Pour lancer les fragrances de la rentrée, les marques sortent le grand jeu : stars ultraglamour, pubs en version  » director’s cut « , making of soignés, bande-annonce et effets spéciaux à vous laisser baba ! Décryptage avec Philippe Reynaert.

Entre l’industrie du parfum et l’univers pailleté des stars hollywoodiennes, c’est une histoire d’amour qui dure. Et le divorce, si l’on en croit la salve de spots des nouvelles fragrances de la rentrée, n’est pas près d’être consommé.  » Lorsqu’il s’agit de vendre une lessive, on peut venir avec des arguments de prix, d’efficacité, justifie Philippe Reynaert, directeur de Wallimage ( NDLR : le fonds régional d’investissement dans l’audiovisuel de la Région wallonne). Avec le parfum, on est dans la séduction pure. Et quoi qu’on en dise, la séduction, cela ne va pas de soi, c’est une affaire de stratégie, de construction aussi. Aujourd’hui, nous sommes bombardés par des images brutes, impudiques, non éditées. Un bon moyen, pour les publicitaires, de se différencier du flux de YouTube, c’est justement de proposer du glamour, d’utiliser un langage construit. Ce que fait très bien le cinéma.  »

Pour donner encore plus de crédits – dans tous les sens du terme – à leurs films publicitaires, Gucci et Yves Saint Laurent n’ont pas hésité à mettre le paquet pour s’offrir les services de Nicolas Winding Refn, la nouvelle coqueluche du cinéma indé, primé à Cannes en 2011 pour Drive. Invité par la maison italienne au lancement de son nouveau jus, Gucci Première, l’homme se prête d’ailleurs d’assez bonne grâce à l’exercice imposé du junket ( NDLR : une interview chronométrée) comme s’il s’agissait pour lui de défendre son dernier long-métrage.  » Je n’ai jamais eu d’envie particulière de tourner une pub, lâche-t-il, caché derrière des lunettes fumées sensées masquer les excès festifs de la veille ( lire son interview en page 72). Je fais les choses qui m’excitent. C’est tout. Dans le cas du spot pour Gucci, il se fait que oui, c’est une pub. Mais à mes yeux, c’est avant tout un court-métrage dans lequel je partage ma vision d’un certain Hollywood, celui des années 20 qui nous fascine encore et toujours.  » Pour vendre la version longue (82 sec) de son spot – qui n’est pas celle, presque trois fois plus courte, qui passe en ce moment à la télévision -, Gucci n’hésite d’ailleurs pas à parler de  » director’s cut  » comme le font les studios de cinéma lorsqu’il s’agit de mettre en avant le travail original de leurs auteurs.

 » Quant aux jeunes actrices qui se retrouvent à tourner, ainsi, plusieurs jours, avec un réalisateur prometteur, comme Nicolas Winding Refn, on ne peut pas rêver mieux comme casting, poursuit Philippe Reynart. Leurs noms se retrouvent associés dans un film qui se doit d’être réussi. Aujourd’hui, être le visage d’un parfum, cela s’écrit en grand sur un CV, c’est le signe qu’on y est arrivé, d’une certaine manière en tout cas. L’expression n’est d’ailleurs pas innocente : si Blake Lively ou Jessica Chastain deviennent le visage de Gucci Première ou de Manifesto d’Yves Saint Laurent, cela veut dire que la marque avant était désincarnée. Selon la fille qui sera choisie, on lui prêtera forcément une autre personnalité. « 

Tournée en février 2012 à Hollywood, la campagne du nouveau parfum de Lancôme, La Vie est Belle, met en scène une Julia Roberts vêtue d’une robe blanche à tomber, comme prise au piège dans une soirée où tous les convives, prisonniers des conventions, apparaissent tels des pantins retenus aux chevilles et aux poignets par des fils de diamants. Mais la star, dirigée par Tarsem Singh avec lequel elle vient d’ailleurs de travailler dans Mirror Mirror, une adaptation humoristique de Blanche-Neige, ne s’en laisse pas conter et brise ses liens pour mieux assumer son destin de femme libre. Ici, comme Chanel l’avait déjà fait par le passé en réunissant Audrey Tautou et Jean-Pierre Jeunet, Nicole Kidman et Baz Luhrmann, Keira Knightley et Joe Wright, même si l’on sort le grand jeu, c’est avant tout la carte de la complicité entre la star et son réalisateur fétiche qui est jouée.  » L’annonceur se dit que vous avez aimé les voir travailler ensemble, décrypte Philippe Reynaert. Il vous offre un petit supplément qui vous met en appétit, vous donne envie en tout cas d’aller voir un certain cinéma, d’aller voir des films qui vous en mettent plein la vue. Bien sûr, ce n’est pas tout le cinéma. Mais toutes les pubs non plus ne le permettent pas.  »

Si l’on veut de l’action c’est, sans surprise, vers le rayon homme qu’il faudra se tourner. Après les surfeurs de l’extrême de Kathryn Bigelow – première femme à recevoir l’Oscar du meilleur réalisateur en 2010 pour Démineurs – pour Allure Sport Extrême de Chanel, Prada a choisi de faire de son voilier de compétition, le Luna Rossa, la star du film publicitaire de son nouveau parfum masculin qui porte aussi le nom de son bateau. L’équipe sera sur la ligne de départ de la 34e édition de l’America’s Cup. C’est d’ailleurs Nick Hutton, son  » vrai  » régleur de voile, qui prête son visage à la campagne photo. Pour les besoins du spot, tout l’équipage se retrouve au c£ur d’une bataille contre les éléments. Le tournage n’a pas eu lieu en mer mais dans les célèbres studios Downey, à Hollywood, chers à Steven Spielberg et David Fincher. Une prouesse technique que Prada a bien pris soin de documenter en tournant un making of aussi spectaculaire que la pub elle-même.

 » Dans les années 80, les publicitaires fournissaient déjà des making of à leur client pour l’épater et surtout le convaincre qu’il en avait pour son argent, constate Philippe Reynaert. En montrant qu’ils avaient eu recours aux services de 40 techniciens, qu’ils avaient dû construire un décor invraisemblable, ils démontraient à l’annonceur qu’il a eu raison de travailler avec vous. Aujourd’hui, c’est à l’acheteur potentiel que l’on va tenter de démontrer qu’il s’apprête à craquer pour un produit star. « 

Pour cet ancien pubard qui aime se définir comme un  » militant cinématographique « , les films – qu’ils soient publicitaires ou non – sont devenus des produits à vendre, à grand renfort de teasers et de making of.  » Plus de 80 % des gens qui vont au cinéma se décident dans la file d’attente, assure Philippe Reynaert. S’ils ont vu une bande-annonce, s’il y a eu du buzz bien orchestré autour d’un film, il y a des chances qu’ils iront voir celui-là.  » Un choix presque aussi impulsif finalement que l’achat d’un jus dans une parfumerie.

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PAR ISABELLE WILLOT

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