Les petits papiers

La Petite Papeterie Française diversifie ses produits. © MARIE-PIERRE-MOREL / SDP

C’était écrit : le numérique tout-puissant allait sacrifier l’écriture manuelle sur l’autel de l’hypermodernité. Mais c’était compter sans la capacité à inspirer de la feuille blanche : bienvenue dans l’ère de la papeterie contemporaine.

Environ 204 milliards de mails ont été envoyés par jour dans le monde en 2015 (hors spams), selon Planetoscope.com, contre 183 milliards en 2013. Soit 2 361 100 messages par seconde. Autant dire qu’on s’écrit. Beaucoup. Mais dans cette ère numérique en expansion – où les bons voeux se transmettent via SMS, WhatsApp et autre Facebook – le papier a gagné du galon. Un vrai pied de nez. Pas un hasard si on voit des rayons papeterie nouvelle génération se développer chez Hema, Flying Tiger ou dernièrement chez & Other Stories. Depuis cinq ans, des labels indépendants ont réinvesti ce domaine : positionnement de niche, créativité exacerbée, travail artisanal, démarche authentique… Ce sont eux qui ont lancé le mouvement.

L’un des précurseurs, Cédric Chauvelot, est installé à Ixelles (67, rue Américaine), depuis 2007, avec sa boutique-atelier Le Typographe. Un univers rare. Il imprime sur des presses Heidelberg et assemble à la main blocs et autres enveloppes qu’il distribue désormais aux quatre coins du monde. Chez lui, cet artisanat à l’ancienne prime. Une valeur ajoutée qu’on retrouve chez La Compagnie du Kraft, menée par Nicolas Recoing, près de Paris. Inspiré par les blocs-notes rustiques conçus par les forestiers landais dans les années 20, et qui servaient de carnets de liaison avec les propriétaires de parcelles, il rachète en 2008 un atelier de labeur des années 30 – dans le jus – et se met en quête de faire revivre ces objets. Ils sont rechargeables, pour être durables : chaque nouveau lot de pages est livré avec un kit d’archivage qui permet de préserver les notes passées. L’ancien éditeur de logiciels – voyez-y un pied de nez de plus – se définit comme un fou de matière :  » Nos articles ne sont pas faciles à utiliser mais c’est brut, sensuel, naturel… On ne fait que ces articles et on ne sait faire que cela. C’est l’envie d’avoir un produit qui cultive une forme de rareté qui relie nos clients.  » De fait, La Compagnie du Kraft, autoproclamée  » manufacture de carnets la plus improductive du monde occidental « , ne peut fabriquer plus de 25 000 pièces par an et ne souhaite pas s’agrandir.

 » Le carnet, c’est l’outil qui arrive à vous qualifier sans que ce soit statutaire « , résume Nicolas Recoing. Une dimension psychologique forte qu’on retrouve aussi avec les créatrices de la boutique-studio ixelloise Lundi (14, rue François Stroobant). Line Godefroid, architecte, et Kathrin Laurent, designer textile, unissent leurs forces dans un lieu qui surfe avec charme sur ce retour en grâce de la papeterie. D’un côté, elles proposent cartes de visite et autres travaux graphiques personnalisés, de l’autre elles vendent les objets et beaux papiers qu’elles affectionnent et quelques-unes de leurs petites éditions.  » Beaucoup des personnes qui viennent ici ont un rapport quasi addictif aux carnets, s’amuse Line. Un nouveau projet, c’est un nouveau carnet.  »  » La symbolique est forte, appuie Kathrin. Un cahier vierge, avec sa belle reliure intacte, c’est un point de départ. On y met du sens.  »

Un objet rassurant

Parmi les maisons chéries par les filles de Lundi, il y a La Petite Papeterie Française. Ce label parisien a commencé en tant qu’e-shop en 2012 et a lancé sa collection en 2016.  » On a fondé notre éthique sur la transparence, l’écologie, le made in France, explique la fondatrice, Sylvie Bétard. Et on a appuyé là-dessus en développant un manifeste du slow office pour conceptualiser cet art de vivre au bureau : en faisant attention à ce qui nous entoure, en ayant de belles marchandises. Le papier réfère à l’école, c’est sans doute rassurant. Mais il y a des choses dont on se lasse plus vite et la fonctionnalité comme l’utilité me semblent primordiales.  » Et d’imaginer une collection de fardes, boîtes d’archives, chemises et sous-main pour compléter la gamme.

Autre référence : le trio français de Papier Tigre, lancé en 2012. Maxime Brenon, l’un des cofondateurs, explique que  » le postulat de départ était de remettre la correspondance au goût du jour. Avec le numérique, on s’écrit de plus en plus. Tellement que le papier est devenu un moyen de marquer une intention.  » L’emblématique de la maison, c’est Le Pli Postal, dix-neuf lettres-enveloppes à plier, toutes différentes, et à envoyer. La touche de Papier Tigre : un graphisme enjoué.  » On a eu envie de renouveler ce secteur poussiéreux. On a débarqué avec nos couleurs, nos usages, nos motifs. Un parti pris. Toutes les tâches administratives faites sur papier se sont dématérialisées et c’est comme cela que cette matière a retrouvé une vraie valeur et une force créative.  » Papier Tigre ouvre sa boutique à Paris en 2014, aligne 250 points de vente dans 25 pays, va inaugurer une boutique-bureau-salon de thé à Tokyo cet été, édite de nouveaux items tous les six mois –  » quand un produit est épuisé, il n’est jamais réédité  » – et va annoncer début juin son association avec le géant Quo Vadis pour une ligne complète en 2018. Une preuve encore que ce sont les petits papiers qui vont ébouriffer les grands.

Par Amandine Maziers

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