Il suffit d’une goutte de soleil à l’épi de joie

Lisette Lombé © karel duerinckx

Lisette Lombé se promène sur le même bitume que tout le monde… mais son regard y distingue d’autres choses. Elle nous livre ici ses humeurs poétiques.

Chaque fois que je partage des textes poétiques sur une scène, en extérieur, en Belgique, je ressens une certaine admiration pour la témérité des personnes qui choisissent d’organiser des événements totalement dépendants des conditions météorologiques. Rien qu’à l’idée qu’une drache pourrait ruiner des mois d’investissements en temps, en énergie, en argent, ça me fait frissonner. Si je devais travailler de ce côté-là de la barrière, j’aurais l’impression de participer à une loterie géante et de ne rien pouvoir contrôler. Il n’y a décidément que dans les films romantiques que se faire rincer par une averse est sexy.

Je ne fais pas partie des gens qu’une « petite pluie » n’effraye pas. La liste est longue de ce que j’associe de négatif à la pluie. Je n’ai probablement pas dû écumer assez de festivals lorsque j’étais jeune. Je déteste le froid, je déteste les chaussettes mouillées, je déteste la boue et l’humidité. Je déteste ces premières gouttes qui annoncent que la fête est finie. Je regarde avec tristesse les gradins, les allées, les espaces pour se restaurer se vider. On court se mettre à l’abri, on s’agglutine sous les tentes, on maudit l’été pourri. En deux secondes, on oublie la distance sanitaire quand il s’agit de se protéger de cette pluie-là… Sardine parmi les sardines, on se met à parler une langue truffée de formules toutes faites, une langue qui dit beaucoup de nos âges respectifs, de notre pot commun d’expressions… Il n’y a plus de saisons! On ne sait plus comment s’habiller! C’est chaque fois pareil, c’est la dernière fois que je viens! Le dérèglement climatique, on y est! Je ne finirai pas mes jours en Belgique, c’est certain! On ne va pas se plaindre, quand même! Il y a des gens qui ont eu de l’eau jusqu’au- dessus de leur maison!

Je pense u0026#xE0; mes parents, u0026#xE0; leur couple mixte, u0026#xE0; la richesse et u0026#xE0; la complexitu0026#xE9; de ces rencontres de cultures.

Beaucoup d’artistes de mon entourage ont vu ainsi leur représentation en plein air devoir être annulée cet été. Par chance, pas moi. La dernière scène de septembre a même été baignée d’un soleil généreux et doux. Impression d’être bénie des cieux en passant ainsi entre les gouttes ou, plus prosaïquement, de remporter la timbale au bingo du bled. C’était beau de voir les enfants se rouler dans l’herbe et les parents détendus. C’était beau ces jeunes qui animaient avec brio une émission radio, leurs questions pertinentes, leur allant, leur lucidité sur la marche du monde. Beau aussi la succession des propositions artistiques, de la musique, de la danse, du chant, du théâtre. Le soleil donne envie de se poser, de prendre le temps, après la performance, après les échanges avec le public, après le débriefing, de prendre le temps de papoter, de boire, de manger, de savourer la chance d’être là, ensemble, de savourer les retrouvailles, simplement.

Ce jour-là, mon ticket pour un repas gratuit me permet de choisir de la cuisine africaine. Des mikate, beignets associés à mon enfance, au Congo, à Kinshasa, à ma grand-mère paternelle. Du poulet, du piment corsé, des bananes plantains. Je pense à mes parents, à leur couple mixte, à la richesse et à la complexité de ces rencontres de cultures. Je me sens comme à la maison, en plein coeur d’Ath. Le confinement a rendu encore plus essentielle la qualité de l’accueil. La manière dont nous attendons l’autre, dont nous préparons son arrivée avec soin, dont nous pensons à ses besoins avec attention dit aussi qui nous sommes.

Dans mon dos, il y a cette femme qui donne des conseils d’astrologie à son amie. « Même en amour, le duo capricorne-sagittaire fait des étincelles! Je ne suis absolument pas étonnée que ça foire avec ce gars! » Moi, je ne pourrai jamais parler de manière si catégorique de sentiments. Donner des conseils, c’est vertigineux, c’est prendre le risque d’empirer le mal. Comment ne pas projeter sa propre histoire sur l’histoire qui nous est confiée? Comment ne pas confondre nos désirs avec ceux d’autrui? Je suis dans la lune et lorsqu’on mange du piment corsé en étant dans la lune, on redescend vite sur terre. Je tousse. C’est suspect de tousser aujourd’hui. Je tousse plusieurs fois. Je bois une rasade de vin blanc pour faire passer. Ça m’apprendra à tendre l’oreille et à m’inviter ainsi dans les conversations des autres.

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