L’adieu

© OLIVIER SAILLANT

Il est parti un mardi de février, à la veille des défilés. Et le monde de la mode soudain vraiment ému lui a rendu hommage, unanimement – les Fashion Weeks de Milan et de Paris savent ce qu’elles doivent à Karl Lagerfeld. Dans la capitale lombarde, Fendi avait choisi la sobriété en un dernier adieu au créateur qui officia pour la maison, et la famille, dès 1965 : en guise de présent pour les invités du show, un petit carton avec le F de Fendi mêlé à un coeur et à la signature de cet homme qui tenait les états d’âme à distance, parce qu’il les avait en horreur, c’était son élégance. Dans la Ville lumière, Chanel (photo) avait investi comme à son habitude le Grand Palais mais l’avait cette fois transformé en petit village montagnard ravissant, avec poudreuse immaculée, sapins enneigés, chalets grandeur nature et volutes de fumée s’échappant des cheminées. Malgré le bleu du faux ciel, elle était là, l’ombre de l’homme au catogan, lunettes noires et col  » Vatermörter « . Sa voix résonna même sous la nef, racontant un souvenir des débuts, c’était en 1983, on lui avait alors vivement conseillé de ne pas accepter le poste qu’on lui proposait, il avait hésité, malgré qu’il trouvât le personnage de mademoiselle Chanel fascinant, la deuxième fois, qui se fit insistante, il accepta.  » Parce que tout le monde me disait :  » Ne le faites pas, cela ne marchera pas.  » Mais c’est la première fois où une marque est redevenue un truc de mode apparemment qui donne envie. Même à la Reine Mère d’Angleterre. Quand elle est descendue de la voiture, on avait soigné le décor, je peux vous dire, on avait dépensé une fortune en fleurs, elle a dit :  » Oh, this is like walking in a painting.  » Et ça, je ne l’oublierai jamais.  » Il avait décidément l’art de tout karlifier. Dans cet écrin féerique, Michel Gaubert, son complice de toujours qui veille aux bandes-son de ses défilés, invita à observer une minute de silence, elle fut assourdissante – 2 600 invités perdus dans leurs pensées avec, en sous-texte, la présence éthérée du dernier des Mohicans, chose qu’il avait fermement réfutée :  » Le dernier ? Non, j’aime surtout être le premier.  » Et comme chez Fendi, pour un dernier tour de piste, les mannequins, Cara Delevingne en tête et aussi Penélope Cruz, muse-amie, sourire aux lèvres pour contrer les larmes et rose blanche à la main, foulent l’immense catwalk sur David Bowie et son Heroes, que Karl Lagerfeld aimait tant. Lui qui rêvait d’un jour chanter de la musique baroque dans les églises mais se savait sans talent pour ça a eu la délicatesse de nous laisser une épitaphe, sous un autoportrait, en grande conversation avec Coco Chanel, au crayon gras et signé de sa main :  » The beat goes on.  » Ainsi soit-il.

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