SANS ARTIFICES

© JEAN-PIERRE GABRIEL / SDP

Dans sa galerie bruxelloise, à son nom, Caroline Van Hoek partage ses convictions. Elles ont la forme de bijoux contemporains, oeuvres d’art qui se portent et s’exposent. Dans son monde, les chiens foulent l’herbe fraîche et les femmes sont puissantes.

Elle n’a pas pris le temps d’ôter ses bottes cavalières, ni son collant d’équitation et son petit veston ajusté avec broche fer à cheval et lettre C, comme Caroline, un cadeau d’un ami, Bernard Gavilan, une babiole trouvée aux puces et à haute valeur sentimentale. Dans sa galerie, à Bruxelles, une cheminée noire imposante structure l’espace uniformément blanc, avec moulures et plafonds plus que hauts, fauteuils bas en cuir ébène, petite table et tabourets discrets de Martin Szekely. Les vitrines sont vides, pour l’instant, dans l’attente de la prochaine mise en scène (*), car elle s’offre le luxe de chambouler tout à chaque exposition. Seule inamovible, volontairement, l’oeuvre murale de Tetsuo Mukai et Bernadette Deddens (Study O Portable), une répétition de huit quartz, comme autant de miroirs invitant par la force des choses à la réflexion, avec diffraction. L’univers de Caroline Van Hoek est celui du bijou contemporain, à l’intersection de la création, de techniques souvent ancestrales, de l’art et de la mode, une terra incognita pour qui n’y a jamais jeté un oeil, un pays des merveilles pour les autres. Très intuitivement, dans son antre, elle privilégie aussi l’argenterie, pour  » cette maîtrise du métal  » qui la fascine, par respect pour cet artisanat,  » très dur, très physique « , pour sa  » lumière  » et aussi parce qu’elle aime prendre soin de ces pièces uniques, les nettoyer, les polir, en  » un geste méditatif  » pleinement conscient.

Cette rencontre, elle n’a pas voulu penser à ce qui la constitue,  » on risquerait de gâcher la spontanéité « . Avec elle, pas d’artifices. Apollo à ses pieds attend que ça se passe, le teckel rêve sans doute de promenade en forêt, au trot voire au galop, elle ne le décevra pas. Il la ramène à l’enfance, elle lui en sait gré. Elle a grandi presque sauvage dans le sud de la France puis, à l’adolescence, s’ancre à Gand, où elle découvre l’école catholique et le néerlandais,  » un choc « . Elle y détourne son uniforme gris, le fait virer vers le noir plus souvent qu’à son tour, ce qui lui vaudra in fine d’être renvoyée.  » Pas grave tout ça « , balaye-t-elle d’un joli geste de sa main non bijoutée. Elle décrochera un bachelor à la European University d’Anvers, puis  » longtemps après « , un MBA en finances à la Vlerick Business School, la voilà armée pour débuter une carrière dans les assurances aux côtés de son père, le bijou contemporain ne l’a pas encore rattrapée. Il faudra attendre le début de ce siècle pour qu’elle tombe en amour et décide d’ouvrir sa galerie, en 2007, à Ixelles, dans un ancien magasin d’alimentation. Depuis, Caroline Van Hoek a déménagé, c’était en février 2016, et pris racines entre le Sablon, les boutiques de luxe du boulevard de Waterloo et le Palais de Justice, dans la rue aux Laines, numéro 46, pour mieux réunir sous son aile vingt-trois artistes d’envergure et aussi parfois en devenir, de Giampaolo Babetto à Gijs Bakker, de Florie Dupont à Hermien Cassiers et Lavinia Rossetti. Elle a grandi, en somme, avec  » ses  » créateurs et ses clients, des femmes, surtout, qui collectionnent et portent les bijoux uniques qu’elle aime et qu’elle a choisis avec acuité. Comme un signe, pour l’éternité, elle a griffé la paupière inférieure de son oeil gauche, une fine ligne bleue tatouée sur sa peau délicate. Elle l’avait d’abord consciencieusement dessinée pendant des années, souvenir d’un défilé de Jurgi Persoons, avec qui elle a travaillé, et du maquillage créé pour l’occasion par Inge Grognard – l’image puissante d’une femme marquée, par et pour elle seule.

(*) Valor doesn’t await the passing of years, Caroline Van Hoek Gallery, 46, rue aux Laines, à 1000 Bruxelles. www.carolinevanhoek.be Du 20 avril au 15 juillet prochain.

MA GALERIE

 » J’ai commencé à me former au bijou contemporain, j’ai voyagé, visité les autres galeries. Et quand j’ai eu terminé mes cours de yoga à Amsterdam, je me suis demandé ce que j’allais faire le week-end… J’ai trouvé la réponse immédiatement : « Ouvrir une galerie. » J’aime représenter des oeuvres créées par quelqu’un, du début jusqu’à la fin, en dehors de toute production de masse, en protégeant ainsi un savoir qui se perd, une qualité, une tradition. Lisa Walker (Nouvelle-Zélande, 1971) (photo) fut ma première artiste. Il n’y a rien de précieux dans ses bijoux, à part l’émotion qu’ils procurent. Elle sait aussi bien réaliser de toutes petites pièces que des très grandes, et chaque fois avec tellement d’humour. Je lui ai écrit pour lui proposer d’être sa galeriste, elle m’a répondu :  » Je ne vous connais pas, revenez dans un an « , c’est ce que j’ai fait. Je me suis lancée dans un métier que je ne connaissais pas du tout et je comprends maintenant qu’il s’agit surtout d’une relation personnelle avec les créateurs sauf qu’il n’existe pas un modèle que l’on peut calquer sur tous, chacun a sa personnalité et sa façon de travailler. J’ai évolué en dix ans : avant, je montrais des créations plus expérimentales, aujourd’hui, elles sont plus portables. Il faut dire qu’au début, je ne connaissais pas du tout ma clientèle, mon chiffre d’affaires, la première année, fut de 4 000 euros… Et puis je me suis rendu compte du potentiel ici à Bruxelles et à l’étranger aussi, car la moitié de mes visiteurs sont étrangers. « 

LOUISE BOURGEOIS

 » Mes parents ne se sont jamais intéressés à l’art, je n’ai pas vraiment d’artiste préféré, sauf peut-être Louise Bourgeois, que j’admire, surtout pour la femme qu’elle fut, et pour l’image qu’elle véhicule, toute ridée, sans Botox, cheveux gris, tout à fait naturelle mais tellement puissante et tellement… enfin voilà, je préférerais être une Louise Bourgeois qu’une Ivanka Trump. Tout le monde la reconnaît pour son art, mais peu de femmes osent assumer leur âge comme elle l’a fait, je ne sais même pas si elle s’est occupée de cette question. Tous les matins, quand je regarde mes rides dans le miroir, je pense à Louise Bourgeois et j’attends d’en avoir plus.  »

MA PREMIÈRE PAIRE DE BOUCLES D’OREILLES

 » A Amsterdam, un soir, je suis tombée sur une galerie de bijoux contemporains, qui depuis n’existe plus. J’ai séché mes cours pour pouvoir y revenir quand elle était ouverte, je voulais voir ce que c’était. C’était un nouveau monde qui s’ouvrait à moi, je ne comprenais pas. C’étaient de beaux objets, certains avaient l’air de bijoux, d’autres pas. J’avais toujours vu ma mère avec des parures Cartier ou Van Cleef dont la valeur principale était matérielle alors que là, c’était une découverte, l’idée ou le concept importait davantage. J’ai acheté une paire de boucles d’oreilles de Felieke van der Leest, des petites têtes d’autruche en bois, avec des bouclettes crochetées, je trouvais cela rigolo. Quand on ne les porte pas, on peut les déposer dans deux petits sacs crochetés et les autruches vous regardent. Je les ai exposées dans ma salle de bains, elles représentent le début de cette histoire… « 

JURGI PERSOONS

 » Son portrait réalisé par Ronald Stoops (photo) est exposé chez moi. Mon goût pour la mode, quand j’étais jeune, m’a amenée chez Jurgi Persoons. A ses côtés, mon style s’est vraiment libéré. J’adorais son univers. Il avait un goût fantastique pour les tissus et une violence, certes, mais très féminine. J’ai rejoint sa petite équipe, en 1998. Je participais à toutes les étapes de l’élaboration d’une collection, jusqu’aux ventes, à Paris et à Milan. J’ai encore des vêtements de lui dans ma garde-robe mais j’en ai aussi donné beaucoup au MoMu d’Anvers. C’est grâce à ces rencontres et au fait que je me suis frottée à ce monde-là que, lorsque j’ai commencé la galerie, j’ai voulu porter cette sélection de bijoux à un niveau de reconnaissance international. Je trouvais dommage de rester confinée à un milieu « crafty », toutes ces pièces méritent mieux que cela. « 

MON TECKEL APOLLO

 » Les chiens ont toujours été importants dans ma vie. Enfant, je ne jouais pas avec des jouets ou des poupées, j’avais un BMX et un chien et je partais en balade toute la journée. Nous vivions alors dans le sud de la France, je ne réalisais pas la chance que j’avais. J’y ai fait mes petites classes, c’était particulièrement formidable. « 

LA JEUNE GÉNÉRATION

 » Je préférerais vous parler de mes jeunes plutôt que de Gijs Bakker, mondialement reconnu. Il était d’ailleurs déjà grand quand j’ai commencé à travailler avec lui, ce n’est pas moi qui l’ai « fait ». Je démarre donc Valor doesn’t await the passing of years, une exposition avec trois jeunes femmes qui ont un regard très différent sur le bijou. Cela compte à mes yeux, parce que, après dix ans, je commence à pouvoir apporter une valeur ajoutée à ces artistes. Hermien Cassiers (1991) travaille avec finesse le fil d’or, elle a appris son art auprès du joaillier italien Giovanni Corvaja. A chaque fois, elle développe un maillon au volume et à la fluidité distincts, c’est extrêmement mathématique, rien n’est laissé au hasard. Elle est dans l’exploration, qui l’amène à trouver sa technique et son identité. Lavinia Rossetti (1985) présentera des boucles d’oreilles et toute une étude sur la maille et la chaîne. Elle marie les matières, les formes et les volumes très librement, avec un haut degré de finition. La troisième, Moniek Schrijer (1983), a un style surprenant : ses bracelets en laiton sont patinés à l’acide, ses bagues en bois martelées et ses pendentifs ressemblent à des CD peints en noir dans lesquels elle grave des effets, des gouttes, des fils barbelés. J’ai toujours un petit pincement au coeur quand je cède mes pièces, c’est très grave, je n’ai jamais envie d’en vendre aucune… « 

LE YOGA IYENGAR

 » J’avais commencé à pratiquer le yoga à Londres et quand je suis rentrée en Belgique après cinq ans, j’ai cherché une école, j’en ai trouvé une mais à Amsterdam. Ma prof m’a dit que j’avais du talent et m’a proposé de suivre la formation pour l’enseigner, pendant quatre ans, tous les week-ends. Je suis allée suivre des cours là-bas. Le yoga Iyengar m’a fortement influencée dans mes relations avec les autres. Ce livre, c’est ma bible, je le feuillette souvent, il est très usé à force de le lire. Ce qui m’a marquée dans ce Light on Yoga ? On y explique que la raison principale des conflits entre les gens, c’est l’interprétation erronée de l’autre et la faculté à tirer immédiatement des conclusions sur l’autre qui n’ont souvent pas lieu d’être. Et tout aussi important : qu’il ne faut jamais agir en attendant quelque chose en retour. Ces deux principes-là me guident, cela devrait être enseigné à tous les enfants dans toutes les écoles du monde. « 

LONDRES

 » Mon père m’a envoyée à Londres, en 1990. J’avais une vingtaine d’années et je travaillais alors dans les assurances. J’étais très heureuse de ce challenge, j’étais l’une des seules jeunes filles dans la City. Je me souviens que, à la Lloyds, il y avait de gigantesques toilettes en bas, celles pour les femmes étaient toujours vides. Je descendais pour aller y pleurer et j’entendais mes sanglots, comme dans une cathédrale. A cette époque-là, là-bas, les étrangers étaient mal acceptés. Je n’étais invitée par personne, j’étais seule, les premières années, tous les soirs c’était grand pot de Häagen-Dazs devant la télévision et shopping le week-end. Je n’avais pas encore l’amour des bijoux, mais de la mode bien. Je portais des chaussures Manolo Blahnik, avant qu’on en entende parler. J’habitais à côté de Harrods, j’y dépensais tout l’argent que je gagnais. Aujourd’hui, je retourne souvent dans cette ville, je m’y sens bien et puis c’est un vivier de créateurs. C’est mon deuxième port d’attache, après la Belgique, en général. « 

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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