant de savoir qui elle veut être, Mary Fehily décide de ce  » qu’elle ne veut pas devenir « . Bon sang irlandais ne saurait mentir, elle se choisit libre et indépendante. De l’exemple de sa mère pas toujours heureuse, elle a retenu que le système n’aurait pas sa peau. Pas de mariage arrangé, pas de compromis faits à ses désirs les plus profondsà Cela, même si, à l’école, la machine à formater tourne à plein régime : on lui apprend à coudre et à faire la cuisine.  » Je tiens de mon pays l’idée qu’il faut se battre pour ce que l’on veut. L’Irlande a souffert et a été dominée. Je suis née avec un grand pouvoir de résistance en moi. J’ai hérité de cette histoire douloureuse que je porte dans mes gènes. Je suis incapable de regarder The wind that shakes the Barley, le film de Ken Loach sur la guerre civile.  »

A 18 ans, Mary découvre la Belgique en tant que jeune fille au pair, un petit boulot qui rapidement la lasse. Elle met alors le cap sur Londres. Ses 20 ans swinguent dans cette ville en pleine effervescence : nous sommes au début des années 70.  » Avec mon tempérament excessif, cela ne pouvait que faire des étincelles.  » Peace, love, contre-culture, dealers, mauvaises fréquentationsà et surtout un très prévisible bad trip qui finit en dépression nerveuse. Retour à la case départ, l’Irlande, pour gommer ce breakdown.

Retapée, Mary revient à Bruxelles et s’y installe définitivement avec son mari. Elle bosse au Scheltema. À l’époque, l’adresse est mythique, même Mick Jagger y passe. Le virus de la restauration la gagne. Puis, au début des années 80, vient une opportunité sous la forme d’un sous-sol situé en dessous d’un coiffeur branché de l’avenue Louise. Mary signe pour y popoter une  » cuisine selon son instinct « . Salades variées, pains de viande, sandwichs travaillés, elle lance un style 100 % perso à une époque où la pêche au thon et le jambon-beurre squattent le repas de la mi-journée. L’air de rien, elle a dix ans d’avanceà et une cohorte d’inconditionnels. A 39 ans, elle passe son permis et lance The Fresh Company, traiteur atypique mais aussi première néo-cantine bruxelloise à donner ses lettres de noblesse au déjeuner. La formule fait mouche : selon ses humeurs, le chef propose un assortiment de mets chauds et froids à juxtaposer sur l’assiette.

Au début des années 2000, sous la pression des adresses qui se sont engouffrées dans la brèche d’un repas de midi sain et rapide, Mary redéfinit son concept.  » A 50 ans, ou je me renouvelais ou je changeais de mari « , sourit cette boule de nerf qui commence ses journées à 4 heures du matin. Elle passe la vitesse supérieure en s’inspirant de la cuisine des chefs étoilés. Formation chez Ducasse et fréquentation intensive des meilleurs restaurants : L’Air du Temps, La Frairie, Lemonnierà Elle opte pour des préparations restituant, dans une version simplifiée, les harmonies de ce qui se fait de meilleur. Pareil pour la déco de son restaurant de la rue Lesbroussart, dont elle confie les lignes à une architecte d’intérieur qui tapisse le tout de wengé et de banquettes en tissu classieuses. Cette version 2.0 consacre définitivement The Fresh Company néo-lunch bruxellois de référence et traiteur du  » beau monde  » – parmi lequel Mary a  » la fierté  » de compter l’ambassade de son pays. Un parcours  » no regret  » aime à commenter celle qui se voit comme un  » black sheep  » -un mouton noir – que seule la bouille de son petit-fils de 2 ans parvient à apaiser.

Carnet d’adresses en page 40.

Michel Verlinden

Je tiens de mon pays l’idée qu’il faut se battre pour ce que l’on veut.

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