Ne pas oublier de lever les yeux, au moins une fois par jour!

© KAREL DUERINCKX

Les rues sont pavées d’humeurs, de rencontres, de silences ou d’aveux. Lisette Lombé s’y abandonne et s’y émerveille, humant l’air du temps de sa prose nomade.

Lille. Petit matin d’une co-animation d’un atelier autour de la thématique «risque(s) et travail», à destination de bibliothécaires. Les personnes qui se seront inscrites auront été informées qu’au programme de la journée, il y aura de l’écriture, de l’expression corporelle et de la mise en voix. Pas de chat acheté dans un sac. C’est par le mouvement du corps que nous explorerons nos limites et nos possibles. C’est par des invitations à mettre en mots les ressentis que nous complexifierons notre rapport au monde et aux autres. C’est par le détour poétique que les réalités et les difficultés du métier seront approchées.

Il est six heures trente. Il fait doux pour la saison. Une voiture s’arrête au feu rouge, à ma hauteur. Fenêtre ouverte, volume de la radio qui va très fort, comme pour tenir éveillé le conducteur. «Aujourd’hui, une belle journée ensoleillée», lance gaiement le préposé à la météo. Sa bonne humeur est communicative et me fait oublier mes soucis du moment, quelques instants.

Je marche sans but précis mais, après une vingtaine de minutes, je m’aperçois que, comme dans tous les cœurs des villes européennes, je passe devant les mêmes bâtiments. Le théâtre, l’opéra, la cathédrale, le conservatoire, le palais de justice. Je photographie intérieurement les détails des imposants escaliers, des lustres monumentaux, des échafaudages, des façades emballées avec des bâches de protection, des panneaux signalétiques, des portes sculptées.

Je découvre un horaire de confessions. Le mardi et le jeudi, de seize heures à dix-sept heures et le samedi, de quinze heures à dix-huit heures. Je ne savais pas que cela existait encore, de manière si organisée. Des images de menues transgressions se pressent à mon esprit. Rien à déclarer de répréhensible. Conscience en paix. Et quand bien même une action immonde me tarauderait et m’empêcherait de dormir, j’irais plutôt la répéter, tel un mantra, dans le creux d’un arbre ou bien la crier sur une plage déserte, face à la mer, que de la confier ici, à un homme d’église. Mon confessionnal est la nature, toujours bienveillante et d’une discrétion absolue.

Hier soir, à la recherche d’un restaurant, arpentant les mêmes rues que ce matin, je n’avais pas remarqué que les noms des boutiques et les slogans sur les devantures des magasins formaient un hymne au développement personnel.Yoga et santé. Voyages. Délices. Ici on mange, ici on boit. Démesure sur mesure. Bonne gueule. Life is a dance. Victoire. Momentum. Réalisez vos projets. Rejoignez l’aventure. Sur mesure. Proche de vous. With love. L’appel du bien. Soins naturels. Maison de qualité. Donnez une seconde vie à vos bijoux. Tout est là, tout est dit. L’injonction au bonheur, matraquée, martelée, éclairée aux néons, aveuglante et subliminale à la fois.

Mon confessionnal est la nature, toujours bienveillante et d’une discrétion absolue.

Dans la rue du Peuple belge, j’écris un message à ma fille. Petit rituel lorsque je suis à l’étranger: envoyer des baisers aux saveurs de la ville. Bisous de Lille. Bisous de Marseille. Bisous de Genève. Causer météo, causer programme de la journée. Aujourd’hui, c’est journée sportive. Il y aura une épreuve de mille huit cents mètres. Drôle de chiffre qui ne correspond à aucune course d’athlétisme. Comment encourager à distance l’enfant qui n’aime pas courir, et encore moins courir à l’école. Mille huit cents mètres, c’est quatre tours de piste. Présenté comme ça, l’effort à fournir peut paraître moins conséquent.

Je souris en recevant des émoticônes que je ne possède même pas sur mon clavier. Langage propre de la pré-adolescence. Je savoure l’intensité de ces quelques messages échangés dans le noir. Je chéris cette technologie moderne qui rapproche les mères et leurs filles. Je ne vois pas les pavés disjoints. Ma fille me souhaite une belle journée. En la remerciant, je me tords la cheville pour la deuxième fois en deux jours. Je peste. Je range mon téléphone. Je lève les yeux.

A l’étage d’une maison étroite, tendu, un drapeau arc-en-ciel avec des couleurs supplémentaires par rapport au drapeau arc-en-ciel classique. Manière de visibiliser d’autres minorités. J’avais oublié que le 11 octobre était la journée internationale du coming out. Au-dessus de la maison, calme et apaisante, la lune.

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