Le patrimoine au présent

© KAREL DUERINCKX

 » La mode a sacrifié la planète et l’humanité.  » Le constat est sans appel. Il est signé Dana Thomas dans son livre Fashionopolis : le vrai prix de la mode et ce qui peut la sauver paru en français, cet été. Elle y fait référence à Platon et à son énumération des quatre vertus nécessaires à une cité juste : la sagesse, le courage, la modération et la justice, qu’elle transpose à la mode.  » Voilà ce que je demande à cette industrie : elle doit être modérée, courageuse, conseiller les gens et être juste, notamment avec ceux qui travaillent pour elle, ne pas être obsédée par le gain, écrit-elle. Et de plaider ainsi pour la durabilité, la fin des manteaux en été et des Bikinis en hiver dans les boutiques, un même élan néo-consumériste rangé derrière le hashtag buylessbuybetter, la décroissance des rythmes et une production relocalisée. Ce qui sous-entend l’absolue nécessité de préserver les savoir-faire. Et donc le patrimoine. L’historienne Lydia Kamitsis le rappelle, dans ces pages, en un raccourci piquant :  » Le patrimoine d’une maison de mode est tout ce qui est démodé, tout ce qui n’est pas effectivement valorisé au sens direct commercial du terme – c’est le paradoxe et c’est cela qu’il est intéressant d’interroger.  »

Qu’y a-t-il d’ailleurs de plus solide que des racines pour servir de socle u0026#xE0; une pensu0026#xE9;e, surtout si elle est ru0026#xE9;volutionnaire ?

Depuis longtemps déjà, avec parfois l’impression d’être seuls à crier dans le désert, les collectionneurs osaient ces questionnements, trouvaient des réponses fulgurantes et appliquaient discrètement les enseignements du philosophe grec. Le Français Olivier Châtenet est de ceux-là qui a fait oeuvre d’archiviste depuis belle lurette. Spécialiste d’Yves Saint Laurent, surtout de sa griffe Rive Gauche, habité de nostalgie et fan des années 70, il possédait un trésor amoureusement inventorié qu’il vient de céder à la maison mère. Les 4 000 pièces griffées YSL acquises par le fleuron du groupe de luxe Kering sont dorénavant prêtes à être étudiées par ses historiens à demeure et par le studio de création animé par le Belge Anthony Vaccarello. Car les archives revisitées et conjuguées au présent définissent depuis toujours les contours de la mode. On ne crée pas ex nihilo. Ou très rarement. Qu’y a-t-il d’ailleurs de plus solide que des racines pour servir de socle à une pensée, surtout si elle est révolutionnaire ?

Depuis l’aube de ce siècle rattrapé par la mondialisation et la démocratisation du luxe, le patrimoine a pris de la valeur. Car il est une fabrique puissante de l’identité des griffes, surtout sur une planète au trop-plein d’images et de produits. L’enjeu est là : la citation du passé comme ennoblissement d’une histoire singulière. Et la pandémie est venue renforcer l’appétence pour ces récits construits avec plus ou moins de bonheur. Seules la véracité et la justesse de la narration, fait-on le voeu, compteront. A l’image de celle de Thebe Magugu, premier créateur du continent africain à remporter le prix LVMH. Le jeune homme qui a grandi à Ipopeng, en Afrique du Sud, à l’ombre de trois générations de femmes, se sent comme  » l’auteur d’un documentaire  » qui tisse serré histoire et traditions. Et touche au coeur, avec  » sagesse, courage, modération et justice « , merci Platon.

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