Maria Vita Goral, de l’Ukraine aux perles qui ornent le pont de Fragnée: « Un symbole de diversité »
L’artiste ukrainienne Maria Vita Goral (31 ans) vit et travaille à Liège depuis 2017. Elle signe une œuvre monumentale installée pour six mois sur l’emblématique pont de Fragnée. Ses Perles universelles, quatre perles nacrées d’un mètre de diamètre et de 450 kilos, ont trouvé place dans les coquillages en bronze des sculptures de Victor Rousseau. Une invitation à la réflexion.
Admirer la diversité
Les ponts sont des symboles de connexion. Celui de Fragnée, à Liège, est l’une de ces merveilles. Il est classé au patrimoine exceptionnel de la Région wallonne et a été construit pour l’Exposition universelle de 1905, à la rencontre de la rivière Ourthe et du fleuve Meuse. Sa décoration a été confiée au statuaire belge Victor Rousseau, quatre sculptures de Titans, deux figures masculines et deux féminines, j’aime l’idée. Et si j’ai choisi ce pont, c’est avec l’envie de créer un dialogue entre l’art contemporain et l’art de l’époque et ouvrir le regard sur la diversité culturelle et les valeurs démocratiques de notre temps, sans négliger les responsabilités de l’artiste.
Entre beauté et bienveillance
Une perle est une perle. Mais pas seulement. C’est un symbole, un accessoire de séduction ou d’érotisme, une manière de célébrer, un mode de purification, une amulette. On la retrouve dans toutes les cultures, dans tous les pays du monde et depuis la préhistoire. Elle représente pour moi la bienveillance, la beauté qui consiste à aller vers les autres et l’idée de se cultiver également. Et sur ce pont, les quatre perles de couleurs différentes, blanche, champagne, rosée et noire, évoquent la beauté des gens venus des quatre coins du monde.
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Oser occuper l’espace
L’espace urbain peut être un grand atelier. C’est le mien, en tout cas. Il y a quelques jours, j’ai lu une interview de Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, elle disait que nous les femmes, on a peur de l’espace, on a peur d’avoir de grands ateliers. C’est vrai. Mais on ne devrait plus avoir peur.
Trouver sa place…
Certains projets aident à vivre. Et dans mon cas, ils ont le pouvoir de me soulager. Je ne dirais pas que l’art sauve mais le processus de réflexion nous ramène à nous-mêmes. Peut-être est-ce cela qui m’a attirée, énormément. Mais c’est encore plus difficile quand on vient d’une famille d’artistes et qu’on te répète que le chemin est tout tracé – j’étais comme programmée pour aller vers l’art. Il m’a fallu dès lors me poser ces questions: «Qui suis-je» et «Pourquoi je fais ça?» C’est pour cette raison que mes projets sont tous différents… Mais peut-être est-ce parce que je fuis?
En tant qu’étrangère, on a envie d’offrir la meilleure image de soi. Mais je veux faire fi des clichés. Je suis née à Chernovograd, en Ukraine, et j’ai grandi à Lviv. Mon grand-père était chef d’orchestre, ma grand-mère chanteuse d’opéra, mon papa est peintre et ma maman est directrice du musée ethnographique de Lviv. J’ai toujours aimé l’art, mais de façon libre, sans qu’on me l’impose. Quand je rentre dans un atelier, dans une exposition, dans un musée, je suis chez moi, je suis entourée de gens qui parlent le même langage que moi.
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… Et respecter celle des aînés
Sans les anciens, nous ne sommes nulle part. Si l’histoire de l’art n’existait pas, nous ne serions pas là. Quand j’étais petite, mon papa me faisait peindre les tableaux des grands maîtres flamands. Je devais les reproduire, c’était dur, j’avais des tendinites, j’en avais marre. A un moment donné, je me suis dit «basta» pour enfin trouver mon propre chemin. C’est pour cette raison que je suis partie faire des études artistiques après l’Académie des beaux-arts de Lviv, en Italie, en République Tchèque, en Pologne et puis à Liège.
Forte femme
Etre comprise, ou pas, peu importe. Il faut avoir un caractère fort dans ce milieu quand on est une femme. Sinon on est foutue ou alors on est placée dans cette situation où encore et encore on joue la fragilité. Ce n’est pas normal, personne n’en a envie, on veut juste être comme on est.
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Histoires de l’art
Certains artistes sont plus doués que d’autres. Ils laissent la porte ouverte et permettent la lecture de leurs œuvres. On ne peut imposer son regard sur ce que les gens voient ni leur dire comment ils doivent regarder.
La métaphore compte. Ce qui m’intéresse dans mon art, c’est de ne pas dire directement. J’ai un autre projet monumental pour l’espace urbain: une grande sculpture d’un filet à papillons en maille d’acier. C’est une métaphore de prévention, des armes et de capture sans aucune morale ni symbolique imposée. Je ne suis pas une symboliste ni une moraliste.
Perles universelles, sur le pont de Fragnée, jusque fin novembre et exposition thématique aux Drapiers, à Liège, du 6 au 27 mai. lesdrapiers.be et @mariavitagoral
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