Petits soldats

© karel duerinckx

Un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

A l’occasion du bicentenaire de la disparition de Napoléon Bonaparte, la Fondation qui lui est dédiée a déclaré 2021 « année Napoléon », du coup on n’a pas pu s’empêcher de remarquer un léger décalage avec l’ONU, qui préféra placer ces douze mois sous le signe « de la paix et de la confiance » ; deux salles, deux ambiances. Et tandis que les nostalgiques refourbissent leurs bicornes, on a pu compter sur les rabat-joie de service pour pointer les détails qui fâchent, et rejouer à leur sauce le couplet de l’onde qui bout dans l’urne trop pleine. Pour être honnête, c’était à prévoir: ce genre d’émoi survient souvent quand l’individu à célébrer traîne des millions de cadavres dans son placard.

‘Tandis que les nostalgiques refourbissent leurs bicornes, on a pu compter sur les rabat-joie de service pour pointer les du0026#xE9;tails qui fu0026#xE2;chent.’

Les siècles défilent, les livres d’histoire s’empilent, et l’on continue pourtant de sous-estimer la porosité de la frontière séparant les grands hommes des parfaits salauds. Il fut maintes fois rapporté que certains dictateurs sanguinaires avaient leurs bons moments, presque des chics types, alors admettons une fois pour toutes qu’une même personne puisse être à la fois un visionnaire et un mufle, un fin stratège et une vile raclure. Etant tous condamnés à voir réapparaître ce type d’ambivalence au gré des futurs anniversaires et commémorations, autant prendre de l’avance. Après tout, la détraction vaut bien la complaisance, il n’y a pas de raison de confondre trahison et critique, à moins de ne défendre que les relectures hagiographiques.

Bref, alors que ce n’est déjà pas évident pour les adultes de faire la part des choses, Playmobil a ravivé les débats par l’annonce de la sortie d’une figurine Napoléon. Une décision pour le moins audacieuse, qui tranche avec la circonspection habituelle de l’industrie du jouet, plutôt frileuse à l’idée de réincarner ses produits phares en figures ayant réellement existé. En général, quand on propose à la marmaille de tels produits, on fuit le risque de polémique, en veillant notamment à ce que le personnage élu dispose d’un CV immaculé – or c’est ici que les choses se corsent, aurait-on dit si l’on avait osé. Ce choix semble d’autant plus étonnant qu’il y a à peine deux ans, Andrea Schauer, CEO du groupe Playmobil, avait déclaré éviter les thématiques guerrières, « trop violentes » à son goût, pour se concentrer sur des récits « positifs ». Elle s’inscrivait dans la ligne vaguement antimilitariste du fabricant allemand, dont les pacifiques bonshommes ont justement débuté leur carrière en tant qu’alternative aux petits soldats de plomb – lesquels portent si bien l’uniforme napoléonien, tout se recoupe. Hélas, dans le cas de cette édition polymère collector, point de lancier ou de grenadier aux guêtres de coutil, de noir colback ou de casque poli: l’Empereur se présente seul – du moins seul avec Vizir, son fameux cheval blanc, qui était d’ailleurs gris.

D’aucuns se rassureront donc en supposant que, orphelins de la Grande Armée, l’homme et la bête ne sauraient causer trop de dégâts, ou en se rappelant qu’il s’agit d’un bibelot pour collectionneurs et qu’il n’y a pas de quoi en faire un plat. N’empêche. On saura bien vers qui se tourner si un moutard belliqueux met l’Europe à feu et à sang dans trente ans – et pour une fois, on fichera la paix aux jeux vidéo, c’est déjà ça.

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