» La mode, ce n’est pas un sprint, mais un marathon « 

© Patrick Demarchelier

Delphine Arnault est directrice générale adjointe de Louis Vuitton et initiatrice du LVMH Prize. Une récompense créée en novembre 2013 au haut pouvoir attractif pour la jeune génération.

Votre prix peut se targuer d’avoir  » le plus beau jury du monde « …

Nous avons effectivement le plus beau jury du monde avec Nicolas Ghesquière, Karl Lagerfeld, Phoebe Philo, Umberto Leon, Carol Lim, J.W. Anderson, Maria Grazia Chiuri. C’est formidable qu’ils aient accepté de participer à ce jury et je pense que, pour les jeunes créateurs, d’être face à eux est un moment fort dans leur carrière, ils s’en souviendront.

Qu’est-ce qui vous touche chez Marine Serre, lauréate 2017 ?

On est très content que ce soit une femme qui ait gagné le prix LVMH, en plus une Française, c’est formidable. Ses créations ont un point de vue unique, mais il faut aussi voir comment le créateur communique sa vision de la marque. Sa présentation était excellente: elle fait preuve d’une grande maturité pour ses 25 ans, elle a vraiment sorti son épingle du jeu, c’était passionnant.

Cela se repère facilement un futur grand, une future grande ?

C’est toujours difficile, surtout que pour cette édition-ci, les huit finalistes étaient excellents. Nous avions reçu 1 200 dossiers, c’est déjà un exploit d’être arrivé en finale. Le but de ce prix est de repérer les jeunes créateurs et de les aider à se développer. Cecilie Bahnsen, l’une des finalistes, me disait que lors de la demi-finale au mois de mars dernier, à Paris, elle avait douze points de vente dans le monde et que depuis, elle en a trente-six. Ce prix augmente leur notoriété. Mais persévérer est gage de réussite. Par exemple, les Marques Almeida s’étaient déjà présentés l’année d’avant, mais ce n’est qu’en 2015 qu’ils l’ont emporté. De même Jacquemus, qui a reçu un prix spécial en 2016, alors que l’année précédente il n’avait pas gagné. C’est vrai que la persévérance est importante en mode, ce n’est pas un sprint, mais un marathon, un créateur qui se lance dans cette carrière le fera généralement toute sa vie.

Ce prix, c’est vous qui l’avez voulu, qui l’avez conçu, comment est née l’idée ?

En tant que leader de notre industrie, on trouvait qu’il était de notre responsabilité d’identifier les talents de demain et de les aider à se développer. Marine Serre va recevoir 300 000 euros, mais au-delà de cela, elle bénéficiera d’un mentorat, avec des équipes dédiées chez LVMH, qui vont contribuer à répondre à toutes les questions qu’elle peut se poser sur la production, les marges, les prix; si elle veut lancer des souliers; si elle veut protéger son nom et sa marque; si elle a des problèmes de comptabilité… Pour Marine, cette aide sera précieuse, car, pour l’heure, ils ne sont que deux dans sa société. Quand on est jeune créateur, on n’a pas les moyens d’avoir de grosses équipes… Ils sont donc obligés d’être polyvalents – être chef d’entreprise, gérer à la fois la création mais aussi toute la partie production industrielle, la trésorerie… D’autant qu’ils ont très souvent des problèmes pour ce dernier volet parce qu’il faut acheter les tissus avant d’être payé des livraisons, ils doivent donc avancer beaucoup d’argent. Je pense que le mentorat, avec des équipes dédiées de chez LVMH, peut vraiment les aider.

Vous avez également créé un prix  » diplômés « , lequel offre une bourse de 10 000 euros et la possibilité d’intégrer le studio de création de l’une des maisons du groupe durant un an. Pourquoi ?

Dans ce prix, il s’agit d’une sélection des meilleurs étudiants, ils sont trois, des jeunes diplômés qui n’ont pas encore fait de collection et qui intègrent ainsi un studio, parce qu’il y a des créateurs, comme Marine, qui ont envie de lancer leur marque, mais d’autres qui n’en ont pas spécialement envie et qui préfèrent travailler dans un studio. Leur but est d’acquérir de l’expérience et éventuellement lancer leur marque, mais plus tard, ou pas forcément. Nicolas, Jonathan, Phoebe et tous nos créateurs ont des studios relativement importants, avec des personnes à l’intérieur qui les aident énormément dans tous les aspects du métier, que ce soit en prêt-à-porter, en souliers, en sacs. C’est important d’avoir les meilleurs dans leurs équipes.

Ces jeunes sont traversés par les grandes questions qui agitent notre monde – le genre, la durabilité… Quelle est pour vous la question la plus intéressante ?

La traçabilité. Les jeunes veulent savoir comment sont produits leurs vêtements, d’où viennent les tissus, par quelles chaînes ces matières passent-elles jusqu’au vêtement final… La question du genre les occupe aussi. Prenez la collection du Japonais Kozaburo Akasaka qui a gagné le Prix Spécial, une femme pourrait porter ses vestes et ses manteaux qui sont superbement coupés. La lauréate du prix LVMH 2016, Grace Wales Bonner, nous disait que son chiffre d’affaires était centré à 100 % sur l’Homme l’an dernier et que cette année, avec le mentorat, elle faisait désormais 50 % de Femme, le tout produit par les mêmes fabricants.

Des nouvelles des gagnants des trois éditions précédentes ?

Grace va bien, les Marques Almeida ont bien développé leur société, Jacquemus aussi. On a souvent des nouvelles d’eux. C’est sympathique de rester en contact…

 » il était de notre responsabilité d’identifier les talents de demain et de les aider.  »

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