Alors qu’elle met en scène Les Contes d’Hoffmann d’Offenbach, Julie Depardieu revient sur sa passion pour l’art lyrique, son patronyme aussi lourd que glorieux. et sa fascination pour les vers de terre.

Autant avoir fait le plein de vitamines avant de la rencontrer, car une heure en sa compagnie en vaut quatre. Avec l’actrice, on passe sans y prendre garde du rire aux larmes, de Spinoza au hachis parmentier, de l’intelligence relative des poules à l’excitation d’adapter Les Contes d’Hoffmann, d’Offenbach, pour une série de représentations en France dans des lieux chargés d’histoire, comme le Château de Haroué à Nancy et le Château de Vaux-le-Vicomte à Melun (1).  » L’aventure est au coin de la rue « , ne cesse de lui répéter sa mère, Elisabeth Depardieu. Avec Julie, elle est surtout permanente.

Weekend Le Vif/L’Express : Vous mettez souvent en avant votre manque d’assurance. Mais il faut une sacrée audace pour mettre en scène un opéra. Qu’est-ce qui vous a convaincue de vous lancer dans l’aventure des Contes d’Hoffmann ?

Julie Depardieu : Ça, pour être pleine de doutes… Cela faisait un moment que le producteur du festival français  » Opéra en plein air  » m’encourageait à goûter à la mise en scène. Mais ce n’est pas parce qu’on aime passionnément quelque chose qu’on y brille forcément. Jamais je n’aurais accepté si je ne m’étais pas associée à Stephan Druet. Je ne suis pas une solitaire. A deux, on s’enrichit, on avance plus vite. Notre chance, c’est qu’on s’est entendus tout de suite. C’est une période où j’apprends beaucoup : à réfléchir, à être diplomate, à m’exprimer, moi qui ne fonctionne qu’à l’instinct et à l’émotion. A l’école, déjà, j’étais nulle en rédaction.

Ça va, vous ne pleurez pas trop pendant les répétitions ?

Si, hier encore, j’ai craqué en écoutant  » Ô Dieu ! de quelle ivresse !  » J’ai des frissons tous les jours aux répétitions, mais j’adore. Dans la vie, qu’est-ce qui te donne des frissons ? Rien ! C’est ce que j’aime chez Offenbach. Tu passes du rire aux larmes en quelques secondes. Il sait comme nous tous qu’on va finir à l’horizontale, mais lui décide de s’amuser avant d’y passer. J’aime bien cette idée.

Vous ne frissonnez donc plus sur un plateau de cinéma ?

Si, mais pas de la même manière. Je vis une scène de façon très intense, et puis, tout d’un coup, sans raison précise, je vais penser à autre chose, à la peau qui fripe, au lifting qui s’annonce, aux heures d’attente entre les prises. A l’opéra, mon esprit ne s’échappe jamais, l’intensité est énorme tout le temps. Mais il y a plein de moments de grâce au cinéma. Cette communion entre  » action !  » et  » coupez ! « , j’adore. On ne réfléchit pas, on se laisse porter par le regard du metteur en scène, c’est très agréable. A la rigueur, peu importe la qualité des films, c’est le partage qui compte.

C’est une réflexion étrange de la part d’une actrice quatre fois récompensée aux Césars. Avec la reconnaissance, on devient plus sélective, non ?

Moi, je ne me les serais jamais attribués, ces césars… La plupart du temps, je suis tellement reconnaissante qu’on me choisisse que j’ai du mal à dire non. Mais j’apprends. Cette année, à part La Femme invisible, d’Agathe Teyssier, et Le Bal des actrices, de Maïwenn, j’ai tout refusé, de peur de manquer des répétitions d’Offenbach.

Cela fait quoi de lever le pied après avoir tourné sans interruption pendant dix ans ?

Ça fait du bien, mais ça angoisse aussi. Je suis du genre stakhanoviste. Il m’est arrivé de tourner trois films à la fois. Je déteste ne rien faire, je suis incapable de rentrer chez moi à 21 heures, et, pour la première fois, je ne sais pas ce que je vais faire en octobre prochain. C’est étrange.

Quel est votre premier souvenir musical ?

Beethoven, sur la BO d’Orange mécanique, que mes parents écoutaient à la maison. J’ai eu mon premier vrai choc à l’âge de 15 ans, en écoutant Don Giovanni, de Mozart, reçu en cadeau après un achat par correspondance. J’étais hyperrebelle, je n’écoutais que du rock, à l’époque. Je me suis dit :  » C’est quoi ce truc ?  » Et ce  » truc  » a changé ma vie.

Vous n’avez quitté Bougival, dans le département français des Yvelines, la ville où vous avez grandi, que cette année. Est-il possible de vraiment couper le cordon quand on s’appelle Depardieu ?

Ben, je ne viens pas d’une famille de banquiers, c’est sûrà C’est une famille sans limites, qui dégageait une grande liberté, une grande poésie, et où tout était possible. Il arrivait que mon père disparaisse pendant cinq jours sans nous donner de nouvelles. C’est étrange, mais mon père m’a toujours encouragée à faire de la mise en scène. A 20 ans, j’étais complexée, je savais que je n’avais pas le physique qu’il fallait pour être actrice, et ça me convenait très bien. Je pensais devenir prof de philo ou inspecteur des impôts, pour épater Gérard ! A 18 ans, j’étais sûre d’un truc : j’aurais mon bac et je ne serais jamais actrice. Evidemment, l’exact inverse s’est produit : j’ai raté mon bac et j’ai fait du cinéma.

Comment a réagi votre père en apprenant que vous signiez votre première mise en scène ?

Comme toujours chez les Depardieu, avec une extrême pudeur. Il est venu récemment chez moi, a feuilleté le programme des Contes d’Hoffmann d’un air très intéressé et n’a rien dit. Malgré les apparences, on n’est pas des bavards, dans la famille. Moi, par exemple, je parle beaucoup, mais pour dire n’importe quoi. Mais je sais qu’il est fier de moi.

C’est comment, la vie loin de Bougival ?

Exaltant. Ça fait trois mois que je suis partie. J’étais enlisée dans un truc de vieille dame avec mon potager et mes poules, qui sont toutes mortes, d’ailleurs, les pauvres ! Je me trouvais sur un plancher bien stable, et j’ai envie de vivre sur un fil. Ma mère m’a toujours dit :  » L’aventure est au coin de la rue, Julie.  » Eh bien, j’y suis, au coin de la rue.

Il paraît que vous aimez vous fixer des défis improbables. Peut-on connaître le dernier en date ?

Oui, manger des lentilles et du hachis parmentier tous les jours. Je fonctionne par obsession, surtout avec la nourriture. Comme les vieilles dames, j’ai besoin d’être rassurée.

Et au-delà de votre assiette ?

Mon défi, c’est de gagner de la confiance en moi. Ne plus avoir peur de mon ombre. Jusqu’ici j’ai toujours été épargnée par la critique, mais, à mon égard, je suis une vraie ordure ! J’aimerais aussi être moins dispersée. Les poules, par exemple, elles regardent bêtement partout, jusqu’au moment où elles repèrent le ver de terre et ne pensent plus qu’à lui. Eh bien, mon ambition, c’est de me foutre un peu la paix et de trouver mon ver de terre…

(1) Informations et réservations :

Internet : www.akouna.com/operaenpleinair

Propos recueillis par Géraldine Catalano

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