Maman, Mr Nobody et moi: des donneurs de sperme témoignent

© GUDRUN Makelberge

Infertilité, femmes célibataires, couples d’homosexuelles… les centres PMA belges fournissent 10 à 20 % de la demande en dons de sperme. Malgré une pénurie importante, cet acte altruiste est avant tout un don de vie. Etat des lieux et récits.

Un mercredi d’avril ensoleillé. Cyril, 23 ans, et Hortense, 14 ans, arrivent chacun avec leur maman.  » Voici notre famille réunie !  » annonce l’étudiant en communication. C’est que Jeanne et Marine, les mères en question, en couple depuis quatre ans, ont eu leur enfant  » toute seule « . Chacune a en effet eu recours à un donneur de sperme, l’alternative la plus évidente pour toutes les deux.  » Mon meilleur ami était prêt à me donner le sien, mais j’envisageais avec appréhension ce lien qui nous unirait à jamais « , explique Jeanne, qui désirait Cyril plus que tout. Autre son de cloche chez Marine, dont le boss, devenu très proche, lui a proposé de l’aider lui-même.  » La demande a été refusée par l’équipe médicale du centre PMA. Sur le plan déontologique et éthique, ils ont estimé le lien hiérarchique trop important…  » raconte la maman d’Hortense, qui s’est résolue à faire appel à un anonyme.  » C’est du cas par cas. Certaines situations ne cadrent pas, comme un beau-père qui le ferait pour sa belle-fille car son fils est stérile « , précise le Dr Romain Imbert, responsable du Centre de Procréation Médicalement assistée au Chirec, à Bruxelles, qui rappelle au préalable que si trois types de procédures existent, deux sont autorisées en Belgique.  » Le don de sperme anonyme de volontaires qui souhaitent pouvoir aider un autre couple à concevoir, et le don direct, souvent d’un ami proche, à une femme ou à un couple. C’est une décision importante, résultant de l’accord entre le donneur et le receveur ou la receveuse « , complète le spécialiste. Quant à la troisième catégorie, il s’agit des  » open donneurs « , autorisés notamment au Danemark et qui permettent aux enfants de rencontrer celui qui a contribué à leur naissance.

Chez nous, par ailleurs, le don de sperme est autorisé pour les couples hétérosexuels ou féminins, mais aussi pour les femmes célibataires. Quant au donneur, il ne peut pas se reproduire à gogo : sa semence ne peut en effet conduire à des naissances chez plus de six personnes (ou couples) différents.  » Le don est également irrévocable, le donneur anonyme n’ayant aucun droit légal vis-à-vis du futur enfant « , ajoute Romain Imbert. Cyril et Hortense sont sereins par rapport à cet inconnu ad vitam.  » Je n’y pense pas. Pour moi, c’était le projet de maman et je l’ai intégré comme tel. Jamais elle n’a fait mystère de l’absence de père, même quand j’étais petit. Ça n’a jamais été un sujet tabou, d’autant qu’elle m’a toujours dit qu’elle aimait les filles « , confie Cyril. Hortense, elle, est plus mitigée.  » Je l’ai appris par hasard et pas dans de bonnes conditions. Ma marraine était en dispute avec ma mère et pour l’atteindre, elle m’a dévoilé comment j’avais été conçue… Maman ne voulait pas m’en parler avant que je sois adulte, je lui en ai voulu de m’avoir exclue de son secret et je me demandais pourquoi cet homme avait fait ça sans penser à moi et à ma vie sans lui « , se souvient l’ado.

Des conséquences à soupeser

 » On ne s’improvise pas donneur ni receveur à la légère, insiste Romain Imbert, pour qui le projet en amont et le suivi psychologique sont cruciaux. Certains ne mesurent pas toujours l’impact de cet acte. Un étudiant de 20 ans qui franchirait le cap pour se faire un peu d’argent de poche doit réaliser qu’il peut se retrouver concrètement avec des enfants dans la nature. Sur le moment, ça ne lui paraîtra peut-être pas pertinent, mais quid quand il aura 30 ou 40 ans ou qu’il sera lui-même père ? Tout doit être discuté lors d’une consultation préalable avec un pédopsychiatre ou un psychologue et un spécialiste en médecine de la reproduction, qui réaliseront un interrogatoire poussé pour vérifier les motivations réelles, notamment. Idem lorsqu’il s’agit d’un donneur connu des receveurs. Cela signifie que l’enfant aura accès à ses origines, ce n’est pas rien, ni pour lui, ni pour le donneur, ni pour les parents et l’entourage, explique notre expert. On vérifie par ailleurs l’histoire médicale de l’individu, entre autres pour s’assurer de l’absence de risque de transmission de maladie à l’enfant, complète-t-il. Une prise de sang sera effectuée afin de dépister les maladies sexuellement transmissibles et génétiques les plus courantes -comme la mucoviscidose – et certaines anomalies chromosomiques, via un caryotype. A noter qu’au centre, l’âge limite est de 45 ans. « 

Maman, Mr Nobody et moi: des donneurs de sperme témoignent
© GUDRUN Makelberge

Aujourd’hui, la Belgique connaît une véritable pénurie en matière de don de semence masculine et ne pourrait répondre qu’à 10 à 20 % de la demande, au point que les centres PMA de notre pays travaillent avec des banques danoises. Cryos, le numéro un mondial, vend des milliers de paillettes de sperme chaque année dans plus de cinquante nations. Manque d’altruisme et/ou de communication ?  » Il nous est interdit de faire de la pub autour du sujet. Par ailleurs, cela n’est pas rémunéré, même si je ne suis pas certain que ce serait un facteur d’attractivité. Au Chirec, à titre d’exemple, nous dédommageons 75 euros par passage pour les frais de déplacement, etc. Les visites chez le psy et le médecin, les analyses, etc. sont prises en charge par le service.  » Le prix d’une paillette, lui, varie entre 29 et 49 euros. 6 000  » bébés Cryos  » naîtraient chaque année partout dans le monde avec 40 % de célibataires parmi la clientèle. Chez nous, la pratique est autorisée depuis une trentaine d’années. Cinq hommes ont accepté de nous dire pourquoi ils ont décidé de franchir le pas et ce qu’ils pensent de leur démarche, plusieurs années après.

Guillaume 51 ans, divorcé

 » J’ai donné mon sperme à mon amie d’enfance.  »

Sur la cheminée de la maison de campagne de Guillaume, la photo de Louise.  » C’est la fille de Claire, ma meilleure amie. Je lui ai fait don de mon sperme pour l’aider à donner la vie. Elle a élevé Louise seule et pendant les dix premières années, elle posait peu de questions. Ado, elle a demandé des comptes à sa mère, a voulu savoir si son père était mort, l’avait abandonnée ou s’il était en prison… ce qui lui importait, c’était surtout de savoir pourquoi il était totalement inexistant dans sa vie « , raconte Guillaume, ému. Claire décide alors d’amener tout doucement sa fille vers la vérité.  » Elle lui a expliqué son désir profond de devenir mère, alors qu’elle était célibataire depuis des années et ne voulait pas dépendre d’une future relation pour réaliser son rêve. Elle a été d’une transparence totale sur tout ce cheminement. Quand Louise a su qu’il s’agissait de moi, qu’elle avait toujours connu comme un ami de la famille, elle a magnifiquement réagi. Les années qui ont suivi ont été très belles et profondes, mais depuis qu’elle pense devenir maman à son tour, c’est plus compliqué, elle me rejette. Elle ne m’appelle pas papa et moi-même, je ne parviens pas à bien concrétiser mon statut. Quant à mon propre fils, il a 2 ans, il ne sait pas encore qu’il a une grande soeur, je lui présenterai Louise quand elle sera prête. A ce stade, ce lien entre lui et moi la fait trop souffrir…  »

Marvin 31 ans et Damien 43 ans, pacsés

 » On aurait adoré être parents !  »

 » Ça pourrait être lui, ou lui, ou elle ?  » Depuis la terrasse où nous nous rencontrons, Marvin s’amuse à regarder les poussettes.  » C’est un running gag entre Damien et moi ! Parfois, on imagine quelles têtes auraient nos enfants, s’ils auraient son caractère doux ou mon côté sanguin …(rires). Rétrospectivement, on ne regrette pas d’avoir été donneurs anonymes. On l’a fait ensemble, c’était une façon d’avoir un beau projet commun, terriblement humain et qui fait sens, à nos yeux. Aider des couples à donner la vie, quoi de plus beau ? On aurait adoré être parents, l’un indépendamment de l’autre et bien avant de se rencontrer. Damien reste réticent à l’idée d’un couple gay avec enfants, il a peur qu’ils souffrent du regard des autres, nous n’avons donc jamais franchi le pas. Donner notre sperme est une façon d’être père indirectement. Personnellement, j’aurais pu être donneur direct, notamment pour Lauria, ma meilleure amie célibataire, mais c’est délicat en vivant en couple. Avec le recul, quand je pense à ces bébés peut-être nés grâce à nous, je suis parfois un peu mal à l’aise : comment vit un môme de donneur de sperme anonyme ? J’espère en tout cas que nous avons fait du bien et non du mal, ce serait un comble !  »

Maman, Mr Nobody et moi: des donneurs de sperme témoignent
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Antoine 48 ans

 » Je n’ai pas eu la chance d’être père, c’est une façon de compenser un peu.  »

 » Je pense qu’Hélène aurait apprécié mon geste, annonce d’emblée celui qui rêvait de devenir père. Elle est morte dans un accident voici cinq ans, j’ai fait le deuil de l’amour et de la paternité. C’est en voyant un jour un reportage télé sur le sujet que j’ai été sensibilisé. Dans le fond, j’avais moins de 45 ans, j’étais en bonne santé et l’idée de permettre à une femme ou un couple d’assurer sa descendance me paraissait bienveillante. J’ai donc pris rendez-vous chez mon généraliste pour en savoir plus sur les démarches à effectuer.  » En donnant son sperme de façon anonyme, Antoine estime avoir fait bien plus que cela.  » Non seulement j’espère avoir contribué à combler quelques personnes désireuses de mettre au monde des bébés, mais sur le plan personnel, j’aime l’idée d’avoir des enfants ! Cela dit, je n’y pense vraiment jamais. Pour moi, cela reste un geste altruiste, une démarche généreuse et désintéressée. Loin de moi l’idée d’avoir envie de savoir qui ils sont « , précise l’architecte namurois, choqué que certains pays autorisent les  » open donneurs  » et permettent ainsi aux enfants qui le souhaitent de rencontrer celui sans qui rien ne serait arrivé.  » Si mon anonymat n’était pas totalement garanti, jamais je n’aurais franchi le pas. Dans  » don de sperme « , il y a  » don « … Au nom de quoi aurais-je un droit de regard sur ce que devient ma semence ?  »

Bruno 50 ans, en couple

 » Ma soeur est devenue mère grâce à un donneur, ça a été le déclic !  »

Bruno est essoufflé. Il est en retard pour notre interview.  » Je déposais Lola à la danse ! « , explique ce papa d’une fille unique de 13 ans… qui a sans doute des demi-frères et soeurs ailleurs en Belgique.  » Pendant des années, ma soeur et son mari ont tout tenté pour avoir un bébé. J’ai vécu avec eux les hauts et les bas, les périodes d’angoisse, de déprime, de colère… Un parcours du combattant épuisant et douloureux. Quand l’infertilité de son époux a été confirmée, ils ont d’abord pensé à l’adoption, mais par peur d’un nouveau chemin semé d’embûches, ils ont renoncé. La solution d’un donneur de sperme s’est rapidement imposée à eux. Quand elle a été enceinte, leur vie a basculé : leur bonheur était inouï.  » Pour cet ingénieur gantois, c’est le déclic.  » Je voulais offrir à d’autres ce qu’avait vécu ma soeur. Donner mon sperme à des inconnues était une évidence ! Ma femme m’a tout de suite encouragé. Pour nous, c’est un geste magnifique, tant que l’on sait précisément ce qui motive ce choix et qu’il ne s’agit pas d’un projet malsain. Nous étions d’accord dès le début : je serais anonyme et cela resterait à jamais entre nous deux. Ma soeur n’est pas au courant, et encore moins notre fille. C’était il y a dix ans, c’est un secret absolu, pour éviter toute douleur inutile. On ne fait pas cela pour épater la galerie, mais par amour de la vie.  »

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